L’Hebdo meurt, et avec lui, une partie de moi-même

L'Hebdo meurt. Il a toujours fait partie de mon paysage médiatique, moi qui ai été abonné, via mes parents, puis en personne dès que j'ai pu, du premier au dernier numéro. L'Hebdo qui fut le lien avec mon pays durant les quatre années que j'ai passé au Texas, au tournant du siècle.

Une voix qui se voulait moderne, ouverte sur le monde, rétive à tous les conservatismes, quels qu'ils soient – et Dieu sait si ce pays en est perclus. Elle le fit parfois avec un côté naïvement boy-scout, et n'échappait pas toujours à la critique qui en faisait le héraut d'une élite bien-pensante. Elle en a d'ailleurs énormément souffert – moquée, vilipendée, détestée, haïe, même, pour cela. Reste que je considère un honneur d'avoir pu écrire quelques billets dans ce pilier de la presse romande qui disparaît aujourd'hui.

Je formule le souhait que le Temps, dont il se dit qu'il hérite de certains moyens dévolus à l'Hebdo, mais qui subit lui aussi une restructuration drastique de ses effectifs, puisse reprendre tout ou partie du flambeau que ce dernier aura porté entre 1981 et 2017 – à savoir, une certaine idée de la Suisse romande, cet indispensable moteur, guide et ouvreur de la Suisse tout court. Ne nous y trompons pas: avec l'Hebdo, c'est bien un pan de l'histoire des idées de ce bout de pays qui meurt.

Il aura fallu que dans la débâcle actuelle de la presse romande, ce soit précisément cette voix: celle de l'ouverture et de la modernité, celle du post-nationalisme et de l'idée européenne, qui se taise au moment précis où Donald Trump accède au pouvoir et établit la notion de "fait alternatif" (lisez: mensonge éhontément assumé et propagé comme vérité) et où le Brexit menace les fondements de la construction européenne. La portée symbolique en est forte.

Le soleil se couche sur les idées de progrès, quelles qu'elles soient. Nous vivons des temps dangereux.

Pierre Dessemontet

Pierre Dessemontet est docteur en géographie économique, syndic d'Yverdon-les-Bains, député au Grand Conseil vaudois, et vice-président du Parti Socialiste Vaudois.