La combinaison spatiale vue comme un vaisseau individuel et personnel

La combinaison spatiale est un équipement vital pour les hommes qui envisagent d’évoluer dans l’espace ou à la surface accessible d’autres astres. La NASA la considère comme un vaisseau spatial individuel équipé d’un système de support vie (« PLSS » pour « Personal Life Support System »). Elle a beaucoup évolué depuis la première sortie dans l’espace d’Alexeï Leonov, le 18 mars 1965 ou les missions Apollo (1969 à 1972), tout au long des séjours dans la Navette (« Shuttle ») puis dans l’ISS. Comme tout équipement conçu pour faciliter la vie de l’homme en milieu hostile, elle devient de plus en plus sure et confortable (ou de moins en moins inconfortable). Lorsque l’homme sera sur Mars pour explorer et a fortiori pour y vivre, la combinaison sera certainement devenue facile et agréable à porter, comme aujourd’hui la combinaison souple et légère en néoprène des plongeurs, par rapport au lourd scaphandre de la première plongée conçue et réalisée par l’ingénieur allemand Auguste Siebe en 1819. Dans cette perspective, deux voies sont ouvertes, celle de la combinaison pressurisée (type xEMU en développement chez la NASA) et celle de la combinaison à contre-pression mécanique (type BioSuit en cours d’étude au MIT).

Mais avant de les regarder de plus près, voyons d’abord à quels besoins elles doivent répondre. Ils sont multiples. Elles doivent protéger l’homme contre les différences de pression, contre les différences de température, contre les radiations, contre les accrocs ou les perforations. Elles doivent permettre la respiration, permettre la visibilité, permettre la mobilité et l’action, permettre l’hydratation, permettre l’hygiène (y compris contrer les mauvaises odeurs) et permettre la communication. Bien entendu ces besoins sont à ajuster en fonction de l’environnement spatiale ou planétaire. Par exemple l’évacuation de la chaleur ne pourra se faire de la même manière sur la Lune et sur Mars où il y a une certaine atmosphère et une température diurne beaucoup plus « fraiche ».

Considérons d’abord la combinaison-pressurisée.

En fonction des besoins et de la partie concernée du corps, on distingue différents segments, le casque, le torse, le pantalon (de la ceinture aux pieds), les bottes et les gants, et les articulations entre ces segments. A l’ensemble il faut ajouter les annexes indispensables (portées dans un sac à dos) : la provision d’air respirable (oxygène et éventuellement un peu d’azote si l’on veut un peu plus de pression), le système de traitement du gaz carbonique, la réserve d’énergie et les moteurs permettant le conditionnement, la circulation des fluides et le traitement du gaz carbonique, l’eau pour s’hydrater, sans oublier le nécessaire pour maintenir le système hygiéniquement sain et durable et les capteurs informant le « passager » des niveaux de fluides vitaux et des dangers qui pourraient résulter d’un fonctionnement imparfait de son « vaisseau » individuel.

La combinaison pressurisée est une sorte d’enveloppe-coquille souple, hermétiquement close, gonflée d’oxygène (l’option gaz neutre additionnel n’étant pas actuellement retenue), qui permet la respiration (minimum 20,7 kPa d’oxygène mais 24,1 kPa est recommandé) et le maintien, du fait du gonflement (la pressurisation), d’une pression acceptable pour le corps. Les problèmes posés par cette combinaison sont que, gonflée, elle a tendance à se rigidifier (d’où la difficulté à faire jouer les articulations), qu’elle est relativement massive et encombrante et que les accrocs sont très dangereux puisqu’ils peuvent entrainer une dépressurisation.

Si l’on considère la combinaison non plus « géographiquement » mais « géologiquement », c’est à dire en épaisseur, on voit qu’elle est constituée de nombreuses couches (jusqu’à 16), chacune ayant, naturellement une fonction. Elles forment deux « vêtements ». C’est d’abord, à l’intérieur et au contact de la peau, le système de conditionnement. Il a pour fonction le chauffage et le rafraichissement avec circulation de fluides à l’intérieur d’une centaine de mètres de tubes très fins incorporés dans un tissu élastique (élasthanne ou « spandex » chez les Américains) et couvrant tout le corps, avec une multitude d’évents permettant d’évacuer la sueur (l’humidité peut varier de 30 à 70% selon l’activité). C’est ensuite la « peau » extérieure, totalement étanche et blanche pour refléter la chaleur. Celle-ci est très élevée au Soleil dans l’environnement terrestre, 1360 W/m2, moins dans l’environnement martien, entre 490 et 715 W/m2. Mais la chaleur, dans un milieu totalement étanche, provient surtout du corps en fonctionnement interne et en exercice (sur la Lune on a pu exprimer une chaleur allant de 70 à 800W selon l’« EVA » – « Extra Vehicular Activity »). Cette chaleur doit pouvoir être évacuée. La température interne recherchée est de 22°C mais elle peut varier de 18 à 27°C. Entre les deux vêtements une poche-vessie (« bladder ») entoure les segments du torse et du pantalon. Plutôt qu’une seule poche, c’est une succession de poches aplaties reliées entre elles. L’air doit impérativement circuler et vite (vitesse 0,15 à 0,17 m3 par minutes) car le gaz respirable se charge en gaz carbonique par la respiration et doit être impérativement et immédiatement recyclé. Dans les EMU (« Extravehicular Mobility Units ») actuels, l’air propre, provenant de deux sources d’oxygène « embarquées » (« Primary Oxygen Circuit » avec 0,55 kg d’Oxygène et « Secondary Oxygen Pack » avec 1,19 kg d’oxygène), entre par le casque et sort, chargé de CO2 et d’impuretés, par des tubes à la taille et aux chevilles, vers le CCC (Contaminant Control Cartridge) du sac à dos. Le CCC peut retenir le gaz carbonique pendant 8 heures (6 heures à l’époque d’Apollo) ce qui dépend bien sûr de l’intensité de l’activité qu’on peut avoir mais indique assez précisément la durée maximum de l’autonomie de la combinaison. La CCC utilise les produits chimiques mentionnés plus haut. Le système PLSS à l’époque d’Apollo (« A7L ») avait une masse entre 38 et 58 kg. Il fut ensuite amélioré pour la Navette puis pour l’ISS mais il prit encore de la masse (de 91 à 140 kg), ce qui n’avait pas beaucoup d’importance (sauf inertie) en apesanteur.

Où en est-on ? La NASA travaille sur le « xEMU » (« Exploration EMU ») pour le programme Artemis avec en perspective les missions martiennes. Cette combinaison se distinguera d’abord par son « x » de l’EMU actuel c’est-à-dire qu’on la prévoit pour se déplacer non plus en flottant dans l’espace mais sur ses pieds (donc avec de meilleures articulations et de bonnes bottes). Il s’agit ensuite de mettre au point un vêtement et surtout des annexes de plus faible masse*, qu’on puisse mettre et enlever plus facilement, avec un meilleur approvisionnement en eau, une meilleure évacuation de la chaleur et une meilleure gestion des déchets. Cette dernière se faisait jusqu’à présent par la transpiration couplée à un sublimateur (vers l’extérieur). On projette de le remplacer par le « Spacesuit Water Membrane Evaporator » (« SWME ») plus fiable et plus efficace. Le recyclage du CO2 se faisait anciennement avec de l’hydroxyde de lithium (LiOH) et se fait aujourd’hui avec de l’oxyde d’argent (MetOx) selon la formule Ag2O (solide) + CO2 (gaz) → Ag2CO3 (solide). Mais le système est lourd, le recyclage est lent. On a trouvé une solution, le Rapid Cycle Amine, plus rapide et de moindre masse qui fonctionne aussi comme déshumidificateur et purificateur bactériologique. On recherche toujours un recyclage en boucle fermée mais ce sera pour « plus tard », peut-être grâce aux progrès de la recherche MELiSSA. On a aussi bien pris conscience de la poussière (martienne aussi bien que lunaire) et de ses inconvénients/risques. On est prêt à y faire face avec un nouveau revêtement extérieur et des filtres pour éviter que la poussière puisse s’incruster dans le tissu, pénétrer le PLSS ou gripper les jointures. Enfin les progrès technologiques dans les microtechniques et l’électronique permettent une plus grande finesse de la « plomberie », une meilleure redondance pour la sécurité et une meilleure réactivité aux dangers.

*l’idéal, pour Mars, serait d’atteindre une masse de scaphandre + annexes de 100 à 120 kg. Sous une gravité de 0,38g, cette masse péserait 38 à 45 kg qui, s’ajoutant à un poids de quelques 25 à 30 kg, restituerait pour le corps d’un Terrien, une sensation à laquelle il a été habitué. Le problème resterait un centre de gravité un peu trop haut en raison du “backpack” (sac à dos).

Les dernières innovations ont été faites dans les jointures. De nouveaux matériaux et roulements permettent de se pencher, de plier les genoux, de lever les bras ou de les replier sur soi, bien plus qu’auparavant. Les bottes ont maintenant des semelles flexibles (moins fatigantes pour marcher). La partie haute du torse est un gilet rigide. On pourra désormais y entrer par l’arrière ce qui permettra à cette partie d’être plus ajustée au corps. Les gants sont devenus haptiques, c’est-à-dire qu’en plus d’être chauffés avec des résistances ultrafines et souples, ils sont aussi dotés de capteurs qui restituent les sensations du toucher à la main qui se trouve à l’intérieur. Le pantalon, en matériaux nouveaux, sera équipé de plis qui permettront de se courber de pivoter sur ses hanches, de plier les genoux.

Un seul problème n’est pas résolu c’est celui de l’excrétion. Les astronautes continueront à porter des couches. Ils ne les utilisent pas forcément (ils n’aiment pas ça et cela n’étonnera personne !) mais leur capacité d’absorption et de sensation de “sec” ont beaucoup progressé depuis les premières années, ce qui a d’ailleurs bénéficié aux couches commercialisées sur Terre pour les bébés et les vieillards. A noter à ce sujet que si certaines sorties dans l’espace ont duré plus de huit heures, leur durée raisonnable se situe plutôt entre 2 et 4 heures.

Considérons ensuite la combinaison à contre pression mécanique.

Cette combinaison « MCP » (pour « Mechanical Counter Pressure ») est un peu comme les combinaisons de plongée. Elle est au moins aussi ancienne que les combinaisons pressurisées mais n’a pas connu le même engouement de la part des institutions qui pouvaient les faire utiliser par les pilotes fréquentant les hautes altitudes (même si elle l’a été quelques fois), ni ensuite par la NASA. Le MIT avec la Professeure Dava Newman l’a remis sur le devant de la scène avec son « BioSuit » sur lequel elle travaille depuis 2001.

L’intérêt est un encombrement moindre, une masse moindre (6,5 kg + 18 kg pour le système de respiration), un risque moindre de catastrophe en cas de perforation (puisque la pressurisation subsiste si celle-ci survient).

Il s’agit de revêtir une combinaison souple mais étanche que l’on plaque au plus près du corps après l’avoir enfilée (anciennement pour les pilotes d’avion stratosphériques, en gonflant des boudins d’air tout au long du vêtement, maintenant grâce aux tissus élastiques). Le système de conditionnement se situe à l’intérieur de la couche de mousse entre la peau et la couche externe étanche. Les parties du corps qui bougent peu (soigneusement étudiées d’après la morphologie dynamique de l’homme) sont renforcées par des bandes fixes (dites « lignes de non extension ») qui tiennent entre elles des panneaux de tissu plus souple. L’oxygène n’est utilisé que pour la respiration et ne l’est plus pour la pressurisation. Pour donner toutefois davantage de volume au gaz respirable et faciliter le gonflement des poumons malgré un tissu très ajusté, les personnes qui étudient ce BioSuit proposent une vessie plate pectorale reliée avec le casque qui permet une inspiration plus large d’oxygène à chaque fois que l’on en a besoin. Le problème est la jonction entre le casque et la combinaison enveloppant le corps. Elle doit évidemment être hermétique. Une sorte de collier fixe est recommandée par Jeremy P. Stroming dans son étude. Pour l’isolation thermique les tests ont montré, dans cette même étude, qu’une couche d’aérogel sous la couche externe de la combinaison était nécessaire car les pertes de chaleur sont importantes (contrairement à ce qui se passe dans les combinaisons préssurisées).

Le casque et les gants sont communs aux deux systèmes (sauf aux jointures). Le besoin pour l’homme de se toucher le visage avec sa main est bien connu. On satisfait ce besoin par des plaques de mousse plastique fixées au casque auxquelles on peut accéder en bougeant la tête. Pour l’avenir on pourrait envisager une brossette fixée dans un aimant, mobile à la surface intérieure du casque et que l’on pourrait actionner par un autre aimant à l’extérieur du casque. La grande invention concernant les gants est celle des gants haptiques déjà mentionnées et pour les bottes, de nouvelles bottes souples avec articulation aux chevilles. A noter enfin qu’une combinaison à MCP, plus fine qu’une combinaison pressurisée, pourrait permettre de porter par-dessus un gilet Astrorad, protecteur de radiations, ou plutôt d’en incorporer les éléments dans une couche enveloppant la combinaison « de base ». Même si cette couche protectrice est un peu lourde et un peu volumineuse, on aura de la marge avec le BioSuit.

Il faut donc imaginer les futurs résidents martiens comme des gens heureux de revêtir ces « petites merveilles » de technologies. On peut imaginer que sur Mars, un « beau scaphandre » soit considéré comme une belle voiture sur Terre. Ceci d’autant plus qu’on n’aura pas avant longtemps de « belles voitures » individuelles sur Mars mais plutôt de gros rovers collectifs pressurisés, équipés comme des camping-cars avec un support vie considérable pour aller « loin » ou des hyperloops pour aller d’une base à l’autre ou encore des engins aériens à propulsion de type « LEM » (« Lunar Excursion Module » utilisées pour s’élever du sol lors des missions Apollo) équipés de gashopper pour aller d’un point de la planète à l’autre. Là encore il faut faire confiance à l’imagination humaine et à nos capacités de faire évoluer nos technologies. Les tissus seront de plus en plus résistants, et de plus en plus agréables à porter. Les articulations seront de plus en plus sophistiquées pour permettre tous les mouvements nécessaires. Reste le problème de l’excrétion comme mentionné plus haut. On arrivera bien à traiter nos « rejets métaboliques » comme y sont parvenus les « Fremen » avec leurs « distilles » dans la saga « Dunes » de Frank Herbert (un classique de la Science-fiction pour ceux qui ne connaîtrait pas ce chef d’œuvre publié en 1965) magnifiquement revue et filmée par David Lynch en 1984. A noter cependant que les Fremen ne portent pas de casques, ce qui manque totalement de réalisme!

Illustration de titre : le BioSuit MCP de Dava Newman (à gauche et à droite) et le xEMU de la NASA (au centre). BioSuit crédit Dava Newman, Apollo Professor of Aeronautics and Astronautics, MIT; xEMU, crédit NASA. Il semble incontestable que le BioSuit serait plus souple et moins encombrant!

Liens :

https://www.nasa.gov/feature/a-next-generation-spacesuit-for-the-artemis-generation-of-astronauts

https://www.nasa.gov/johnson/HWHAP/suit-up-for-mars

Design and evaluation of elements of a life support system for mechanical counterpressure spacesuits (mit.edu)   par Jeremy Paul Stroming pour sa thèse de Master, 19 Mai 2020, sous la direction de Dava Newman (MIT).