Statistique des Entreprises 2011: A la découverte d’une « économie accessoire » profitant aux villes.

Mi-novembre, l’Office Fédéral de la Statistique a publié dans l’indifférence générale les résultats de la Statistique Structurelle des Entreprises 2011. Pourtant, cette enquête désormais annuelle dévoile des faits absolument cruciaux concernant la santé et la forme que prend notre économie – en ces temps où le modèle suisse de croissance est remis en cause, il vaudrait vraiment la peine qu’on s’y intéresse de plus près. Par exemple:

La nouvelle Statistique Structurelle des Entreprises calcule le nombre d’emplois sur la base des registres AVS – et de ce fait, elle diffère assez nettement de l’ancien Recensement des Entreprises, qu’elle remplace : ce dernier ne considérait en effet que les établissements comptant au moins l’équivalent d’un demi plein-temps, et les emplois au moins équivalents à un 15%, alors que les registres de l’AVS assimilent à un emploi – et l’entité qui emploie à un établissement – toute activité rémunérée au moins 2'300.- annuellement : l’équivalent d’un 5%. Partant, la nouvelle statistique inclut les micro-emplois et les micro-entreprises.

On découvre ainsi que ces micro-emplois constituent une part appréciable de l’emploi total, environ 270'000 équivalents plein-temps : 7,5% du total, l’équivalent des deux Bâle. Que sont ces emplois ? Pensez, avant tout, activités accessoires : ce sont essentiellement des activités tertiaires, particulièrement nombreuses dans les services personnels et publics : dans le domaine des loisirs (entraîneurs de foot, moniteurs de ski ou de camp d’été …), de la culture (intermittents du spectacle, directeurs de chorale et de troupe, pigistes, blogueurs…), de la politique (présidents, conseillers de toute sorte, commissaires…), de la formation (remplaçants, chargés de cours, assistants à temps très partiel…), c’est toute une économie accessoire qui fait ainsi surface.

Deux choses frappent à l’examen des chiffres. D’abord, l’ampleur insoupçonnée du phénomène: 270'000 équivalents plein-temps à moins de 15% chacun, cela signifie qu’un à deux millions de personnes en Suisse remplissent, en plus de leur emploi principal, ou comme à-côté, des tâches qu’on dirait volontiers « d’intérêt public », mais qui sont défrayées. En gros, un actif sur deux ou trois: quand on y pense, c’est énorme. Cela donne une idée de l’engagement de la population dans la société, en soirée, en week-end ou pendant ses vacances, en plus de l'activité principale.

Seconde surprise, cette économie accessoire est très majoritairement le fait des villes, et même des villes-centre : par rapport à 2008, Zurich compte ainsi 50'000 équivalents plein-temps de plus, Berne 17'000, Bâle et Genève 16'000, Lausanne 15'000, et le même effet est visible dans les centres moyens et locaux (Sion 4'000, Fribourg 3'000, Neuchâtel 2'500, Delémont 1'000). Dans tous ces cas, ces emplois accessoires représentent bien plus des 7,5% du total de la moyenne nationale : c’est tout un pan jusqu’ici négligé de l’économie des centres, qu’ils soient d’importance nationale ou locale, qu'on découvre. Parce qu’ailleurs, le phénomène est beaucoup moins lisible, voire franchement inexistant : tant les banlieues d’emploi que les campagnes en sont largement dépourvues.

Comme si, d’une certaine manière, une division spatiale du travail continuait à s’opérer entre centres et banlieues : aux secondes, de plus en plus, les activités productives et les emplois principaux, aux premières, de plus en plus, les services s’adressant aux personnes – services personnels, loisirs, culture, en sus des services administratifs qui les ont toujours définies. Mais une statistique qui montre également que par ce biais, les villes-centre restent économiquement plus fortes que ce que le développement des banlieues d'emploi ne le laissaient présager. Les centres ont encore de beaux jours devant eux.

Pierre Dessemontet

Pierre Dessemontet est docteur en géographie économique, syndic d'Yverdon-les-Bains, député au Grand Conseil vaudois, et vice-président du Parti Socialiste Vaudois.