Sommet de Nouakchott : non, la France ne s’enlise pas au Sahel (1/2)

Le sommet de Nouakchott s’est tenu le mardi 30 juin malgré la crise sanitaire persistante. S’il n’a pas débouché sur des déclarations fracassantes, il consacre les récents succès militaires et diplomatiques de la France pourtant abondamment pointée ces derniers mois pour son « isolement » et son « enlisement ».

Fin 2019, la situation sécuritaire au Sahel paraissait dramatique et le G5 (Mauritanie, Mali, Burkina-Faso, Niger, Tchad), prêt à s’effondrer sous la pression des groupes armés terroristes. Effectivement, le revers militaire d’Inatès (Niger), en décembre 2019, concluait une année de montée en puissance inédite des djihadistes de l’Etat Islamique dans le Grand Sahel. Afin de remobiliser ses partenaires du G5 Sahel et de conforter un soutien international de plus en plus hésitant, la France décidait d’organiser le sommet de Pau le 13 janvier 2020, quelques semaines après celui du G7 à Biarritz. Objectif : marquer un tournant décisif pour l’action militaire de Barkhane et favoriser l’internationalisation du règlement de la crise. Quelques mois plus tard, la tenue du sommet de Nouakchott entérine l’activisme militaire et diplomatique de la France. Même si elle n’avait jamais été vraiment isolée, elle est parvenue à faire naître une « coalition pour le Sahel » d’ampleur, et cela sous son leadership.

Pourquoi une opération de contre-terrorisme dans le Sahel ?

Au vu de la proximité relative du Sahel avec l’Europe, l’évolution de la situation sécuritaire dans la région représente un impact géostratégique majeur pour le vieux continent. L’hypothèse la plus grave, mais à relativiser compte tenu de la complexité ethnique de la région, serait la création d’un ou plusieurs sanctuaires djihadistes, qui constitueraient une base arrière pour des actions terroristes au cœur de l’Europe. Et cela en provoquant des métastases jusqu’aux côtes méridionales de l’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, Ghana, Cameroun, Sénégal…). L’hypothèse la plus probable serait la transformation de la zone en une immense zone grise ingouvernable, amplifiant toute sortes de trafics illégaux ainsi que des vagues d’immigration massives et difficilement absorbables par l’Europe. Pour rappel, le seul G5 Sahel est composé de près de 90 millions d’individus – un effectif qui sera porté à 200 millions à l’horizon 2050.

Le contexte géostratégique de la zone n’implique donc pas de savoir ce que peut faire la France mais plutôt de savoir ce qu’elle est contrainte de faire. Pour ses partenaires du G5 comme pour elle, la victoire représente un jeu à somme positive. Il faut cependant être lucide : le règlement militaro-institutionnel de la crise sahélienne nécessitera encore des années d’efforts soutenus.

Quels résultats militaires pour rassurer les partenaires ?

Le sommet de Pau n’a pas changé l’objectif de l’opération Barkhane : battre militairement les groupes armés terroristes en créant un terrain de stabilité économique et politique propre à empêcher toute résurgence de la menace. En revanche, il en a modifié les modes opératoires. En décembre 2019, les groupes terroristes arrivaient au paroxysme de leur montée en puissance militaire. Appuyés sur des cadres étrangers de haut niveau (ex-djihadistes libyens, etc…) et la capacité à mener des attaques complexes, les ils avaient pris l’initiative sur les armées du G5 réduites à l’inaction. De son côté, l’armée française, s’appuyant sur des points nodaux stratégiques à tenir (Ifoghas, Nord-Niger, lac Tchad, Nord-Est Tchad), accusait un dispositif un peu trop rigide, insuffisamment pro-actif et morcelé. Pour endiguer une montée en puissance djihadiste, jouant par ailleurs habilement sur les rivalité ethniques ancestrales opposant agriculteurs (Bambaras, Dogon, Mossis…) aux pasteurs/nomades (Peuls, Touaregs, Imghads…), une nouvelle méthode fût employée.

Les moyens de la force Barkhane se concentrèrent alors dans la région des trois frontières qui augmenta son tempo opérationnel aéroterrestre jusqu’à entraver presque totalement la liberté d’action et l’initiative de l’Etat islamique. Le groupe est aujourd’hui considérablement affaibli et une partie du terrain perdu précédemment a été repris (Labbézanga- Mali ; Tillabiri et Inates-Niger ; Tanwalbougou et Oursi-Burkina, etc). Pour que cette stratégie soit un succès, il fallut également déléguer plus de responsabilités aux armées du G5 dans la surveillance et la tenue des autres nœuds (notamment l’armée tchadienne) ainsi qu’à la Minusma (Mali du nord). Un autre élément du tournant opératif de Barkhane réside dans l’accélération de l’autonomisation des forces nationales du G5 Sahel ainsi que de sa force conjointe : la FC-G5S dont l’action s’est nettement affirmée ces derniers mois. Ces forces ont pu opérer sur le terrain, coordonnés avec Barkhane, en remportant plusieurs succès, engrangeant dès lors une expérience précieuse.

Un soutien international croissant

Ces effets militaires, couplés à une diplomatie activiste, ont permis de mobiliser les partenaires internationaux de la France, jusque-là assez passifs. Non seulement les Etats-Unis ont différé leur départ de la région (capacités de renseignement), mais l’Europe a commencé à s’investir plus massivement via la Task Force Takuba (13 pays), le renforcement de la Minusma (Grande-Bretagne et Allemagne) et la mission de formation de l’Union Européenne EUTM (renforts espagnols et allemands). En outre, l’Union Africaine a décidé l’envoi d’un contingent de 3000 hommes. Un début modeste mais prometteur, qui atteste de la réussite de la France à convaincre de sa capacité à changer la donne dans la région. L’importance de cet engagement international ne réside pas tant dans une occupation massive du terrain que dans un partage/allégement de certaines missions de Barkhane (tenue du terrain, accompagnement des forces du G5, soutien, renseignement…) afin que celle-ci puisse mieux se concentrer sur ses missions de combat ainsi que de formation des armées du G5.

En définitive, comme rappelé lors du sommet de Nouakchott, cet examen ne doit pas masquer l’ampleur de la tâche qui reste à fournir. L’Etat islamique n’est pas encore vaincu au Sahel et le RIVM (Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans – Al Qu’aida) dispose toujours d’une force de frappe non négligeable. Les efforts militaires doivent se maintenir voire s’amplifier afin de maintenir une pression forte sur les groupes armés terroristes le temps que la formation et l’autonomisation des Forces du G5 Sahel soit effective. La France peut déjà compter sur l’action, cruciale, du Tchad et de la Mauritanie qui disposent d’outils militaires de qualité. En outre, l’affirmation des effets militaires permettra de déployer l’aide au développement, et surtout à la gouvernance, qui sont les conditions d’un règlement de la crise à long terme : tel sera l’enjeu véritable des mois voire des années à venir. Il serait toutefois contre-productif de confondre le temps long, nécessaire à un travail efficace, avec un « enlisement » synonyme d’un mode opérationnel dénué de résultat : les mois qui viennent de passer en témoignent.