Traces de vie. Terre, oui ; Mars, peut-être. Une exposition à Neuchâtel à ne pas manquer

L’exposition “Traces de vie”, certitude sur Terre, hypothèse sur Mars, a été ouverte au public lundi 26 mars ; elle durera jusqu’au 3 décembre. Il s’agit, dans le cadre bucolique du Jardin botanique de Neuchâtel (exposition dans la « Villa ») et grâce au concours de spécialistes reconnus, (1) de comprendre l’environnement terrestre particulier dans lequel le phénomène de la vie est apparu ; (2) de voir quels équipements l’ESA compte utiliser pour savoir si ce même phénomène s’est développé également sur Mars.

Les spécialistes sont l’astrophysicien Jean-Luc Josset, directeur du Space Exploration Institute de Neuchâtel (le « SpaceX » suisse, rien à voir avec l’autre SpaceX) et le biologiste Blaise Mulhauser, directeur du Jardin botanique de Neuchâtel. Les deux ont chacun une équipe parfaitement « branchée » aussi bien sur Mars que sur les problématiques de l’origine de la vie. Au sein de SpaceX, la géologue Marie Josset et le géobiologiste et exobiologiste Tomaso Bontognali connaissent Mars comme s’ils y avaient déjà été. Quant à Blaise Mulhauser, le sujet de la vie le passionne depuis toujours, aussi bien dans le domaine animal que dans le domaine végétal et, bien sûr, de leurs ancêtres eucaryotes et procaryotes. Pour préparer l’exposition ils ont reçu le confort de l’ESA (Jorge Vago, ExoMars Project Scientist), des Universités de Berne, de Neuchâtel, du Musée d’Histoire Naturelle de Berne (Beda Hofmann) et de la Haute Ecole Arc ingénierie ainsi que de chercheurs de renommée mondiale, comme la géologue-exobiologiste Frances Westall (Centre de biophysique moléculaire, Orléans) ou la géologue-exobiologiste Emmanuelle Javaux (Université de Liège).

L’hypothèse à la base de l’exposition, comme d’ailleurs des missions d’exploration martiennes, une éventuelle vie sur Mars (passée ou encore présente), repose sur la similitude entre la Planète Mars et la Terre dans les premières centaines de millions d’années suivant leur accrétion (entre -4,56 et -3,9 ou -3,8 milliards d’années). Dans les deux cas on se trouve en présence d’une planète rocheuse, avec présence d’eau liquide en surface (en zone dite d’« habitabilité ») sous atmosphère. Mars est de ce point de vue plutôt à la marge compte tenu de sa distance au Soleil et de l’excentricité de son orbite mais pendant cette période (essentiellement Hadéen et début Archéen sur Terre, Phylosien sur Mars) l’atmosphère était très dense (surtout au début car la gravité de Mars n’a pas eu la force de la retenir bien longtemps). Mais cela ce sont de « grandes lignes » et il faut probablement descendre loin « dans les détails » pour vérifier l’hypothèse. Nous n’aurons bien sûr de réponse que lorsque nous aurons trouvé, ou non, des traces de cette vie.

Pour ce faire, l’ESA a prévu depuis le début des années 2000 (à l’origine dans le cadre de son programme Aurora) d’envoyer sur Mars un rover (laboratoire mobile robotique), comme l’ont fait à plusieurs reprises les Américains. A partir de cette date, la mission, nommée « ExoMars », va subir de nombreuses vicissitudes. Elle passe d’une association avec les Américains à une association avec les Russes, pour le lancement et l’atterrissage. Elle devait être lancée en 2016 (ce fut heureusement le cas de la partie orbiteur, « TGO » qui fonctionne à merveille), puis en 2018, en 2020, en 2022. Finalement l’ESA a dû renoncer à cette dernière opportunité à cause de l’éclatement de la guerre en Ukraine*. Il a donc fallu reprendre le projet en 2022 pour repartir dans une coopération avec les Etats-Unis (puisque l’Europe ne dispose toujours pas d’un lanceur suffisamment puissant et ne maîtrise pas la technique très « pointue » de l’EDL pour descendre sur Mars). Mais, du coup, des ajustements nombreux doivent être faits. Le résultat c’est que le lancement ne pourra avoir lieu qu’en 2028 ! Ces différents reports sont à la fois impressionnants et très frustrants. On peut toutefois se consoler en considérant que les Russes n’ont jamais réussi à poser sur Mars un laboratoire robotique qui ait fonctionné avec succès (malgré trois semi-échecs/réussites d’atterrissage) et que les Américains maîtrisent, eux, parfaitement la technologie.

*Remarquez que cette guerre n’a pas empêché les Américains de continuer à coopérer avec les Russes dans l’ISS. Les Européens se veulent sans doute moralement plus irréprochables qu’irréprochables !

Le rover européen « Rosalind Franklin » de cette mission ExoMars, (bien présenté à l’exposition) est très clairement conçu pour nous faire avancer dans nos recherches exobiologiques. Il ne faut pas le voir comme une simple copie des rovers américains car il est porteur d’innovations considérables. Tout d’abord, il est équipé d’une foreuse qui lui permettra d’atteindre une profondeur de 2 mètres alors que les forets américains actuels (sur Curiosity ou Perseverance) ne peuvent pas être enfoncés au-delà de 6,5 cm. Cela représente une différence énorme car en raison d’une atmosphère très ténue et de l’absence de protection par champs magnétiques générés par dynamo interne de la planète, le sol de Mars est bombardé depuis des milliards d’années par toutes sortes de radiations cosmiques (galactiques et solaires) qui ont dû détruire toute molécule organique jusqu’à cette profondeur de 2 mètres. Par ailleurs, l’eau liquide de surface s’est forcément sublimée compte tenu de la très faible pression atmosphérique et on ne peut espérer trouver un peu d’humidité que si l’on s’enfonce assez profondément dans le sol (autrement l’eau se trouve sous forme de glace, si la température le permet).

Au-delà de la foreuse, Jean-Luc Josset (PI, Principal Investigator) et son équipe (Beda Hofmann et Frances Westall sont co-PI) ont conçu et fait réaliser un outil essentiel, la caméra CLUPI (CLose-Up Imager) qui est un trésor d’ingéniosité. Cette caméra équipe le bras de la foreuse qui doit examiner le sol avant puis après extraction des échantillons et également au moment de l’introduction de ces échantillons dans le laboratoire d’analyses embarqué dans le rover. Elle bénéficiera d’une capacité de réglage pour de multiples focalisations qui donneront des images claires à différentes distances et toutes ces images seront synthétisées avant l’envoi vers la Terre sur un document unique. A noter par ailleurs que le laboratoire embarqué qui fera l’analyse des échantillons n’utilisera pas d’oxydant pouvant fausser la composition des éventuelles molécules organiques prélevées et que la caméra CLUPI fonctionne sans lubrifiant ce qui est un gage de durabilité compte tenu du temps qui doit encore s’écouler avant utilisation et des conditions environnementales martiennes très dures pour les lubrifiants. Le rover européen pourra également affronter des terrains plus difficiles, en pente et sableux, grâce à des articulations aux « jambes » des roues, qui lui permettront par effet de braquet, de bloquer les roues dans la montée ou la descente.

Mais que s’attend-t-on à trouver sur cette sœur de la Terre ? On déduit de la ressemblance des environnements, que le « réacteur biologique » que constitue la planète aura conduit à la même évolution des matières organiques vers la vie que sur Terre. L’exposition montre dans cet esprit des procaryotes (bactéries ou archées) vivants et des procaryotes fossilisés. Ils montrent aussi des microbialithes, ces structures minérales, parmi lesquelles on classe les stromatolithes, créées par l’activité et le métabolisme des bactéries. Ils montrent aussi les traces plus discrètes de la vie, les plus anciennes formes de procaryotes telles qu’elles ont survécu dans la roche au travers du travail du temps (on est vers -3,5 milliards d’années). On peut cependant reconnaître des volumes de procaryotes par microscope électronique à balayage et confirmer leur nature par analyse chimique (compte tenu de l’évolution des molécules du fait du temps). Au-delà (jusqu’à -3,8 milliards), on ne peut plus identifier sans réserve les formes mais on peut toujours remarquer les assemblages chimiques particuliers, mettant en évidence la présence des fameuses molécules de la vie autour des atomes de carbone, hydrogène, oxygène, azote, souffre, potassium ou encore l’organisation de ces molécules en composés aromatiques ou encore le choix très caractéristique de leur homochiralité (démonstration faite à l’exposition).

Là où je diverge avec mes amis concepteurs de cette exposition, c’est que j’estime qu’ils vont trop vite trop loin, en supposant, c’est cela l’hypothèse, que ces matières organiques se sont organisées également sur Mars en organismes vivants, c’est-à-dire en organismes capables de se reproduire, presque à l’identique (avec quelques « accidents » permettant l’adaptation) en puisant leur matière et leur énergie dans leur environnement. Je ne les suis pas sur cette voie car je pense qu’il y a un saut énorme entre les molécules les plus complexes que peut sans doute produire le réacteur planétaire (il y a déjà complexification dans les astéroïdes) et la vie, c’est-à-dire l’organisation de ces molécules, et seulement elles, au sein d’une cellule qui « fonctionne ». Je pense que ce sont des conditions très particulières sur Terre qui ont permis le saut du prébiotique au biologique et je ne vois pas d’automatisme pour qu’il se réalise ailleurs. La Terre est en effet très “spéciale” ne serait-ce qu’en raison de son satellite de masse anormalement importante, relativement, qui dans les premiers temps évoluait très près de nous, 30.000 à 40.000 km seulement, provoquant de très fortes marées (et l’on sait que l’alternance d’humidité et de sécheresse a été indispensable à certaines réactions chimiques à l’origine de la vie). Ou bien ce sont les fumeurs gris (« Lost City ») dont les emanations s’échappent à grande profondeur le long des dorsales courant au fond des océans, dans des conditions spécifiques aussi bien de minéralogie que de température et de pression et sur un temps très long (les fumeurs gris ne sont pas des fumeurs noirs!). Ou encore des environnements de type Yellowstone en milieu aqueux acide sous une atmosphère riche en azote et en gaz carbonique, à des pressions et températures bien précises. Ou enfin, et ce n’est pas le moins important, un différentiel de taux de pH particulier entre le liquide basique qui sort des profondeurs de la planète et celui de l’environnement de l’Océan. Ce différentiel est évolutif et c’est un différentiel élevé qui a permis, à une époque précise, la mise en route du processus oxydation/réduction à la base de toute chimie de la vie. N’oublions jamais qu’il n’y a eu qu’un seul LUCA (Last Universal Common Ancestor) pour toute vie présente aujourd’hui sur Terre et que depuis près de 4 milliards d’années il n’y en a eu aucun autre (la phylogénétique nous le dit très clairement, sans contestation possible). Bref, il ne faut pas vendre la peau de l’ourse « Vie martienne » avant de l’avoir trouvée…ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas la chercher, bien sûr (et la recherche est d’autant plus “facile”, si l’on peut dire, qu’en l’absence de tectonique des plaques sur Mars, les surfaces datant de cette époque très ancienne, sont extrêmement étendues).

Un autre point de divergence est une réflexion inutile (de mon point de vue) qui est affichée à l’entrée de l’exposition : « il n’y a pas de planète « B ». Pour moi, il est évident au contraire qu’il y a bien pour nous, êtres humains, une planète-B et que cette planète est Mars. J’ai tout à fait conscience des difficultés qu’il y aurait à y vivre mais je sais aussi que notre technologie pourrait nous le permettre. Ce serait bien sûr pour un petit nombre mais un nombre suffisant tout de même pour survivre, pour nous reproduire et pour faire perdurer l’humanité dans des conditions acceptables au cas où la Civilisation (sinon l’Homme) disparaîtrait sur Terre.

Pour terminer je voudrais signaler deux faits qui ont flatté mon égo dans cette exposition. D’abord apprendre que c’est à l’occasion de la convention de la Mars Society Switzerland que j’avais organisée à La Chaux-de-Fonds en 2018 (« EMC18 »), que Jean-Luc Josset (un des sponsors de EMC18) et Blaise Mulhauser ont commencé à discuter de son principe. Ensuite ce fut le plaisir d’y retrouver « ma » double-horloge (« dual clock ») réalisée par Vaucher Manufacture Fleurier pour Baselword 2016 avec mon conseil (voir mon article du 17 mars 2016 sur ce blog)*. Ce bel objet (dimensions : 80 cm x 40 cm) montrant à la fois l’écoulement des temps martien (cadran ocre) et terrestre (cadran bleu), avait, après Baselworld, été exposé à la Convention EMC18 (outre sa présentation à la conférence à l’U3A de Neuchâtel en 2016 à l’invitation de Philippe Terrier et à la conférence à la commune du Val de Travers, organisée par Caroline Houriet, à l’occasion de la célébration du changement d’heure de 2019). Les deux parties de l’horloge sont reliés par un mouvement central instituant un rapport de 1,0275, correspondant à celui existant entre la journée terrestre de 24h00 et le « sol » martien de 24h39 (avec en plus, un décompte de 22 mois martiens et 12 mois terrestres).

*C’était Katia Della Pietra (alors responsable de la communication de Vaucher) qui m’avait contacté et nous en avions discuté avec Pierre-Yves Grüring (constructeur mouvement, chef de projets). Je les salue tous les deux ainsi bien sûr que Caroline Houriet et Philippe Terrier, s’ils lisent ce blog.

Ceci dit je n’émets aucune réserve sur la qualité de l’exposition. Chacun pourra réfléchir sur la probabilité d’une vie martienne à partir de l’excellente documentation présentée. Jusqu’en décembre, Mars sera à Neuchâtel. Vous pourrez même y mettre le pied car une expérience de réalité virtuelle vous permettra de vous promener autour de Rosalind Franklin comme si vous y étiez (et lui aussi !).

liens:

https://www.space-x.ch/

https://hal.science/tel-03572179/document

https://www.jbneuchatel.ch/

NB: Vous pourrez accéder facilement au Jardin botanique de Neuchâtel avec le bus 109 ou le bus 106, en dix minutes à un quart d’heure, à partir de la Place Pury.

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Index L’appel de Mars 23 03 17