Pourquoi le premier village spatial doit être construit sur Mars et non sur la Lune

L’actualité est aujourd’hui la Lune. Notre astre compagnon est la cible aussi bien des Américains que des Européens. Je pense qu’effectivement l’homme y reviendra mais je doute fort qu’il y crée un village, c’est-à-dire un établissement permanent habité de façon permanente.

Au-delà de l’intérêt scientifique qu’on pourra trouver une fois arrivés sur place, les raisons de préférer aller sur la Lune plutôt que sur Mars sont compréhensibles. Constatant la proximité de l’une et l’éloignement de l’autre, on est naturellement conduit à penser qu’il est beaucoup plus facile d’aller sur la première. On a largement tort car il faut consommer autant d’énergie pour un voyage que pour l’autre puisque l’essentiel (environ 90%) est utilisé pour s’affranchir de l’attraction terrestre et la plus grande partie du reste est utilisée pour se freiner afin d’éviter de s’écraser en arrivant à destination (la gravité, toujours!). On a cependant un peu raison dans la mesure où la proximité de la Lune permet d’y accéder ou d’en revenir en trois jours alors qu’il faut au moins six mois pour aller sur Mars et surtout que l’on peut n’y partir que lors de fenêtres de lancement, ouvertes tous les 26 mois, et n’en revenir qu’après 30 mois d’absence alors qu’on peut partir et revenir de la Lune à tout moment de l’année.

Cependant les contraintes qui s’imposent aux séjours de longue durée sur la Lune sont trop fortes pour que l’on s’y installe vraiment puisque précisément on peut en repartir et y revenir facilement. Dit autrement, les raisons de s’y installer durablement plutôt que pour de courtes périodes ne sont pas telles qu’elles justifieraient de surmonter les difficultés que cela représente. En effet quel intérêt y aurait-il à rester sur la Lune 14 jours d’affilée sans lumière du Soleil (durée de la nuit lunaire) et exposé à une température de -150°C (sans compter que les températures de +100°C pendant le jour lunaire poseront aussi un problème énergétique)? Quel intérêt cela aurait-il de vivre longtemps soumis à une force de gravité de 0,16 g, débilitante pour les os ou les muscles* et gênante pour tout déplacement  alors que l’on n’y est pas obligé ? Quel intérêt cela aurait-il de rester exposé sans aucun écran aux radiations solaires (SeP) et galactiques (GCR) ou de vivre enterré pour s’en protéger alors qu’on peut revenir sur Terre quand on le veut (c’est à dire en fait, à la fin du jour lunaire, 15 jours terrestres après être arrivé)? Il y aura certes des missions de géologie ou de mises en place techniques (observatoires sur la face cachée) ou encore des séjours touristiques sur la Lune mais ils pourront être menés ponctuellement, pendant le jour lunaire et avec une installation de support vie fonctionnant par intermittences avec approvisionnement adéquat pour la période. Les géologues, astronomes ou autres scientifiques pourront déposer leurs instruments robotisés y travailler quelques jours et les télécommander ensuite en direct depuis la Terre (la Lune n’est distante que de 380.000 km soit à peine plus d’une seconde lumière !).

*la marche sur la Lune est rendue très difficile par la faible pesanteur et par le centre de gravité placé très haut dans le corps (système de respiration accroché au dos), rendant l’équilibre précaire; la pompe cardiaque fonctionne avec la même force pour des besoins moindres.

Au contraire, les opérations sur Mars seront beaucoup facilitées par une installation permanente. Cela tient à la fois aux conditions d’accès relativement plus difficiles et aux conditions environnementales relativement moins dures. En effet le plus gros obstacle des missions martiennes est qu’on ne peut y commander en direct les robots qu’on y envoie puisque le « time-lag » varie entre 3 et 22 minutes dans un seul sens (6 minutes et 44 minutes pour une impulsion et le retour de cette impulsion sur Terre). Par ailleurs le fait d’être obligé de rester 18 mois sur place avant de pouvoir revenir, implique d’installer toutes les facilités nécessaires pour un séjour de toute façon déjà long. L’exposition aux radiations pendant le voyage, beaucoup plus long que pour aller sur la Lune, alors que les doses de radiations reçues au sol seront moindres (masse de l’atmosphère équivalente à une colonne d’eau de 20 cm), poussera à limiter le nombre de voyages dans une vie (on peut évaluer le maximum à trois ou quatre selon l’âge et le sexe). De plus, ce voyage restera cher non pas tant en argent (même énergie dépensée que pour aller sur Mars), qu’en temps passé (deux fois six mois !). Une fois sur Mars on sera donc incité à y rester aussi longtemps que nécessaire pour y mener à bien l’intégralité d’un programme prévu, sans la ou les coupure(s) d’un (ou plusieurs) aller et retour. Sur le plan environnementale, la durée du jour de 24h39 n’imposera pas les longues périodes d’obscurité et de froid de la nuit lunaire et permettra en particulier des cultures sous serres utilisant en partie plus ou moins grande l’énergie solaire. Une gravité de 0,38g ne sera pas aussi débilitante que celle générée à sa surface par la masse lunaire et la réadaptation sur Terre ne devrait pas être aussi difficile qu’au retour de la Lune pour une même période. Enfin, autant on pourra se contenter d’un confort spartiate pendant une quinzaine de jours, autant ce serait plus difficile pendant 18 mois.

Sur la Lune il n’y aura donc pas un village mais un dépôt d’équipements ou plus exactement une base activée périodiquement, pendant le jour lunaire, en fonction des missions (scientifiques ou techniques) ou des visites touristiques. Ce sera un peu une projection de ce qu’on fait aujourd’hui en Antarctique. Peu de personnes y hivernent et sur la Lune on se contentera aussi d’un service minimum pendant la nuit, pour veiller au bon fonctionnement des équipements des habitats en mode « repos », pour effectuer des dépannages d’urgence sur les équipements scientifiques (en dehors bien sûr de périodes de construction ou d’observation qui peuvent conduire à travailler la nuit). Il ne serait ni rationnel, ni économique de procéder autrement. Sur la Lune il pourra y avoir du personnel affecté à ces trois fonctions, qui feront des séjours assez longs, disons un an, mais compte tenu des problèmes de santé que cela implique et de la facilité relative de revenir sur Terre, il serait étonnant qu’ils soient vraiment plus longs. Enfin sur la Lune les ressources en eau semblent beaucoup moins importantes et facilement accessibles que sur Mars et la poussière plus agressives (érosion nulle puisqu’il n’y a jamais eu ni atmosphère ni eau courante) ; ce ne sont pas des détails pour la logistique. Sur Mars, par contre, il devra y avoir toutes les facilités nécessaires à la vie en autarcie pour un séjour qui ne saurait être inférieur à 18 mois et qui sera souvent du double (deux périodes synodiques).

On doit donc bien parler d’un projet de base lunaire et d’un projet de village martien. Ce n’est pas pareil ! Le risque à craindre en commençant par la Lune c’est que la difficulté de vie sur cet astre ne décourage d’aller un jour sur Mars qui lui sera assimilée à tort.

Image à la Une : Village lunaire (à gauche, crédit ESA) ; village martien (à droite, crédit SpaceX).