Les femmes aussi s’intéressent à Mars

En février 2021, un « équipage » de six jeunes femmes, dont la « commandante », Julie Hartz, suisse, est diplômée de l’Université de Lausanne, va effectuer une « mission » dans une des bases de simulation de la Mars Society.

L’équipage est multinational, multi-universitaire et multidisciplinaire. En dehors de Julie Hartz, les membres sont issues de Macquarie University (Australie), de l’Universitat Autonoma de Barcelona, de l’ESILV (Ecole Supérieure d’ingénieurs Léonard de Vinci, Paris) et de Cranfield University (Nord de Londres). Leur point commun est évidemment leur passion pour l’espace mais par ailleurs elles sont différentes et complémentaires comme devront l’être les membres d’un équipage pour une vraie mission sur Mars. Julie Harz a choisi l’exobiologie, après une formation en physique, géosciences et géochimie. Cristina Vazquez-Reynel est ingénieure en astronautique (réalité augmentée) et a commencé à travailler en entreprise (L3Harris). Laurene Delsupexhe, est ingénieure système en astronautique. Elle a rejoint le programme des petits lanceurs, VEGA, de l’ESA. Marta Ferran-Marques après des études en nanosciences et nanotechnologies et un master en matériaux pour l’aérospatial, travaille chez Sensor Coating Systems ltd sur les techniques de mesure des températures de surfaces. Paula Peixoto est diplômée en nano-médecine et travaille à l’Hôpital de Vall d’Hébron, en Catalogne, sur les désordres neuronaux causés par les pathologies de l’immunité. Kelly Vaughan-Taylor, la plus jeune, termine son Master en « sciences de la Terre », combinant géophysique et géochimie.

La mission, dénommée « WoMars » (dont chacun comprendra le sens), se déroulera dans un environnement aussi martien qu’il est possible d’en trouver sur Terre, le désert de l’Utah. Il a été choisi en fonction de ce critère par la Mars Society américaine pour y établir une de ses deux bases de simulation (l’autre est en Arctique) il y a 20 ans. C’est ce qu’on appelle la « MDRS » (Mars Desert Research Station »), située à 1300 mètres d’altitude, pas très loin de Hanksville (220 habitants, 20 minutes de voiture), c’est-à-dire au milieu de « nulle part ». On y est dans un endroit totalement isolé, sans eau liquide courante (sauf celle évidemment apportée pour les besoins des « astronautes analogues »), l’atmosphère y très sèche et il n’y fait pas chaud en hiver (surtout la nuit !). Géologiquement il y a beaucoup de similitudes ou comme on dit, d’« analogies » avec l’environnement martien. La mission durera quinze jours (c’est la 241ème qui se déroulera à la MDRS). Pendant cette période, chacune des six membres étudiera un projet ressortant de sa spécialité et bien préparé auparavant.

Laurène Delsupexhe a choisi le transport en surface de Mars (« planétaire ») en utilisant l’atmosphère. Il s’agit d’étudier les possibilités d’UAV (« Unmanned Aeronautic Vehicle ») pour transporter des instruments commandés à distance et d’ULM pour transporter un astronaute avec quelques équipements.

On connait les difficultés de tels transports dans l’environnement martien puisque la pression atmosphérique n’est que de 6,10 millibars au Datum (altitude moyenne). En même temps il faut rappeler que les déplacements sur le sol martien sont difficiles (pas de route, des sables mouvants et des pierres qui présentent souvent des arrêtes beaucoup plus tranchantes et perçantes que sur Terre). Bien sûr l’utilisation de la rétropropulsion sera toujours possible mais il est évident que ce qu’on pourra faire en utilisant l’atmosphère donc en consommant moins d’énergie produite par l’homme (et qui devrait être transportée !), sera à privilégier.  

Marta Ferran-Marques veut étudier les conséquences de l’environnement martien sur les process (impression 3D en gravité réduite et culture des plantes sur sol infertile de type martien) et sur les tissus utilisés pour la couche extérieure des scaphandres (téflon et composite de type « ortho-fabric »).

Ces problèmes sont spécifiques à Mars. Il est vrai que la gravité joue un rôle dans la fonction de dépôt de matériaux par les imprimantes 3D (et sans doute dans la solidité de ce qui est réalisé). Par ailleurs les météorites ne sont pas autant consumées par l’atmosphère terrestre que par l’atmosphère de Mars (mais évidemment plus que sur la Lune et dans l’espace profond). En plus de ses recherches, Marta tiendra aussi ce qu’on peut appeler le « journal de bord » de l’équipage.

Julie Hartz veut 1) tester la représentativité statistique de différents échantillons de minéraux dans un terrain de type martien afin d’estimer ce qui permet le mieux la reconstitution stratigraphique la plus exacte de la géologie du lieu ; 2) tester la détectabilité sur le terrain d’éventuelles biosignatures dans un échantillonnage de roches de type martien.

La question se pose car le programme de la mission Mars 2020 de la NASA prévoit la collecte dans quelques années, d’échantillons d’une certaine taille (compatible avec leur retour sur Terre) mis de côté (en « cache ») dès l’année prochaine. Ce choix a des conséquences pour les biais qu’il peut introduire. Par ailleurs identifier un biomorphe d’une vie très ancienne (a priori plus de 3,5 milliards d’années) et inconnue, dans un environnement très différent de celui de la Terre et ayant subi une histoire très différente, est quelque chose que géologues et taphonomistes doivent se préparer à appréhender.

Cristina Vazquez-Reynel veut évaluer les applications possible et l’intérêt de la réalité augmentée pour l’entrainement des astronautes et pour la maintenance d’une base martienne.

La réalité augmentée sera un outil très utile sur un monde où les sorties hors des habitats seront toujours difficiles et dangereuses (faible pression atmosphérique, radiations, port du scaphandre nécessaire). Beaucoup d’actions ou d’interventions à l’extérieur des habitats seront donc menées à distance et la réalité augmentée permettra d’évaluer les évolutions, les problèmes, les besoins et même de guider les constructions ou les réparations d’équipements ou de structures.

Kelly Vaughan-Taylor veut 1) étudier la possibilité de mieux comprendre les structures géologiques dans le sol, par l’utilisation de la sismologie « ambiante » (à l’aide des signaux faibles provenant de l’interaction de l’atmosphère avec la surface) ; 2) comparer la composition d’échantillons de roches martiennes à leurs équivalents sur Terre.

Nous connaissons la Terre, sa géologie et en particulier sa minéralogie. Le milieu martien étant différent et ayant évolué dans le cadre de contraintes environnementales différentes, donnera des « produits » différents. Il faut se préparer à ces différences pour mieux les percevoir et les comprendre.

Paula Peixoto veut étudier les effets épigénétique, au jour le jour, d’une mission spatiale (rythme circadien, tissu osseux, tissu musculaire).

La vie sur Mars aura sur les organismes humains et plus précisément sur nos gènes, des conséquences du fait des contraintes environnementales spécifiques à la planète. Il faut s’y préparer pour pouvoir chercher à remédier à ce qui serait nuisible à la santé des astronautes.

Comme vous le voyez ces projets d’études très sérieux font partie de ce sur quoi il est utile de travailler et de réfléchir avant d’aller sur Mars. Les missions « réelles » seront coûteuses et longues. Il faudra emporter les équipements indispensables et utiliser au mieux le temps disponible pour que les recherches scientifiques soient menées le plus efficacement possible. Rappelons-nous qu’il n’y aura pas d’approvisionnement intermédiaire possible sur une durée de 26 mois (durée de la période synodique). Des missions de préparation comme celle que vont accomplir ces jeunes femmes sont donc à encourager. Nous les soutenons, en tant que Mars Society Switzerland mais si vous êtes intéressé pour le faire de votre côté, « you are quite welcome » comme on dit aux Etats-Unis (voir les possibilités sur le site de WoMars dont je donne le lien ci-dessous). Ce serait aussi un moyen de soutenir la « cause des femmes » en aidant ces jeunes chercheuses et ingénieures à démontrer qu’elles peuvent très bien mener à bien une mission scientifique dans un milieu difficile, seules, sans aucune assistance masculine…ce dont je ne doute absolument pas.

Illustration de titre: vue de la station de simulation MDRS, crédit Mars Society USA.

liens :

http://womars.co.uk/

https://mdrs.marssociety.org/about-the-mdrs/

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Index L’appel de Mars 20 08 21