Dans le contexte sahélien, aucun résultat militaire ne peut être pérennisé sans régler le problème à la racine, le terrorisme islamique étant plus une conséquence qu’un mal endémique dans des pays en proie au sous-développement institutionnel autant qu’économique. Des problématiques qui semblent sérieusement prises en compte par la Coalition pour le Sahel.
La rationalisation stratégique du sommet de Pau se voulait autant militaire que civile. La Coalition pour le Sahel, qui a été actée à son issue, devait reposer sur quatre piliers (combat, coopération militaire, développement, gouvernance). Complémentaires, ces derniers font écho à la conviction de la coalition de privilégier un continuum sécurité/développement afin d’assurer la stabilité régionale à long terme. Dans l’immédiat post-Pau, la restauration du rapport de force militaire prima naturellement même si la Coalition pour le Sahel s’affirmait progressivement. Créée officiellement le 28 mars et réunie pour la première fois le 12 juin (45 ministres des Affaires étrangères et une quinzaine d’institutions internationales), la Coalition pour le Sahel s’est réellement déployée dans sa dimension militaire comme civile à partir du Sommet de Nouakchott (Mauritanie). Ce dernier, organisé malgré la pandémie de Covid-19, a notamment permis d’entériner le démarrage de la nouvelle stratégie d’aide au développement à la faveur des effets militaires sur le terrain.
Retisser une communauté de destin
Le Sahel est depuis plusieurs décennies marqué par un désengagement progressif de l’état et une importante multiplicité ethnique. Les rivalités ancestrales inter-ethniques, notamment entre agriculteurs sédentaires, situés le long du fleuve Niger, et les pasteurs nomades ou semi-nomades se sont trouvées progressivement exacerbées durant l’ère post-coloniale. Les groupes armés terroristes ont très tôt joué la stratégie ethnique afin de faciliter leur implantation, tel, en son temps, Al Qaida auprès des Kel Tamasheq (Touaregs) ou l’état islamique chez les populations peules. Les islamistes agissent donc comme une force centrifuge alors même que la Oumma pourrait jouer un rôle de ciment social dans ces pays aux fortes disparités ethnoculturelles. Le problème n’est donc pas religieux mais bien ethnique, les djihadistes instrumentalisant des querelles ancestrales.
Ce début de dissolution des corps nationaux au Sahel se traduit entre autres par des victimes civiles collatérales ou des exécutions sommaires, et cela dans les deux camps, même si la dissolution des djihadistes, et la confusion civil/combattant joue en défaveur des États du G5. Afin de pouvoir reprendre la main sur l’ensemble de leurs populations respectives, les États sahéliens doivent être particulièrement vigilants pour casser cette dynamique. C’est une nécessité car cela favorise la stratégie asymétrique des djihadistes et maintien leurs effectifs tout en fragilisant la réputation du G5. La Coalition pour le Sahel agit dans ce sens afin d’aider les pays sahéliens à se doter d’institutions de gouvernance judiciaires impartiales, via l’Agence pour le Sahel ou l’Agence française de développement, couplées à des forces de police professionnelles (les missions EUCAP). Tout l’enjeu réside donc dans la capacité des États sahéliens et de leurs majorités bambaras (Mali) ou mossis (Burkina-Faso) à faire comprendre à leurs minorités qu’elles ne sont pas des ennemies et participent d’une même communauté de destin national. Les pays du Sahel ayant maintenu leurs engagements souverains lors du Sommet de Nouakchott, les choses peuvent donc continuer de s’améliorer.
Ce genre de scandales, symptomatiques de tendances plus profondes, affectent l’action de la France par vases communicants. Pourtant, la France ne cesse d’œuvrer à éradiquer de tels agissements, comme l’a rappelé la ministre de la Défense Florence Parly : « Il y a des brebis galeuses partout mais nous serions coupables si nous ne mettions pas tout en œuvre pour réduire ce risque ». Voilà des mois que des enquêtes parlementaires sont en cours afin de caractériser cette problématique. Par ailleurs la France agit en amont, et cela depuis l’origine via ses missions de formation dispensées dans le cadre de son partenariat militaire opérationnel : discrimination des cibles civiles et combattantes, droit de la guerre, droit humanitaire, formation d’une gendarmerie prévôtale au Mali destinée à encadrer les aspects légaux de l’action militaire. La discipline et l’expérience de l’armée française ont permis d’éviter des dégâts collatéraux lors de ses opérations et lorsqu’elle accompagne directement les troupes sahéliennes au combat. En conséquence, on ne saurait dire que l’armée française encourage ou tolère des comportements relevant du crime de guerre. Au contraire, elle en fait un axe prioritaire de sa lutte.
Initiative internationale de développement
La Coalition pour le Sahel fut créée lors du sommet fondateur de Pau, non pas comme une organisation supplémentaire et artificielle mais bien comme un organisme censé coordonner toutes les initiatives présentes dans la zone et jusque-là marquées par un certain désordre. Elle s’articule autour du continuum sécurité/développement. La période suivante fut riche en effets et gains militaires préalables au redéploiement de l’aide internationale. Les programmes de développement de première nécessité sont largement fournis par l’armée française via les missions de coopération civilo-militaire. Il s’agit de rapidement gagner les cœurs des populations dans les zones contestées afin de montrer à ces dernières que les armées françaises, ou celles du G5, ne sont pas des envahisseurs. Ces missions sont fondamentales car elles permettent d’affaiblir l’empreinte djihadiste sur les populations le temps de déployer des programmes plus étendus.
Ces derniers sont nombreux (dont la Suisse) même si les principales organisations demeurent l’Alliance pour le Sahel (initiative internationale), le pacte pour la sécurité et la stabilité au Sahel (P3S – Initiative européenne) et l’Agence française de développement (AfD). Tournés vers le développement agricole, infrastructurel (ferroviaire, routier, scolaire, hydraulique…), énergétique ou la gouvernance (judiciaire, administrative, droits de l’homme), ils représentent des centaines de projets et des milliards d’euros de crédit. La Coalition pour le Sahel va permettre des échanges d’informations et une coordination accrue des diverses organisations sur place, ce qui permettra de rationaliser leur action et de drainer [et surveiller] plus efficacement les financements. Une coordination fine entre le développement et la gouvernance est incontournable car sans une véritable organisation et pacification du territoire, les projets strictement économiques seront sans lendemain.
Il n’en demeure pas moins que la Coalition pour le Sahel, créée en mars et dont la première réunion internationale s’est tenue en juin, a profité du sommet de Nouakchott pour affiner sa stratégie dans son volet développement. Afin de rationaliser l’aide et de la faire coïncider avec l’action militaire, il a été décidé de cibler prioritairement des localités dans les zones contestées via le principe d’Aide Territoriale Intégrée (ATI). Les moyens accordés à cette planification se déclinent dans le cadre de programmes d’investissements d’urgences (PDU, CAPI…), etc. Ces initiatives font l’objet d’une grande attention dans le G5 qui a également obtenu, lors du sommet de Nouakchott, la tenue d’un moratoire sur l’annulation de la dette souveraine de leurs pays et la mobilisation des fonds prévus pour les Programmes d’Investissement Prioritaires (PIP). Le chemin parcouru depuis Pau est substantiel même s’il y a encore beaucoup à faire. La coalition a encore tout à prouver dans les mois qui viennent et le prochain sommet qui se tiendra au début de l’année 2020 sera l’occasion de dresser un bilan d’étape.
C’est très intéressant et vous semblez bien connaître la question. Personnellement j’ai beaucoup d’admiration pour le courage des forces françaises qui se sacrifient dans cette mission très difficile et très dure, alors que dans leur pays, en France, des dirigeants incompétents mènent une politique contraire aux intérêts du peuple français.
Je ne comprends pas bien les données de cette question. Je lis parfois Bernard Lugan qui semble considérer l’intervention française comme légitime. Donc je ne dirai pas le contraire. Mais je me demande si c’est une très bonne idée d’aventurer des forces militaires précieuses dans ce nid de frelons, alors qu’en métropole on n’est même pas capable de maintenir l’ordre et la paix civile.
Surtout, je me demande si ça n’aurait pas été plus intelligent de laisser Kadhafi en place. Il jouait un rôle de stabilisateur très utile dans la région. Il protégeait l’Europe des flux migratoires. Et il connaissait mieux que personnes les spécificité de la politique ethnique africaine. Mes amis maliens, peuls, bambaras et d’autres ethnies, m’ont toujours dit que Kadhafi était le meilleur chef d’état possible en Libye, du point de vue du Mali. Il fallait le laisser faire et on aurait eu une Afrique de l’ouest plus ou moins pacifiée, entre Africains, situation la moins mauvaise possible pour les intérêts français, sans doute.
Mais voilà, messieurs Sarkozy et Lévy étaient d’un autre avis. On a préféré créer le chaos pour que certaines turpitudes financières ne soient pas révélées. Et maintenant, devant le désastre qu’on a soi-même causé on est obligé d’envoyer des bonnes troupes, dévouées, au casse pipe, pour essayer de réparer un peu les pots cassés. Il me semble que c’est une politique de gribouille.
Vous nous dites que le résultat de l’intervention française est bon. Espérons le. On peut avoir un doute.
Kel Tamasheq, avec un -q.
Vous passez sous silence l’influence des prêcheurs (extérieurs) pakistanais, liés au Tabligh (“Dawa” au Mali). Barbe rousse, bien connu des militaires français jusqu’à sa mort, en est un exemple marquant.
Il est en outre impossible selon moi de décrire le phénomène de conversion vers le fanatisme religieux sans examiner les exactions commises par l’armée malienne. Barbe rousse s’est par exemple converti à l’islamisme après l’exécution de son frère…
Lorsque vous parlez de “querelles ancestrales”, vous faites allusion à quoi précisément? L’Azawagh?
A mon avis, si vous voulez expliquer le fanatisme religieux d’aujourd’hui, il faut remonter aux “plans agricoles nationaux” (et donc à une trop forte pression démographique) qui ont donné la préférence aux agriculteurs dès les années 1970. La querelle n’est donc pas ancestral, mais remonte à 30-40 ans…
Quand je parle de querelles ancestrales, c’est une facilité de langage pour décrire l’opposition plurimillénaires entre nomades (Touaregs,), pasteurs (Peuls) et agriculteurs (Mandingues…). La colonisation à permis de délivrer ces derniers des raids et de l’asservissment pratiqué par les Touaregs. Sans compter les luttes entre pasteurs, nomades et semi-nomades pour le contrôle des routes commerciales et des oasis. La colonisation a permis de mettre un terme provisoire à ces rivalités. Aprés les indépendances les populations le long du fleuve Niger, surtout au Mali, ont voulus prendre leur revanche (pour faire très simple) : a ce titre les famines provoquées par les plans agricoles nationaux ne sont qu’un épiphénomène de cette conflictualité. D’ailleurs concernant les touaregs dont Iyad Ag Ghali, de nombreux experts doutent de leur ferveur religieuse. Comme dans tout le reste du Sahel : l’islamisme n’est souvent qu’un prétexte.
Mes amis maliens me disent que ça ne va pas fort en ce moment à Bamako. IBK est en difficulté. Est-ce que monsieur d’Herbès pourrait écrire un article pour nous expliquer ce qui se passe?
Est-ce que “Moussa peut revenir”?
Effectivement la situation est préoccupante. Je ne peux rien vous promettre mais si mon emploi du temps me le permet j’écrirais volontiers un article de décryptage !