ECOPOP: la xénophobie, sans le dire

On apprenait hier que l'Organisation des Suisses de l'Etranger s'inquiétait du fait que l'initiative ECOPOP pourrait bien signifier en cas d'acceptation une impossibilité de rentrer au pays pour nos concitoyens résidant à l'étranger – un droit constitutionnel pourtant fondamental. La réponse du comité d'initiative à cette crainte est révélatrice de l'état d'esprit de cette association soi-disant écologiste et humaniste.

L'Organisation des Suisses de l'Etranger a relevé hier que l'initiative ECOPOP, qui cherche entre autres à limiter la croissance de la population de la Suisse en plafonnant le solde migratoire à 0,2% par an, n'établissait aucune distinction entre Suisses et étrangers en la matière, ce dont on se convaincra aisément en lisant le texte de l'initiative. D'ailleurs, lorsqu'il s'est agi de contrer les accusations de xénophobie rampante de leur texte, afin de protester de leur bonne foi, les initiants se sont abondamment servi de cette absence de distinction – en tous cas jusqu'à hier.

Il faut dire que le sujet concerne beaucoup de monde. Il y avait en 2013, selon le Département Fédéral des Affaires Etrangères, 732'000 Suisses vivant à l'étranger: plus d'un citoyen suisse sur dix. La grande majorité d'entre eux, 534'000 personnes, est constituée de double-nationaux, qui, outre leur passeport suisse, détiennent pour l'immense majorité la nationalité de leur pays de résidence – les binationaux sont d'ailleurs encore plus nombreux en Suisse, de l'ordre de 890'000. Mais même en tenant compte de cela, il reste encore 198'000 Suisses de l'étranger qui n'ont pas d'autre nationalité et qui sont donc encore plus susceptibles que les autres de rentrer au pays. Il s'agit d'un nombre douze fois plus élevé que le solde migratoire que stipule ECOPOP, actuellement de l'ordre de 16'300 personnes par an; quant à lui, l'ensemble des Suisses de l'étranger représente quarante-cinq fois ce seuil: selon ECOPOP, il faudrait donc près d'un demi-siècle pour les absorber tous s'il leur venait l'envie de rentrer.

Or, il s'agit là d'une de leurs prérogatives constitutionnelles: l'article 24 de la Constitution stipule qu'un citoyen suisse a le droit d'entrer dans le pays, et l'article 25 qu'il ne peut en être expulsé – je me souviens d'ailleurs encore de mes anciens passeports, qui portaient la mention "le titulaire de ce passeport est citoyen suisse et peut rentrer en Suisse en tous temps". Il existe donc une contradiction entre le droit constitutionnel fondamental du citoyen suisse de rentrer dans son pays, et la volonté d'ECOPOP de limiter le solde migratoire d'une manière qui s'appliquerait aux Suisses aussi bien qu'aux autres. Hier, l'Organisation des Suisses de l'Etranger n'a rien fait d'autre que de mettre le doigt sur cette contradiction.

Comment a réagi ECOPOP, prise une fois encore en flagrant délit d'incohérence de son texte d'avec la Constitution du pays, et accusé de vouloir restreindre les droits fondamentaux des Suisses de l'étranger? En effectuant un magistral virage à 180 degrés: par la voix du directeur de son comité Andreas Thommen, ECOPOP qualifie ces craintes de "complètement infondées", faisant justement référence à l'article 24 de la Constitution, qui protège le droit au retour des Suisses, et faisant confiance au Conseil Fédéral pour faire respecter ce droit. Et d'ajouter: "Le mieux, ce serait encore de déduire le nombre de Suisses qui rentrent des 0,2%, et de calculer le nombre d'étrangers qui pourront entrer en Suisse par rapport à ce qui reste". 

Dont acte. Donc, quand ECOPOP prétendait, jusqu'à hier, qu'elle n'introduisait aucune distinction dans son initiative entre Suisses et étrangers, c'était du pipeau: ECOPOP n'a jamais eu l'intention d'empêcher les Suisses de rentrer chez eux – encore heureux, d'ailleurs! Ce qu'elle veut, c'est limiter l'immigration étrangère, point à la ligne. ECOPOP ne veut pas le dire, mais elle associe la surpopulation au solde migratoire des étrangers – et d'eux seuls.

La xénophobie, sans le dire. CQFD.

Pierre Dessemontet

Pierre Dessemontet est docteur en géographie économique, syndic d'Yverdon-les-Bains, député au Grand Conseil vaudois, et vice-président du Parti Socialiste Vaudois.