Co-évolution et technologie permettent d’envisager le saut des Terriens vers Mars

Je voudrais revenir sur la problématique de la synchronisation et de la coévolution de la biologie avec la minéralogie ou, plus généralement, de l’environnement, en ce qui concerne les perspectives de l’établissement de l’espèce humaine sur Mars.

La coévolution est la résultante sur le long terme des forces chimiques et physiques qui interagissent, la synchronisation est constituée par les ajustements qui se produisent de temps en temps pour ramener l’une des lignes d’évolution dans les limites des possibilités offertes ou plutôt permises par l’autre. Cela devrait inciter les être intelligents que nous sommes au réalisme dans les anticipations.

Sur Terre, pendant très longtemps, plus précisément jusqu’au développement de l’agriculture, la coévolution s’est déroulée en dehors de toute volonté émanant d’un organisme (qui ne pouvait être qu’humain du fait que nous sommes les seuls êtres conscients et « fabers ») du fait des limites de capacité de nos technologies. L’agriculture a été la première expression d’un déséquilibre en faveur de l’homme, entre l’homme et les « forces de la nature ». La synchronisation ou « le rappel à l’ordre », n’intervenant que par les mouvements de population vers les zones les plus productives conduisant à un rééquilibrage de la productivité du fait de la dégradation de la technologie ou plutôt de son usage (cf. les grandes invasions de l’Empire-romain entre les 3ème et 5ème siècles*), ou lors de l’épuisement des sols, s’exprimant alors par la régression de la population (cf. la civilisation Maya vers le 9ème siècle ou la civilisation Khmère vers le 14ème siècle*).

*vous pouvez avoir vos propres références !

Ce n’est qu’avec l’ère industrielle que la vie intelligente devint une contrainte vraiment forte pour l’environnement (mines, charbon, machines à vapeur, travail de l’acier, transports) et elle correspond à l’expansion exponentielle de la population humaine. A partir de ce saut technologique (milieu du 19ème siècle) l’impact sur l’environnement est de plus en plus marqué. Cela ne veut pas dire que la ligne d’évolution environnementale ait perdu sa puissance coercitive sur la ligne d’évolution biologique, cela veut simplement dire que la technologie a repoussé la contrainte, infléchissant la coévolution à l’intérieur d’une marge de fluctuations beaucoup plus large.

Bien entendu la Nature est toujours là et ne peut donner que ce qu’elle a. Le réajustement est inévitable à terme comme le montre les divers signes qui se manifestent dans l’environnement : montée des pollutions de toutes sortes, montée des pourcentages de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, montée des températures au sol, destructions des environnements naturels, disparition des espèces vivantes en concurrence avec l’homme pour leur territoire.

Avec le temps, nous nous sommes habitués à dominer la matière et l’environnement de manière générale et nous pensons que cela nous sera toujours possible. Nous avons évidemment tort non pas tant en ce qui concerne la puissance de la technologie mais plutôt en ce qui concerne la rapidité de la capacité de la nature à s’adapter. La synchronisation de la ligne biologique avec l’évolution environnementale se fera inévitablement. Le problème dans ces phénomènes de masse c’est l’inertie. Le balancier va toujours plus loin que l’ajustement le nécessite et dans ce cas comme dans les précédents, la synchronisation, c’est-à-dire le retour à une situation acceptable par les parties en présence, se fera dans la douleur.

Cependant, ce que tous ne voient pas c’est que nos capacités technologiques nous donnent actuellement les moyens de vivre dans un environnement beaucoup plus difficile que celui qui était le nôtre « à l’origine » (avant la floraison des technologies), ne serait-ce que du fait de l’augmentation exponentielle de la population. Je veux parler ici des différentes formes de production et de transport d’énergie que nous maitrisons (y compris l’énergie nucléaire), des résultats prodigieux de la recherche agronomique (y compris les fameux et trop mal jugés « OGM »), des progrès médicaux, des transports, des télécommunications, de l’industrialisation (qui permet la production unitaire à faible coût), de la mondialisation (qui permet la spécialisation et la concurrence), et tout cela dans un environnement informatique (qui permet la versatilité dans l’immédiateté).

C’est pour cela qu’il nous est possible aujourd’hui d’envisager d’aller sur Mars et d’y vivre. Les contraintes environnementales sur Mars seront très fortes mais leurs valeurs étant connues, la population locale étant par la force des choses (limitation des volumes et des masses transportables) très limitée, l’organisation de la survie et ensuite de la vie, sera moins difficile que sur Terre où le contrôle des diverses parties intervenantes est presqu’impossible du fait de leur nombre et de la pression que chacune exerce (on peut le constater par la difficulté que nous avons à résoudre la crise sanitaire actuelle). Il n’est pas certain que nous survivions à la brutalité de la synchronisation de la vie avec son environnement sur Terre dans les décennies qui viennent (du fait de toutes les complications qu’elle peut engendrer) mais il est possible d’envisager grâce à nos acquis technologiques de greffer une bouture de la vie humaine (et des formes de vie associées) sur Mars. Cela sera possible si suffisamment de ressources créées sur Terre sont affectées au projet. Et au départ ces ressources sont relativement modestes (elles le seront d’autant plus que la motivation pour aller sur Mars sera forte et donc que les « lever » posera moins de problème).

A partir de là une nouvelle coévolution de la vie avec un nouveau partenaire planétaire, pourra commencer avec inévitablement des synchronisations lorsque nous voudrons, encore une fois, aller « plus vite que la musique » comme par exemple aller jusqu’où bout du rêve d’Elon Musk et nous retrouver un million d’hommes sur Mars à la fin du siècle. Pourquoi ne pas s’engager prudemment dans cette nouvelle coévolution en se contentant de quelques milliers puis de quelques dizaines de milliers de personnes ? Son hubris a toujours causé le malheur de l’homme.

*****

NB, petite allégorie ou parabole : il y a bien longtemps, plus de 2 milliards d’années, les premiers « habitants » de la Terre, des algues bleues-vertes, qu’on appelle les cyanobactéries, avaient proliféré à la surface des océans, comme l’homme aujourd’hui à la surface de la Terre. Le processus vital qu’elles utilisaient, la photosynthèse, était nouveau et fonctionnait avec un succès extraordinaire car il disposait d’un environnement extrêmement favorable, l’eau de la mer et le gaz carbonique de l’atmosphère. Leur rejet métabolique était l’oxygène. Petit à petit cet oxygène occupa un pourcentage non négligeable de l’atmosphère, sans doute plus élevé qu’aujourd’hui car il n’y avait « personne », c’est-à-dire, pour se replacer à l’époque, aucun processus biologique, pour l’utiliser. A son pic, lors du « Great Oxydation Event », ce pourcentage parvint à réduire considérablement l’effet de serre résultant du gaz carbonique qui avait été utilisé par la vie. Le jeune Soleil n’était pas assez puissant pour réchauffer suffisamment le sol de la planète sans cette enveloppe et assez rapidement la Terre entière se couvrit de glace (premier épisode de « snowball Earth »), détruisant la quasi-totalité de la vie ancienne de surface (mais pas toute !). La vie avait failli tuer la vie.

Heureusement les volcans se remirent à cracher leur gaz carbonique et leur chaleur depuis les profondeurs, et quelques êtres vivants bizarres, les premiers eucaryotes, se mirent à consommer le poison qu’était jusqu’alors l’oxygène. Ils s’en trouvèrent fort bien car l’oxygène était un excellent oxydant utilisable dans les réactions redox permettant de libérer puis de capter beaucoup d’énergie. Petit à petit la glace fondit et la vie repartit, avec des composants quelque peu différents. C’était il y a deux milliards d’années. La coévolution entre les cyanobactéries et l’atmosphère avait pu se dérouler un certain temps jusqu’à ce que le système environnemental qui l’avait favorisé au début, ne puisse plus le supporter ce qui conduisit à une brutale synchronisation et mit en route de nouvelles lignes de coévolution.

Lecture : “A new history of Life” par Peter Ward et Joe Kirschvink, publié par Bloomsbury Press en 2015.

Illustration de titre: l’homme sur Mars, vue d’artiste, crédit NASA/CalTech. L’homme en scaphandre contemple le paysage de son nouveau monde. Il est arrivé sur ce promontoire avec un rover préssurisé. Le cercle qui encadre la vue est un des hublots du véhicule au travers duquel ses compagnons ont pris la photo. Au fond, loin devant, des lumières brillent, celles de la base, leur foyer.

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :

Index L’appel de Mars 20 09 12

Pour votre information, je donnerai une conférence via Zoom le 29 Septembre de 18h00 à 19h00, sur le thème “Faut-il aller sur Mars?

Cette conférence est un des “événements” organisés par le journal Le Temps.

L’introduction et l’intermédiation avec les participants sera faite par le journaliste scientifique du journal, Fabien Goubet. Inscrivez vous pour participer:

https://www.letemps.ch/evenements/fautil-aller-mars