Synchronisation et coévolution ; nos chances de rencontrer des extraterrestres sont quasi nulles

J’ai évoqué récemment le phénomène de coévolution de la vie et de la matière minérale. Je voudrais aujourd’hui insister d’une part sur l’inévitabilité de la synchronisation de ces deux lignes d’évolution entre elles sur une même planète et d’autre part sur l’impossibilité de la synchronisation de notre évolution avec celle d’autres formes de vie qui pourraient exister ailleurs dans l’Univers. Cela a des conséquences déterminantes sur la possibilité que nous avons de rencontrer un jour dans l’Espace une forme de vie intelligente et communicante n’appartenant pas à l’espèce humaine.

Il faut d’abord bien avoir conscience que la vie tout comme les minéraux sont des formes d’organisation de la même matière. Ensemble, nous sommes la Terre.

Il faut aussi bien voir qu’il n’y a nul automatisme pour aller de la matière d’une planète quelconque jusqu’à notre équivalent (un organisme vivant et a fortiori un être de type humain) ou plutôt que s’il y a automatisme, c’est-à-dire possibilité de répétition, il résulte de l’interaction simultanée et/ou échelonnée dans le temps d’un grand nombre de facteurs dont nous ne comprenons pas encore suffisamment les composants et les processus. Autrement dit, pour simplifier à l’extrême, il ne suffit pas de verser de l’eau liquide sur une roche stérile pour déclencher le processus de vie mais il ne suffit pas non plus pour l’obtenir, de projeter quelques éclairs dans une atmosphère d’hydrogène, de méthane et d’ammoniac (comme voulait le démontrer Stanley Miller en 1953). Et il ne suffit pas davantage qu’une exoplanète soit située dans la zone dite habitable d’une étoile proche ou lointaine pour qu’elle soit habitée de petits-hommes-verts (ou autres).

La combinaison nécessaire est à considérer à plusieurs niveaux : présence des éléments chimiques et environnementaux indispensables, accès à une énergie suffisante, durée suffisante permettant à l’évolution de se développer et d’aboutir, accidents endogènes ou exogènes créant les embranchements permettant l’orientation adéquate de l’évolution; persistance suffisante dans le temps du phénomène, pour permettre la coexistence et la communication entre plusieurs processus biotiques similaires sur des planètes différentes.

Concernant les éléments et l’énergie (on pourrait presque dire « les ingrédients »), si la vie n’était pas possible dans un Univers jeune donc pauvre en « métaux » (puisque ceux-ci ont été accumulés par les nucléosynthèses stellaires au fil de l’Histoire), on peut supposer qu’elle a/aurait pu se manifester ailleurs à notre époque (au sens large), sur une planète tellurique dans la zone habitable d’un système comparable au nôtre (étoile de masse moyenne c’est-à-dire suffisamment stable et durable dans le temps, ce qui exclut d’une part les naines rouges et d’autre part les étoiles géantes). Cette similitude nécessaire doit être étendue à la présence suffisante d’eau, ce qui suppose déjà une anomalie dans l’histoire planétaire : la réhydratation du disque des planètes proches de leur étoile (i.e. en recevant suffisamment d’énergie) après leur accrétion et un certain refroidissement de leur croûte, par averses provoquées de météorites glacées*. Nous avons bénéficié du rebroussement du couple Jupiter-Saturne mais un phénomène ayant le même effet est-il si fréquent ailleurs dans l’Univers ?

*même si aujourd’hui certains (comme Laurette Piani du CNRS) pensent que l’eau provient surtout de roches très riches en hydrogène (chondrites à enstatite -CE) incorporées à la Terre lors de son accrétion. Il faut peut-être attendre un peu avant d’en être vraiment certains. Quoi qu’il en soit les planètes voisines, Vénus et Mars, soit n’ont pas bénéficié des mêmes apports (ce qui semble peu crédible), soit n’ont pas su les transformer en eau par réaction des CE avec les roches riches en oxygène (on ne voit pas pourquoi), soit on perdu très tôt leur eau (la totalité pour Vénus et une très grande partie pour Mars) pour une raison ou une autre; ce qui fait toujours de la Terre une planète probablement exceptionnelle.

Dans ce contexte il a fallu passer par plusieurs étapes, possibles puisqu’elles ont été franchies sur Terre, mais elles étaient non prévisibles ou programmables. Une des plus importantes, celle que je prendrai comme exemple en la développant ci-dessous, est la formation de notre LUCA, Last Universal Common Ancestor, ou peut-être de son semblable, antérieur mais sans descendance.

Pour qu’elle soit possible, il a fallu certains éléments chimiques, principalement du carbone et de l’hydrogène mais aussi de l’oxygène, de l’azote, du phosphore, du souffre et autres, de l’énergie, un dispositif de réplication (ARN), une compartimentation (cavité puis membrane), un dispositif d’évacuation des rejets métaboliques hors du « compartiment ». Mais il a fallu aussi un environnement favorable : de l’eau liquide en flux continu (dès le début, le mouvement c’est la vie !), à une certaine pression et à une certaine température et un différentiel de pH accélérant les échanges d’électrons, dans un environnement riche en minéraux catalyseurs (comme du fer ferreux ou certains sulfures métalliques).

De plus en plus, l’hypothèse que les conditions nécessaires et suffisantes au démarrage du processus biotique conduisant à la vie se seraient déroulées sur Terre au fond de l’Océan dans l’environnement des « fumeurs gris », apparait comme la plus séduisante. Je parle ici non pas des « fumeurs noirs », cheminées qui courent le long des dorsales océaniques, crées dans la violence par l’eau enrichie de minéraux mafiques provenant quasi directement du sous-sol magmatique, mais de ces autres « fumeurs », concrétions plus discrètes mais plus pérennes se développant sur des périodes beaucoup plus longues, des dizaines de millénaires, à quelques km de ces lignes de monstres noirs. Les flux d’eau provenant par fissures proches des dorsales du sous-sol qui en est imprégné, auraient interagi avec divers silicates (très abondant dans l’écorce terrestre) dont l’olivine pour donner de la serpentinite et pour en même temps libérer de l’hydrogène dans des fluides alcalins chauds contenant des hydroxydes de magnésium. Encore aujourd’hui, puisqu’ils sont chauffés par un magma peu éloigné (mais plus que celui sous-jacent aux fumeurs noirs !), ces flux montent vers la surface alors que l’eau de l’Océan, froide, chargée en sels divers et relativement acide, descend. Au contact, les sels précipitent et des édifices se forment (la première de ces formations, découverte en 2000, fut nommée « Lost City »). Comme les flux de liquides sortant des fumeurs gris sont beaucoup moins violents que ceux qui sortent des fumeurs noirs, les structures sont plus délicates et elles sont microporeuses (des éponges plutôt que des cheminées). Le milieu est idéal pour la concentration de certaines molécules organiques lourdes (carbone avec hydrogène et « autres ») et la dissipation à l’extérieur d’autres molécules plus légères et bien sûr les interactions de tous ordres entre elles. C’est très probablement ce qui a dû se passer…mais qui ne pourrait plus se passer aujourd’hui pour conduire à l’aboutissement qu’a été notre LUCA.

Vous avez vu la particularité du processus. Déjà beaucoup de facteurs différents et très particuliers sont impliqués. Mais comme je l’évoquais, ce n’est pas tout car aujourd’hui ce milieu serait loin d’être aussi incitatif qu’il l’était. Ce qui a changé entre la fin de l’éon Hadéen (il y a 4 milliards d’années) et aujourd’hui ce n’est pas le flux d’eau chaude alcaline du sous-sol vers l’Océan, c’est le pH de l’eau de mer…et c’est très important. Dans l’Océan primitif il n’y avait pas d’oxygène mais beaucoup de gaz carbonique (100 à 1000 fois plus). Le fer porté par les flux s’échappant des fumeurs noirs s’y dissolvait sous forme de fer ferreux (« BIF », formations de fer rubanées) et précipitait sous forme d’hydroxyde et de sulfure de fer, excellents catalyseurs. Avec sa teneur en gaz carbonique, l’eau de l’Océan était acide (pH 5 à 6) alors qu’elle est neutre à légèrement basique aujourd’hui. On avait donc à la fin de l’Hadéen entre les flux alcalins provenant des fumeurs gris et l’eau acide de l’Océan, un différentiel important (d’au moins 4 nombres) qui facilitait l’échange d’électrons entre l’hydrogène et le gaz carbonique pour permettre la formation d’énormément de matières organiques. Aujourd’hui après l’oxygénation de l’Océan, ce différentiel est devenu très faible et la réaction chimique n’est plus possible avec la même intensité. Mais le créneau pendant lequel ce même différentiel a été optimum (suffisamment incitatif) a été très court puisque l’interaction entre la roche et l’eau l’a rapidement modifié.

Tout ce long développement pour mettre en lumière le fait que « les choses changent » et que l’évolution de l’environnement n’a pu interagir avec celui de la vie que si le processus y conduisant a commencé quand les conditions étaient favorables et qu’il ait eu le temps de se développer. Imaginez une planète plus sèche que la Terre primitive ou une planète dont la croûte est devenue rapidement plus épaisse que celle de la Terre (Mars peut-être ?), et on n’aurait pas eu suffisamment de temps pour que ces molécules s’assemblent dans les porosités des fumeurs gris avec suffisamment d’essais et d’erreurs et de transformations / enrichissements pour qu’un jour une cellule autoreproductrice apparaisse et amorce le processus dont nous venons et que nous perpétuons, nous tous les êtres vivants, générations après générations. La synchronisation efficace suppose non seulement une coévolution mais aussi une abondance de matière susceptible d’être utilisée par l’énergie mise en œuvre par le réacteur planétaire et un temps d’évolution suffisant.

L’histoire de la vie, notre Histoire, est jalonnée de passages comme celui-ci : d’abord l’accumulation d’oxygène par rejet métabolique des algues bleues-vertes proliférant dans l’Océan atteignant un pic et déclenchant une glaciation planétaire parce que l’irradiance solaire n’est pas encore suffisamment forte ; deux milliards d’années après la fin de l’Hadéen, l’« invention » extraordinaire des eucaryotes, êtres symbiotiques improbables utilisateurs de cet oxygène, solution énergétique miracle pour gagner en puissance et permettre la constitution de métazoaires puis d’animaux il y a environ 600 millions d’années ; par ailleurs, un peu après la fin de l’Hadéen, le déclenchement d’une tectonique des plaques horizontales plissant la croûte terrestre pour y créer des surfaces émergées; depuis l’apparition des premiers continents, leur dérive continue à la surface du globe, modifiant les interactions atmosphériques avec cette surface et le climat ; et de temps en temps un astéroïde pour réorienter le rôle ou l’importance des taxons d’espèces vivantes les uns par rapport aux autres.

Ces différents passages ou événements ont entraîné la coévolution vie/minéraux sur une certaine trajectoire. La synchronisation de l’évolution de la vie avec celle des minéraux est parfaite, à terme, car à chaque écart « intolérable » par l’environnement, le réajustement se fait brutalement après une certaine latence. Cette trajectoire nous est donc propre. Maintenant si nous parvenons à greffer notre vie sur une autre planète, une nouvelle coévolution commencera et de nouveaux ajustements dans la synchronisation de ses deux branches d’évolution se fera inévitablement (taille des futurs martiens, puissance de leur pompe cardiaque, etc…sans oublier une nouvelle évolution de la minéralogie martienne à partir de l’existant et des éléments que nous apporterons par notre vie même et notre action sur la matière locale).

Si le phénomène de la vie a émergé « ailleurs » que sur Terre, des accidents différents par rapport à une base planétaire forcément différente, ont créé une Histoire différente. Il serait « miraculeux » qu’elle ait donné un « produit fini » ayant la plupart des caractéristiques de l’espèce humaine (ce qui n’exclut pas a priori des organes sensoriels ou moteurs ayant les mêmes fonctions chez ces hypothétiques êtres vivants « semblables »).  Mais imaginons que tel soit le cas, il n’y a quasiment aucune chance que dans notre petit coin du ciel (disons à moins d’une dizaine d’années-lumière pour que nous puissions communiquer), une coévolution ait produit une espèce intelligente et communicante au même moment que sur Terre. Cette autre espèce, si elle existe, peut être apparue il y a une centaine de millions d’années ou n’apparaitra que dans une centaine de millions d’années. Cela ne change rien si, voulant être plus optimiste on ne « prend » que 10 millions, c’est-à-dire l’équivalent d’une seule de nos secondes sur des échelles de temps qui s’allongent sur quelques milliards d’années. Notre espèce ne s’est séparée du singe qu’il y a un peu plus de 7 millions d’années. Il y a cent millions d’années les dinosaures étaient « en pleine forme » ; que serons-nous devenus dans 100 millions d’années ou dans 10 !

La synchronisation avec la planète où nous vivons est obligatoire et elle ne garantit pas l’éclosion de la vie. La synchronisation de notre parcours biologique avec une vie intelligente et communicante sur d’autres planètes accessibles par un moyen de communication quelconque, apparaît extrêmement improbable.

Illustration de titre : la spirale des temps géologiques vue par Graham, Joseph, Newman, William and Stacy, John (United States Geological Survey);

Lectures :

The vital question par Nick Lane, University College, Londre, Dept de Génétique, Evolution et Environnement, publié chez Profile Books, Angleterre, 2015.

L’Unique Terre habitée ? par le Professeur André Maeder (Université de Genève), publié chez Favre, 2012.

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