La CPI et les donneurs de leçons, la Gambie, l’Afrique du Sud et le Burundi

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L’ex-président gambien, Yahya Jammeh, pourrait se retrouver devant la justice, crédit: Guillaume Colin et Pauline Penot

Pierre Hazan

Fin octobre, trois pays africains annonçaient à grands bruits leur retrait de la Cour pénale internationale (CPI). Ils dénonçaient son manque de légitimité, ses attaques injustifiées en Afrique, voir son néo-colonialisme. Il est piquant de constater quelques semaines plus tard l’évolution de la situation politique dans ces trois pays. Avec notamment, le retour sans doute prochain de la Gambie au sein de la CPI !

Le monde est décidemment bien imprévisible. C’est ce qu’a dû se dire, Yahya Jammeh, l’autocrate qui régnait depuis 22 ans en Gambie et qui avais promis à l’opposition que celle-ci pourrait se retrouver « six pieds sous terre ». Tellement assuré par ses courtisans de sa popularité auprès de son peuple, le président gambien a organisé des élections libres le 1er décembre. A sa stupéfaction, il les a perdues. Lui qui, en octobre dernier avait annoncé le retrait de son pays de la Cour pénale internationale pourrait bien comparaître devant cette même Cour, puisque le nouveau gouvernement envisage de la rejoindre. L’affaire serait cocasse : l’ex-président pourrait comparaître devant la procureure, Fatou Bensouda, qui fut son ministre de la justice en 1998 et même sa conseillère juridique jusqu’à 2000 ! Nous n’en sommes pas encore là. L’ex-président est accusé par différentes organisations d’être coupable d’exécutions forcées, de disparitions extrajudiciaires et d’actes de torture, mais il reste à déterminer si ces faits constituent un crime contre l’humanité, seuil indispensable pour que la CPI soit compétente pour le juger.

Reprenons le fil des événements pour le moins surprenant de ces dernières semaines. Fin octobre, la Gambie annonce le retrait de la CPI et le ministre de l’information accuse la Cour de La Haye de racisme: « La CPI se nomme la Cour pénale internationale, mais elle est en fait la Cour internationale blanche pour la persécution et l’humiliation des peuples de couleur, en particulier, les Africains ». En novembre, le gouvernement officialise son retrait de la CPI. Début décembre, Yahya perd le pouvoir. Les prisonniers politiques sont aussitôt libérés. Fatoumata Jallow-Tambajang, l’une principales voix de l’ex-opposition, déclare que l’ex-président Jammeh pourrait lui-même passer devant les juges. Selon le Guardian, le nouveau gouvernement gambien n’a pas encore décidé s’il fallait juger l’ex-autocrate en Gambie ou devant la CPI.

Quant à l’Afrique du Sud, le président Zuma est toujours au pouvoir, mais éclaboussé par des scandales de corruption à répétition. Depuis des semaines, ses avocats se battent pour bloquer la publication d’une enquête de l’ex-médiatrice de la République, « Madame anti-corruption », sur les liens entre le président et une riche famille d’hommes d’affaires, les Gupta, qui aurait obtenu des contrats lucratifs et des postes ministériels pour des politiciens qui leur sont proches. Des révélations qui font suite au feuilleton de la résidence privée de Jacob Zuma rénovée avec des fonds publics et pour laquelle le président a finalement été contraint de rembourser 500 000 euros à l’Etat. En délicatesse avec la justice de son pays pour des affaires de corruption, le président l’est aussi devant la Cour suprême d’appel qui en mars dernier a accusé le président sud-africain de “conduite disgracieuse » (“disgraceful conduct”) et illégale, faute de ne pas avoir arrêté le président soudanais, Omar el Bashir, lorsqu’il était sur territoire sud-africain, conformément à ses obligations envers la Cour pénale internationale. Le 7 avril prochain, le gouvernement devrait s’expliquer devant la CPI.

S’agissant du gouvernement du Burundi, force est de constater que le pays est sous le coup d’une enquête préliminaire de la Cour de La Haye depuis avril 2015. Après avoir examiné les rapports, « faisant état de meurtres, d’emprisonnements, d’actes de torture, de viols et autres formes de violence sexuelle… », Fatou Bensouda a conclu que ces actes « semblent relever de la compétence de la Cour ». En se retirant de la CPI, le gouvernement conduit une politique préventive pour délégitimer d’avance les accusations que la Cour pourrait émettre à son encontre.

Depuis sa mise en œuvre en 2002, la Cour pénale internationale a commis bien des erreurs dans sa stratégie pénale, en se fixant quasi-exclusivement sur des situations en Afrique. Mais force aussi est de constater que les trois gouvernements qui ont annoncé fin octobre leur retrait de la CPI, l’un s’apprête à la rejoindre, le second est éclaboussé par une série de scandales de pots-de-vin et de corruption de grande ampleur et le troisième fait l’objet de l’attention de la Cour pénale internationale pour de possibles crimes internationaux.

 

 

Pierre Hazan

Pierre Hazan est conseiller senior en matière de justice de transition auprès du Centre pour le Dialogue Humanitaire, une organisation spécialisée dans la médiation des conflits armés. Il a couvert de nombreux conflits comme journaliste avant de se spécialiser sur les questions de justice dans les sociétés divisées. Il a été chercheur à la Faculté de droit de Harvard et a travaillé au Haut Commissariat aux droits de l’homme. Pierre Hazan est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la justice pénale internationale.

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