Coronavirus et économie: tout faire pour survivre à la glaciation

L’économie suisse entre ces jours en glaciation pour plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Une priorité absolue doit être pour les collectivités publiques de faire tout ce qui est possible pour que le tissu économique puisse y survivre – et se remettre grâce au rebond à venir lorsque la pandémie se retirera. Et c’est maintenant: sans un effort immédiat, il sera trop tard cet été pour des dizaines de milliers d’entreprises et d’indépendants.

Ainsi donc, l’impensable il y a encore quelques jours est en train de se produire: l’urgence sanitaire absolue qui nous touche nous commande désormais de mettre au ralenti, voire à l’arrêt, des pans entiers de notre économie dans le but de sauver, potentiellement, des milliers, voire des dizaines de milliers de vies, comme l’a fait entendre la présidente du conseil d’état vaudois mercredi 18 mars au soir sur l’antenne de la RTS: nous choisissons de mettre au chômage de très nombreuses personnes pour ne pas en laisser mourir inutilement de très nombreuses autres. Reste que si l’urgence sanitaire est désormais comprise de toutes et tous ou presque, et que c’est à ce niveau-là que tout se joue dans les jours à venir – dans la lutte contre la propagation de l’épidémie, chaque jour, chaque heure compte désormais -, la question se pose de la manière dont nous allons protéger l’économie suisse de cette forme d’infarctus qu’elle est en train de vivre.

De nombreux secteurs économiques sont déjà à l’arrêt, dans la culture et les loisirs, l’hôtellerie et la restauration, les services à la personne – et d’autres vont suivre: la construction s’arrête progressivement cette semaine, ainsi que des pans entiers de l’industrie. D’autres secteurs d’activités fonctionnent désormais en mode dégradé, à l’exemple de l’enseignement – bref, une partie significative des activités vont simplement s’arrêter dans les prochaines semaines, voire les prochains mois. L’arrêt, cela signifie un tarissement des rentrées financières, alors que les échéances de paiement restent en place: salaires, loyers, prêts, charges, impôts.

Depuis quelques jours les différents pouvoirs publics annoncent des plans de mesures à venir: aux dix milliards annoncés par la confédération ont succédé les mesures cantonales, promettant des dizaines ou des centaines de millions à la rescousse des entreprises. Ces plans sont évidemment indispensables: en maintenant les liquidités des entreprises, on garantirait en effet au moins en partie le versement des salaires – et donc le paiement des factures par les ménages -, ainsi que le paiement des fournisseurs, des loyers, etc… Toutes les mesures annoncées font sens, de l’extension du chômage partiel à la mise à disposition de prêts sans intérêts par les banques cantonales via une caution de l’état, et l’extension du régime de l’Assurance Perte de Gains (APG) aux indépendants brutalement privés de ressources.

Toutefois, un rapide calcul montre qu’aussi utiles soient-elles, ces mesures restent très partielles. Si on considère que l’activité économique va ralentir de moitié durant six semaines – ce qui est optimiste: elle pourrait ralentir plus, et plus longtemps – le manque à gagner pour l’économie du pays serait de l’ordre de cinquante milliards de francs – le chiffre passe à cent milliards si cela se prolonge trois mois: c’est largement plus que les sommes articulées pour l’instant par les collectivités. Et on pourrait avoir, par exemple, des dizaines de milliers d’entreprises abritant des centaines de milliers d’emplois devant tenter de survivre sans revenus ou presque, avec des charges s’entassant pendant des mois – un scénario qui ne peut qu’aboutir à une crise et un chômage massif en quelques semaines si les retards de paiements sont traités de manière habituelle.

On n’en prend peut-être pas le chemin: ici et là, des propriétaires et des bailleurs font grâce à leurs locataires de tout ou partie du loyer du mois d’avril, et le Conseil Fédéral a pris hier une première mesure à leur endroit en suspendant les poursuites pendant deux semaines. C’est bien, mais il y a fort à parier qu’il faudra probablement aller beaucoup plus loin dans les semaines qui viennent: c’est toute une partie de notre économie, face à la glaciation brutale qui s’annonce, qui va entrer en hibernation. Il faut se poser la question, pour les entreprises et unités concernées – et uniquement celles-ci, évidemment – de la suspension pure et simple de l’ensemble des paiements, à l’exception des salaires, de manière à leur garantir l’existence, et celle des emplois qu’elles abritent, au moment où le pays redémarrera. L’épidémie aura une fin, et le pays sortira alors la tête de l’eau. Il importe que ce soit avec le moins de dégâts possible.

Parce qu’on ne construira pas une politique de relance sur un cimetière: la relance à venir cet été? cet automne? aura besoin d’entreprises et d’indépendants encore en vie et en mesure d’accompagner le redémarrage du pays. Il sera bien assez temps à ce moment-là de régler au cas par cas la manière dont les sommes non payées durant la pandémie pourraient faire l’objet de plans de paiement, ou de remboursements, partiels ou non. Ce qui importe maintenant, c’est de prendre les mesures qui leur permettent, dans leur très grande majorité, de survivre à la calamité qui s’annonce. Dans le même temps, il importe évidemment que toutes celles et ceux qui peuvent assumer leurs obligations financières le fassent rubis sur l’ongle, de manière à ne pas aggraver encore une situation qui sera déjà bien assez difficile sans cela.

Evidemment, ces mesures coûteront très, très cher – à hauteur des sommes en cause: des dizaines de milliards de francs. A ce titre, il nous appartient de nous poser la question de savoir qui, en définitive, devra payer la facture. A ce titre, les collectivités publiques, plus généralement l’Etat avec un grand E, a un rôle fondamental à jouer: contrairement à des centaines de milliers d’entreprises, il peut se permettre d’encaisser un terrible déficit sans que sa survie soit remise en cause. S’il fallait choisir une institution capable d’essuyer le bouillon monumental que 2020 va sans doute constituer en termes économiques et financiers, et plus encore lorsqu’on sait sa santé financière, éclatante au plan fédéral, et le montant des sommes thésaurisées auprès de la BNS, c’est bien l’Etat.

Heureusement qu’il est là! Charge à nous toutes et tous de nous en souvenir une fois la vague passée.