Le mondial de football a cela d’intéressant entre autres qu’il lui arrive de susciter des questions et des débats qui semblent sans grand lien avec les performances sportives des équipes participantes. Ainsi en a-t-il été de la question de l’intégration ou non de la population albanaise en Suisse, suite au match Suisse-Serbie durant lequel les deux buts suisses ont été marqués par deux joueurs originaires du Kosovo, et dont la manifestation de joie ornée d’un symbole albanais a immédiatement déclenché une polémique. Rebelote, une semaine plus tard, suite aux déclarations d’un haut responsable de l’ASF (Association Suisse de Football) remettant en cause l’intégration dans les filières de formation du football suisse et dans ses équipes de jeunes des adolescents au bénéfice d’une double nationalité.
Mais, au-delà des polémiques, quelle est l’ampleur du phénomène de la double nationalité? Quelle est la part des double nationaux dans la communauté suisse? Est-elle marginale, anecdotique, ou au contraire est-elle très importante?
Les chiffres qui suivent sont valables pour 2016, et sont issus de deux sources : d’une part, le Relevé Structurel de l’Office Fédéral de la Statistique (OFS), qui interroge chaque année entre 3 et 4% de la population résidente de plus de 15 ans vivant en ménage privé, soit environ 250’000 personnes, assurant un taux d’erreur infime sur les constatations faites à l’échelle du pays. Le Relevé Structurel permet notamment de quantifier les questions relatives à l’usage des langues, aux religions et à la nationalité, notamment son acquisition et la double nationalité. Afin d’obtenir un état concernant la population totale et non seulement celle des plus de 15 ans, nous avons rattaché les données concernant les membres du ménage des personnes interrogées par le Relevé Structurel. La seconde source utilisée est la Statistique des Suisses de l’Etranger, issue alors du Département Fédéral des Affaires Etrangères, et passée depuis 2017 sous le giron de l’OFS.
Selon ces sources, la Suisse comptait 8’222’100 résidents en ménage privé – 197’400 personnes résidant en ménage collectif (EMS, internats, foyers, prisons, etc…). Sur ce nombre, on comptait 6’210’700 personnes ayant la nationalité suisse, soit 75,5% du total, ce qui revient à dire que 24,5% de la population (2’011’500 personnes) n’a pas le passeport suisse. Parmi la population détentrice du passeport suisse, 1’104’400 personnes détiennent au moins un second passeport, soit 17,8% : en Suisse, plus d’un suisse sur six est également citoyen d’un autre pays. Sur ce nombre, 736’500 ont été naturalisés, soit exactement les deux tiers, le tiers restant (367’800 personnes) étant composé de personnes nées suisses et ayant reçu une autre nationalité à la naissance ou par naturalisation – la statistique ne permet pas de le dire.
Mais la thématique de la double nationalité ne saurait s’arrêter à nos frontières : en effet, 774’900 suisses vivent à l’étranger. Parmi ceux-ci, une large majorité – 569’700 personnes, soit 73,5% – détiennent au moins deux nationalités. Au total donc, la planète compte 6’985’600 suisses – et parmi ceux-ci, 1’674’100 ont un second passeport au moins, c’est-à-dire 24,0%. Dans le monde, un suisse sur quatre (un sur quatre !) est un double national.
La part des doubles nationaux dans la population suisse est grosso modo équivalente à celle de la Suisse Romande. En théorie, cette population pèse deux conseillers fédéraux et une cinquantaine de sièges au conseil national : il ne s’agit pas d’un épiphénomène, mais bien d’une composante majeure, organique, de la communauté que nous formons. Celui qui prend le risque de se la mettre à dos joue gros, comme l’ASF devrait prochainement s’en rendre compte.
Vous dites que les bi-natonaux meriteraient 50 sièges au conseil national; mais aujourd’hui combien design bi_nationaux siegent deja dans ce counsel. Ce chiffre ne figure pas dans votre etude…….
Bonjour.
La donnée n’est semble-t-il pas recueillie, elle ne fait par exemple pas partie du registre des intérêts que doit remplir tout parlementaire, et elle ne fait pas partie des statistiques parlementaires de l’OFS. Ici et là on glâne quelques informations sur l’un ou l’autre de nos parlementaire fédéraux d’où l’on retire qu’un certain nombre sont bel et bien double nationaux.
Par ailleurs, le paragraphe final se voulait simplement illustratif du poids des doubles nationaux dans notre population, pas une étude sur la question.
Merci Pierre pour cette analyse passionnante. Merci à toi de prendre le temps de nous faire réfléchir.