Comparis ou la malhonnêteté intellectuelle

Le site internet Comparis.ch s’immisce une nouvelle fois dans une campagne de votation, en l’occurrence celle concernant Prévoyance 2020, sur laquelle nous voterons le mois prochain. Et comme de coutume, il le fait de manière parfaitement malhonnête.

Depuis jeudi matin 17 août, le site comparis.ch propose à ses visiteurs de leur calculer l’effet de la réforme Prévoyance 2020 sur leur situation personnelle, en leur demandant simplement leur âge, sexe, revenu annuel brut et forme de prévoyance LPP. Avec ces informations, le site calcule ensuite ce que la personne va payer en plus d’ici son entrée en retraite, ainsi que ce qu’elle va toucher en plus une fois la retraite atteinte. Ce différentiel est calculé par rapport à la situation actuelle. Il est évidemment négatif pour l’essentiel des personnes.

Passons rapidement sur le fait que si le montant restant à cotiser est connu, l’espérance de vie à la retraite, elle, n’est évidemment pas fixe pour chacune et chacun d’entre nous – ce qui fait que la comparaison entre les prestations actuelles et futures est théorique, voire illusoire: le montant des prestations effectivement touchées dépendra de la date du décès de chacune et chacun d’entre nous.

Plus grave, le fait que Comparis sous-estime nettement l’espérance de vie des femmes à 65 ans, qu’il postule à 20 ans – à deux mois près un chiffre correct pour les hommes. Or, cette dernière est d’ores et déjà estimée à 22,6 ans par l’OFS: ainsi, dans son comparatif, Comparis sous-estime artificiellement les rentes des femmes d’environ 13%, ce qui constitue une première malhonnêteté – la seconde étant qu’en toute logique, on devrait appliquer aux gens l’espérance de vie qui sera la leur au moment où ils atteindront l’âge de 65 ans, une espérance de vie qui aura alors selon toute vraisemblance encore progressé, renforçant le gain effectif que les gens peuvent attendre de la réforme, et en premier lieu les femmes.

Mais la malhonnêteté majeure de la démarche réside ailleurs. En comparant les effets de la réforme Prévoyance 2020 avec la situation actuelle, Comparis fait croire à ses utilisateurs qu’il suffirait d’un non en septembre pour que les conditions actuelles de cotisation et de perception d’une rente AVS se maintiennent indéfiniment. Or, s’il y a un point sur lequel opposants et partisans de la réforme se rejoignent, c’est sur le fait que la situation actuelle est intenable: si on ne fait rien, tout le monde, à l’exception peut-être de la fraction la plus démagogique de l’extrême-gauche, s’accorde à dire que la démographie poussera l’AVS dans des déficits structurels majeurs, dépassant le milliard annuel d’ici cinq ans au maximum. Il est malhonnête, dès lors, de comparer les effets d’une réforme censée pérenniser l’AVS jusque vers 2030, à une situation actuelle qui n’est tout simplement pas tenable jusque là.

De ce point de vue-là, Comparis aurait évidemment été mieux inspiré, et en tous les cas beaucoup plus honnête, de comparer les différentes propositions de réforme entre elles: comparer, par exemple, les effets de la réforme Prévoyance 2020 avec le plan préconisé par le PLR et l’UDC, à savoir la retraite à 67 ans pour tous, la suppression de la hausse de la rente de 70.-, etc…

Mais cette comparaison-là, évidemment, Comparis ne la fait pas. Allez savoir pourquoi.