Gravité quand tu nous tiens !

On regrette souvent que Mars soit plus « petite » que la Terre (1/10ème de sa masse) et que le champ de pesanteur à sa surface (bien sûr d’origine gravitationnelle) ne génère qu’une accélération de 3,711 m/s2 (0,371 g) contre 9,806 m/s2 à la surface de la Terre. On a tort car une planète sensiblement plus massive que Mars serait moins facile à explorer par vols habités et il serait plus difficile de s’y installer.

On sait que des « super-terres », planètes rocheuses plus massives que la Terre (jusqu’à 10 fois, au-delà on parle de « méga-terres »), orbitent autour d’étoiles pas trop lointaines (quand même plusieurs années-lumière) et certains rêvent de pouvoir explorer physiquement « un jour » celles qui se trouvent dans la « zone habitable » de leur étoile (définie par une irradiance permettant l’eau liquide) comme, par exemple, Gliese 832c (illustration de titre). Il n’est certes pas impossible qu’on puisse y envoyer « un jour » des instruments d’observation (avec d’autres systèmes de propulsion que ceux dont nous disposons aujourd’hui) mais pour des hommes qui souhaiteraient y séjourner puis en repartir ce serait une autre affaire.

Il faut d’abord dire que si on a détecté beaucoup de ces super-terres c’est qu’elles sont plus faciles à « voir » depuis notre Terre du fait qu’elles sont plus grosses que les simples « terres » et le plus souvent dans l’environnement d’étoiles peu massives et peu lumineuses (type « naines-rouges »). Il est donc moins que certain qu’elles soient plus nombreuses que les autres planètes plus petites.

Sur le plan planétologique qui dit masse plus importante, dit intérieur planétaire plus chaud (chaleur provenant de l’énergie cinétique d’origine + désintégration lente des métaux radioactifs que sont, par exemple, en ce qui nous concerne, le thorium-232, « 232Th », l’uranium-238, « 238U », et le potassium-40, « 40K »), tectonique des plaques plus active (idem pour ses corollaire, les tremblements de terre et le volcanisme), atmosphère plus épaisse, donc « habitabilité » (au sens terrestre) non forcément meilleure (pour ne pas dire « plus mauvaise »), sans parler des effets de la gravité sur les objets ou personnes évoluant en surface !

Le premier effet négatif d’une gravité plus forte, serait une vie plus difficile pour des Terriens. Autant il est possible d’envisager la vie sur Mars ou même sur la Lune, le poids d’une même masse étant moindre que sur Terre ce qui permet les déplacements sans fatigue et la circulation interne du sang sans risque d’une moindre irrigation du cerveau, autant on aurait les conséquences contraires dans un environnement soumis à une gravité plus forte que sur Terre. Et pas d’échappatoire ! Sur la Lune ou sur Mars on peut envisager de porter de lourdes combinaisons spatiales avec accessoires (entre 60 et 80 kg) sans problèmes (et il le faudra) puisque notre corps est structuré pour porter son poids terrestre. Sur une super-terre il faudrait quasi nécessairement porter également une combinaison avec accessoires (pour au moins se protéger d’une atmosphère probablement irrespirable et de températures incommodes sinon insupportables) mais cela ne ferait qu’aggraver les choses au point de vue du poids. Le corps se fatiguerait vite. Les exosquelettes pourraient compenser le handicap mais il faudrait les porter constamment et rien ne pourrait pallier la faiblesse relative du cœur pour pomper efficacement le sang vers le cerveau lorsque le corps est en position verticale (on a noté un afflux de sang trop important vers cet organe vital dans le contexte de quasi apesanteur de l’ISS et il faut donc bien que, par symétrie, l’insuffisance se manifeste lorsque la gravité est trop forte).

Le second effet négatif serait un atterrissage difficile mais surtout un redécollage pratiquement impossible. En effet la vitesse de satellisation à partir de la surface de la Terre est de 7,9 km/s, la vitesse de libération est de 11,2 km/s et la vitesse d’injection en trajectoire martienne (jusqu’au voisinage de Mars) est de 3,8 km/s s’ajoutant aux 7,9 (soit 11,7 km/s). Pour atteindre Mars et y déposer 100 tonnes ou 100 passagers avec 50 tonnes de charge utile, le véhicule conçu par SpaceX (lanceur « Super-Heavy » + vaisseau spatial « Starship ») a des dimensions et des masses qu’il est difficile de dépasser. Super-Heavy pèse 3065 tonnes (rempli de ses 2728 tonnes d’ergols). Le Starship a une masse de 1335 tonnes (120 tonnes sèches…mais il faut lui apporter 1100 tonnes d’ergols et il peut emporter 115 tonnes de charge utile). L’ensemble pèse donc (au maximum) 4400 tonnes au départ de la Terre et mesure 118 mètres de hauteur. La poussée au départ est de 7400 tonnes* (donnée par 37 gros moteurs « raptor ») et il faut la soutenir pendant un certain temps. On voit bien que toute masse de planète supérieure à celle de la Terre (ou même légèrement inférieure) pose problème et ce problème serait évidemment aggravé en cas d’atmosphère plus dense et plus épaisse (plus la vitesse augmente, plus la densité relative de l’atmosphère augmente et plus elle devient un facteur de ralentissement du corps qui la pénètre) or une gravité plus forte est susceptible de retenir une masse atmosphérique plus importante. On peut imaginer repartir de Mars avec 100 tonnes de charge utile et seulement un starship, sans son super-heavy. C’est relativement facile car compte tenu de sa masse relativement petite, la planète Mars impose une vitesse de libération de seulement 5 km/s. Mais si la super-terre était d’une masse égale à celle de la Terre (ou légèrement inférieure), il faudrait réutiliser pour en repartir le même dispositif que pour partir de la Terre, c’est-à-dire non seulement un starship plein d’ergols mais aussi (et d’abord) un super-heavy. Pour toute masse planétaire encore supérieure, le dispositif serait insuffisant et notre fusée géante serait bien incapable de retourner placer sa charge utile en orbite et plus encore d’atteindre sa vitesse de libération. On pourrait donc sans doute descendre en surface sans s’écraser (en consommant beaucoup d’énergie et surtout en se freinant à l’aide d’une atmosphère plus épaisse) mais une fois arrivés, on devrait y rester !  Pensons-y avant d’envisager y aller (heureusement ce n’est pas d’actualité !). Et n’oublions pas qu’une planète de type terrestre (de même masse que la Terre donc plus petite que les super-terres) comme par exemple l’hypothétique lune Pandora du film « Avatar » de James Cameron orbitant autour de l’hypothétique géante gazeuse Polyphème du système d’Alpha Centauri A, poserait également problème car comme dit plus haut, le starship avec ses six moteurs serait tout autant incapable d’en repartir. Apporter sur la planète un super-heavy pour remonter le starship en orbite compliquerait et renchérirait les voyages (et, pour les premiers voyages, supposerait qu’on pose l’intégralité du vaisseau et de son lanceur sur la planète en comptant de plus sur la production robotisée sur place des ergols de retour…en très grosses quantités, sans oublier la vérification et remise en état du lanceur déjà utilisé avant de le réutiliser…ce qui suppose une certaine capacité logistique).

*pour comparaison, la poussée de la version la plus puissante du nouveau lanceur européen, Ariane VI (avec 4 “booster”), est de 1530 tonnes (et elle pourra placer 10 tonnes en orbite terrestre (LEO). Elon Musk dit qu’il veut pour son Super-Heavy, un ratio de poussée / masse d’au moins 1,5 et qu’il envisage éventuellement de porter la masse à soulever à 4920 tonnes (3500 + 1420).

Le seul effet bénéfique de la masse de ces super-terres, outre leur capacité à retenir une atmosphère du fait de leur force d’attraction gravitaire, c’est qu’elles doivent probablement générer un puissant champ magnétique autour d’elles. En effet, du fait de la pression générée en leur centre par la gravité résultant de leur masse, leur noyau métallique doit être solide au centre et liquide en périphérie, de quoi générer un bel effet dynamo. Le champ magnétique qui doit en provenir doit donc contribuer fortement à la protection contre les radiations, galactiques et stellaires.

Donc ne rêvons pas trop de super-terres, de toute façon bien lointaines, comme des havres possibles pour l’humanité. Méfions-nous quand, dans les média, on les assimile à la Terre et apprécions la chance que nous avons de disposer à notre portée, d’un astre relativement hospitalier selon nos critères, la planète Mars, pour nous « exercer » à l’exploration planétaire par vols habités et à la vie sur un autre sol que celui de la Terre.

*NB : Evidemment le jour où nous pourrons construire des « îles de l’espace » comme le voulait Gerard O’Neill, on pourra choisir sa gravité (en fonction tout de même du rayon du cylindre de l’île pour limiter les effets négatifs de la “force” de Coriolis) et accoster sans problème à son lieu de vie (sans consommation d’énergie pour lutter contre les effets de la gravité). Ce serait la meilleure solution du point de vue de la gravité subie. J’espère que ce sera possible un jour mais nous n’en sommes pas encore là.

Lien :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mission_habit%C3%A9e_vers_Mars

Image de titre :

Gliese 832c et la Terre, vue d’artiste.

Gliese 832c se trouve à seulement 16 années-lumière de la Terre, autrement dit « à côté ». Sa masse n’est que de 5 fois celle de la Terre…On pourra sans doute y accéder un jour mais si on s’y pose, il ne sera pas facile d’en repartir.

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Index L’appel de Mars 19 11 05