Mars ou Venus? Le choix qui s’impose

Nos deux voisines Mars et Vénus sont aujourd’hui, tout comme la Lune, à portée de nos fusées. La question de leur exploration robotique ne se pose pas. La connaissance approfondie de chacun de ces astres est capitale pour mieux comprendre notre Terre. Mais qu’en est-il de l’exploration par vols habités comme précurseur de l’installation de l’homme en dehors de son berceau ?

« Sortons » tout de suite notre chère Lune des « cibles » possibles comme je l’ai proposé déjà à mes lecteurs à de nombreuses reprises. On peut en effet l’explorer en commandant nos robots à distance en direct depuis la Terre, sans décalage-de-temps (« time-lag ») comme on y est contraint pour Mars ou Vénus, puisque la distance-lumière entre la Terre et la Lune est d’une seule seconde pour la face visible et moins de deux secondes pour la face cachée (via un satellite relais). Par ailleurs on peut aller faire des excursions ou mener des missions sur la Lune « quand on veut » puisque les départs sont possibles tout au long de l’année terrestre. Ceci implique qu’on n’a pas besoin de base-habitée en permanence donc pas besoin de production alimentaire sur place, ni d’installation lourde pour la production locale d’instruments plus ou moins sophistiqués. Bien entendu on peut (il serait préférable de) stocker sur place tout ce qu’on aura transporté depuis la Terre et qu’on pourra utiliser au moins une seconde fois (ou transformer pour un autre emploi) et prévoir une certaine production locale (ISRU pour In Situ Resources Utilization) surtout pour les objets ou équipements massifs mais ce stockage et cette production locale ne sont pas absolument indispensables (du moins tant que les personnes en activité sur la Lune au même endroit, ne sont pas nombreuses). Tout est affaire de coût / bénéfice mais le ratio est beaucoup plus élevé sur la Lune que sur Mars du fait d’un dénominateur (bénéfice) nettement plus bas sur la Lune.

Il faut bien voir que la vie sur la Lune présente d’énormes difficultés : des « jours » de 28 jours, donc les nuits de 14 jours ; une gravité très faible qui gêne les déplacements (on peut difficilement marcher, on sautille) ; l’absence totale d’atmosphère qui ne fournit aucun écran contre les radiations (moins que Mars); l’absence presque totale de glace d’eau (sauf au plus profond, difficilement accessible, de quelques cratères aux pôles) ; la force abrasive de la poussière qui n’a jamais été érodée par l’eau ou par le vent (risque de silicose par la poussière rapportée dans les sas !); la pauvreté minéralogique (la Lune n’a pas connu de tectonique des plaques ni d’évolution géologique notable depuis sa création puisque les seuls événements ont été le lent refroidissement de l’astre et les impacts des météores).

En conclusion, la Lune c’est l’Antarctique de demain.

Parlons brièvement des autres planètes, toujours du point de vue des missions habitées. Mercure, distante de la Terre de 80 à 220 millions de km, est trop près du Soleil (de 46 à 70 millions de km). Sur sa face exposée au Soleil les températures sont beaucoup trop élevées (température moyenne 456 K, soit 183°C, mais minimum 90 K et maximum, face au Soleil, 700 K) et l’accès à son autre face est très difficile (mais quelle que soit la face le voyage est très long ; il faudra 8 ans à la sonde BebiColombo – 2018 à 2025 – pour arriver jusqu’à Mercure après un jeu compliqué de freinages successifs par effet gravitationnel des autres planètes). Saturne et Jupiter sont beaucoup trop loin puisqu’il faudrait plus de 3 ans pour atteindre Jupiter et plus de 6 ans pour atteindre Saturne.

Reste Vénus et Mars puisque ces deux astres sont à portées de nos vols habitées, le temps de voyage étant d’une durée physiquement, psychologiquement et « radiativement », acceptable (ou à la limite de l’acceptable).

Dans le contexte de « la mécanique céleste », le cas de ces deux planètes est très différent de celui de la Lune. D’abord parce que ce sont des planètes, c’est-à-dire qu’elles orbitent autour du Soleil et non de la Terre (on sait cela depuis un certain temps !). Cela implique que non seulement elles sont plus éloignées mais aussi que leur distance à la Terre varie énormément puisqu’elles se déplacent sur des orbites propres et exclusives, différentes par définition de la nôtre, à des vitesses différentes (Lois de Kepler). La distance jusqu’à Vénus varie de 41 à 191 millions de km et celle jusqu’à Mars de 56 à 400 millions de km. Cela implique qu’on ne peut pas aller sur ces planètes « quand on veut ». Mais contrairement à ce que beaucoup de gens croient encore, le critère décisif n’est pas la distance la plus courte tel qu’on la constate visuellement. Comme nous ne sommes pas des êtres de lumière, il nous est totalement impossible de rejoindre l’une ou l’autre planète en ligne droite en ne parcourant que la distance la plus courte (41 millions pour Vénus ou 56 millions de km pour Mars). Les trajectoires sont fonction bien sûr de la distance, mais aussi de la vitesse de déplacement des planètes, de la vitesse de nos vaisseaux et de nos capacités énergétiques. On ne peut partir que tangentiellement à l’orbite de la planète et une fois sorti du puits gravitationnel, on doit freiner ou accélérer, selon que l’on veut descendre vers le Soleil ou s’en éloigner. Dans ce contexte les trajectoires optimales sont des arcs d’ellipse (car le Soleil toujours, et les planètes selon l’objectif et dans leur environnement – sphère de Hill-Roche – exercent une influence gravitationnelle qui les courbe) et on recherche toujours celle qui maximise l’effet de l’énergie embarquée (l’essentiel étant utilisé pour arracher au puits gravitationnel terrestre l’énergie juste suffisante pour emporter la masse du vaisseau plus son réservoir plein, puis arriver à proximité de l’astre cible à une vitesse aussi faible que possible et avec donc le minimum d’ergols nécessaire pour l’atterrissage). Dans tous les cas la trajectoire la plus économique est une demi-ellipse (trajectoire dite de Hohmann). Pour rejoindre Vénus aussi bien que Mars, il faut partir de la Terre lors de l’opposition (un peu avant) et on arrive sur Mars à la conjonction par rapport au point de départ (mais la Terre l’aura dépassée) ou sur Vénus également à la conjonction (mais la Terre ne l’aura pas encore atteinte).

Compte tenu de ce qui précède, les deux planètes se trouvent sur le plan astronautique à peu près dans la même situation, avec un léger avantage pour Vénus. En effet pour y aller, la fenêtre des départs s’ouvre tous les un an et sept mois, tandis que pour aller sur Mars elle ne s’ouvre que tous les deux ans et deux mois. Le voyage optimum (du point de vue rapport énergie consommée sur charge utile embarquée) dure environ 150 jours pour Vénus tandis qu’il dure 270 jours pour Mars (NB: moyennant un surcroit de dépense énergétique, on peut réduire un peu ces durées mais il y a un bémol car on arrive à une vitesse un peu élevée à la hauteur de Vénus).

Cependant l’avantage repasse sans conteste en faveur de Mars si l’on considère le séjour dans la zone la moins inhospitalière de chacune des planètes. Il est impensable de faire vivre des hommes en surface de Vénus (température 450 °C, pression 90 bars) alors que l’homme pourrait sans problème rédhibitoire séjourner en surface de Mars, en prenant des précautions pour ne pas recevoir des « débits-de-doses » (quantité reçue pendant une durée déterminée) de radiations, trop importants. Le seul séjour possible de l’homme dans l’environnement vénusien serait à l’intérieur du volume de « zone-sphérique » de l’atmosphère s’étendant entre 55 et 65 km d’altitude, là où les températures et la pression atmosphérique sont de type terrestre, ce qui est quand même un volume relativement peu épais et très peu sûr puisque descendre en-dessous de 45 km impliquerait une mort certaine (pression et température trop élevées). Par ailleurs même entre 55 et 65 km le vaisseau spatial ne serait pas à l’abri d’entrer dans un nuage d’acide sulfurique ce qui serait « très désagréable » (le vaisseau devrait être impérativement revêtu de tuiles de céramique pour supporter le contact mais ce matériau serait-il entièrement fiable c’est-à-dire sans aucune fissure, après le choc du décollage et sur la durée ? Souvenons-nous des briques de la Navette Columbia !).

La conclusion est que Mars s’impose comme destination de l’homme en tant que « planète-b » en dehors de la Terre. C’est le seul endroit où il serait possible et utile à notre espèce de s’installer. Possible puisque comme nous l’avons vu, les risques d’évoluer sur son sol seraient acceptables. Utile parce que si l’on veut étudier Mars le plus sérieusement possible, il faudra des hommes à côté des machines pour les commander en direct (décalage de temps de 3 à 22 minutes dans un seul sens), utile aussi parce que Mars peut être un conservatoire ou un sanctuaire pour les richesses intellectuelles créés par les hommes, utile encore car avec le temps une communauté humaine installée sur Mars pourrait être porteuse de notre civilisation si elle était détruite sur Terre et utile enfin puisque les séjours ne pourront pas durer moins de 18 mois ce qui impose une installation confortable pour survivre pendant ce laps de temps, qui n’est pas négligeable, dans des conditions acceptables et pouvoir travailler. Et une fois qu’une équipe sera restée 18 mois sur Mars, pourquoi n’y resterait-elle pas 36*?

Il faut donc choisir Mars plutôt que Vénus, sans hésiter parce qu’en fait nous n’avons pas le choix.

*En fait, pour deux séjours successifs, plutôt que de 36 mois, il faut parler de 44 mois sur Mars et de 56 mois en dehors de la Terre car si le voyage aller comme celui du retour, durent chacun 6 mois, il faut repartir de Mars 18 mois après y être arrivé (fenêtre !). Les Terriens eux ne pourront partir vers Mars que 26 mois après le départ précédent  (fenêtre !) et ils n’arriveront sur Mars que 58 mois après le départ antépénultième (26+26+6). Cela implique à chaque fois une période de 8 mois entre le départ de Mars de l’équipe précédente et l’arrivée sur Mars de l’équipe suivante (même si on parvient à réduire, un petit peu, un mois peut-être, la durée du voyage, ce problème de décalage subsistera). On peut penser que pendant ces 8 mois un petit nombre de personnes restera sur place pour que les équipements demeurent fonctionnels et pour accueillir l’équipe suivante qui aura bien besoin d’aide après son long voyage ; un embryon de population permanente en quelque sorte.

Illustration de titre : A gauche, vue du sol de Vénus reconstituée d’après les données radar collectées par la sonde américaine Magellan entre 1990 et 1994. A droite vue du sol de Mars extraite d’un panorama pris par la caméra Mastcam de Curiosity dans le cratère Gale. Crédit NASA/JPL-CalTech. Laquelle des deux planètes vous semble la moins hostile ?

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Index L’appel de Mars 20 10 11

Il s’appelait Samuel Paty, c’est le nom de l’honneur et du courage.

Je voudrais m’associer à la colère qui gronde dans tout le monde civilisé après la décapitation d’un professeur d’histoire parce qu’il avait donné, en France, au 21ème siècle, un cours à ses éléves sur la liberté d’expression. Cette barbarie est inacceptable, sans aucune excuse possible et il ne faut ni l’accepter, ni l’excuser. Il en va de notre avenir sur Terre en tant qu’espèce consciente à la recherche du progrès et toujours des lumières.