Après le succès du SN15, Elon Musk veut passer très vite aux tests de mise en orbite du Starship

Elon Musk est un homme pressé (et nous aussi). Il veut aller sur Mars (et nous aussi) et il ne perd pas de temps. Le test d’altitude SN15 a été un succès et sans attendre il prépare maintenant les tests de mise en orbite de son Starship. Cela implique outre les SN (Serial Number), prototypes pour le vaisseau, les BN (Booster Number) qui sont des prototypes du lanceur (« booster ») SuperHeavy. Il a demandé un accord de la FAA (Federal Aviation Administration) pour utiliser sa base de Boca Chica, nommée désormais « Starbase » *, pour des lancements à partir du 1er juillet de cette année 2021 et a déposé le 13 mai dernier un dossier exposant son programme auprès de la FCC (Federal Communications Commission) pour avoir le droit d’utiliser un système de télécommunication pour équiper son SN pendant ce premier vol longue distance (« experimental orbital demo and recovery test of the Starship test vehicle »).

* Boca Chica se trouve à l’extrême Sud du Texas, sur le bord du Golfe du Mexique et à la frontière de l’état du Mexique.

Voyons d’abord d’où il part.

Comme chacun s’en souviendra, le 6 mai de cette année, le SN15 a atterri, sans exploser, après avoir fait des essais en altitude (ce n’était que le cinquième) : ascension jusqu’à 10 km à l’aide de ses trois moteurs raptors atmosphérique, vol à l’horizontal avec manœuvres utilisant les plans canard (petits ailerons mobiles à l’avant) et les ailerons, extinction puis réignition des moteurs, atterrissage. Il y a eu un petit incendie après l’atterrissage à la base du SN (vidange d’un moteur ?) mais il a été rapidement maitrisé. Autre imperfection dans le vol, le fait que le SN soit revenu au sol avec seulement deux moteurs en fonction, le troisième ne s’étant pas rallumé.

La suite.

Apparemment la défaillance du troisième moteur n’a pas été considérée comme un problème méritant un nouvel essai car non seulement le SN15 a été retiré de l’aire de lancement et relégué au « rocket-jardin » (espace d’exposition) le 14 mai mais il a été décidé que l’on passait à l’étape suivante (« phase 3 »), c’est-à-dire la mise en orbite (à au moins 250 km d’altitude) suivi d’un petit vol orbital. La société a demandé une autorisation à la FAA (Federal Aviation Administration) pour pouvoir le faire dès ce mois de juillet*. Il pourrait toutefois y avoir un vol d’altitude préparatoire qui utiliserait le SN16 et qui serait un test de vitesse hypersonique que la structure des SN n’a pas encore approché. Le SN16 a été retiré du pas de tir pour être préparé à ce nouvel objectif (il aurait été utilisé comme le SN15 pour un vol d’altitude si ce dernier avait échoué). Quant au SN17 qui devait être la répétition des SN précédents au cas où ils auraient échoué, il a été conduit dans l’espace où les structures non utilisées ou qui ne sont plus utilisables, sont démantelées, exprimant ainsi clairement l’intention de SpaceX de ne pas s’éterniser sur les vols en altitude basse.

*à ce jour la FAA n’a pas encore donné son autorisation car certains écologistes extrémistes américains sont intervenus auprès d’elle après avoir exprimé leurs craintes pour la population des ocelots qui habitent la région de Boca Chica. Ils n’avaient apparemment pas été particulièrement dérangés par les lancements précédents de SpaceX (il est vrai effectués avec des poussées moins fortes) mais cette intervention est bien dans les habitudes des écologistes extrémistes, américains aussi bien qu’européens, de mettre des bâtons dans les roues de tout projet ayant un impact sur l’environnement et considéré par eux comme inutiles ! Dans ce domaine, il y a toujours un déséquilibre avantages / inconvénients à considérer mais le démarrage du programme Starship devrait être « sanctuarisé » (et la suite également puisque c’est la survie de l’humanité qui peut être en question).

Parallèlement le Starship est préparé pour la mise en orbite. Cette fois, le SN (ce sera le numéro 20) sera placé au-dessus d’un BN (ce sera le numéro 2, nouveau nom du « 3 ») puisqu’il faut un lanceur pour donner au vaisseau la vitesse requise. La vitesse de satellisation (minimum pour la Terre, 7,9 km/s soit 28440 km/h) n’est en effet acquise qu’au prix d’une double impulsion. La première se fera au niveau du lanceur pendant seulement 169 secondes, et une fois les ergols du BN presque totalement épuisés (il faut en garder un peu pour le retour sur Terre !), le SN prendra le relai, avec ses trois moteurs raptor adaptés au vide (qui s’ajouteront aux trois moteurs atmosphériques), pendant 591 secondes. Mais, 2 secondes après l’arrêt de ses moteurs, la masse du lanceur (340 tonnes à vide, avec enveloppe, réservoirs et moteurs), aura été détachée du vaisseau et sera repartie se poser sur Terre (en fait, en principe, sur une barge à 32 km au large des côtes, 495 secondes après le lancement). Car bien entendu le lanceur doit être réutilisable en application du grand principe innovateur de SpaceX de récupération/réutilisation (pour le coup parfaitement écologique).

Déjà, sur le site de Boca Chica, les équipes de TP et les ingénieurs s’affairent. L’ensemble du Starship atteindra la hauteur impressionnante de 120 mètres (50 mètres de SN plus 70 mètres de BN). La tour de lancement, encore plus haute, (450 pieds soit 137 mètres) et les réservoirs d’approvisionnement en ergols, Méthane, Oxygène et Azote (ce sont des coques de SN, munies chacune d’un seul réservoir au lieu de deux et elles sont enveloppées d’une isolation) sont construits en même temps en toute hâte (la tour a reçu son 5ème module, sur 8, à mi-juin). Tour et réservoirs d’approvisionnement font partie de ce que SpaceX appelle le GSE (Ground Support Equipment). Il est prévu que « plus tard » la même tour de lancement soit équipée d’une sorte de pince géante, pour saisir les lanceurs à leur retour sur Terre. En même temps les ingénieurs et ouvriers rehaussent le socle de la table de lancement du pas de tirs (plus haut que pour les Falcons) et produisent une nouvelle table (elle-même plus large).

Il faut dire que le test portera avant tout sur le BN. Il doit faire fonctionner en même temps ses 29 moteurs raptor, ce qui n’a jamais été fait et comporte une probabilité de disfonctionnement élevée (cas où le fonctionnement d’un des moteurs perturbe celui de ses voisins). Cependant il faut noter que SpaceX a déjà fait voler le lanceur de son Falcon Heavy avec trois batteries de 9 moteurs (trois vols, avec succès depuis février 2018, 7 vols prévus jusqu’en 2024). C’était des moteurs Merlin, moins puissants que le Raptor et il n’étaient pas ensemble dans le même propulseur mais dans trois séries côtes à côtes. Une seule simulation sera faite au sol pour la poussée simultanée des moteurs (en l’occurrence 9) sur autant de pistons, avec une section de BN arrimée, le BN2.1. Il est prêt à être mis à feu.

Si la mise en orbite réussit, le SN partira vers l’Est au-dessus du Golfe du Mexique et se posera autant que possible en douceur (pour des raisons de sécurité), après seulement 90 minutes de vol, à 100 km à l’Ouest de Kauai, la plus occidentale des iles Hawaïennes. Le vol bénéficiera du concours des autorités américaines (FCC, US Air Force, NASA et FAA). L’atterrissage se fera avec utilisation des moteurs pour rétropropulsion ce qui implique que ce ne sera pas une rentrée incontrôlée dans l’atmosphère mais déjà une préparation à l’atterrissage pour récupération. Il n’est pas prévu que ce premier SN orbital soit récupéré mais il y aura suffisamment de capteurs à bord pour savoir « tout ce qu’il faut » sur son comportement pendant tout le test.

Il faut dire que la NASA compte beaucoup sur la faisabilité de ce Starship puisqu’il est devenu contractuellement un des éléments de son programme « Artemis » de retour sur la Lune (segment entre l’orbiteur lunaire, le « Lunar Gateway », et la surface de la Lune). A noter que le Starship lunaire, nommé « HLS » (Human Landing System), n’aura ni bouclier thermique ni dispositif d’utilisation du flux d’air (ailerons et plans canards) puisqu’il ne sera utilisable que dans l’espace sans atmosphère (c’est plus simple !). Comme on le sait, le choix de SpaceX par la NASA a été contesté par ses rivaux mais le HLS présente tellement d’avantages de performances et de coût, qu’il sera très probablement confirmé.

Par son caractère entier et passionné, Elon Musk me fait de plus en plus penser aux héros du livre « De la Terre à la Lune » de Jules Verne. Nous vivons aujourd’hui ce que la science-fiction nous faisait entrevoir hier (1865). Le tir du « projectile » de Michel Ardan a été un plein succès (dans l’imagination de Jules Verne) puisqu’il a tourné autour de la Lune ! La différence entre romanciers et ingénieurs c’est que ces derniers doivent être beaucoup plus précis que les premiers car eux doivent faire voler de vrais vaisseaux spatiaux. A noter que le « projectile » était en aluminium et non en acier, que le départ se faisait à Cap Canaveral et qu’Elon Musk est tout à la fois, Michel Ardan et Impey Barbicane, capitaliste et ingénieur. Par ailleurs l’ingénieure en chef d’Elon Musk est une femme, Gwynne Shotwell et elle est aussi une « businesswoman » puisqu’elle est directrice de SpaceX. Comme quoi les temps ont changé !

illustration de titre: Le Starship s’élançant vers l’orbite terrestre. Crédit SpaceX (vue d’artiste!).

Liens :

https://www.youtube.com/watch?v=fBa3V3WkMs0

https://www.youtube.com/watch?v=hL1aqlXJJSs

https://spacenews.com/spacex-outlines-first-orbital-starship-test-flight/

https://www.faa.gov/space/stakeholder_engagement/spacex_starship/

https://www.faa.gov/space/stakeholder_engagement/spacex_starship/media/SpaceX_Starship_Super_Heavy_Boca_Chica_Scoping_Summary_Report.pdf

https://interestingengineering.com/elon-musk-spacex-starship-sn16-hypersonic-flight

https://www.cnbc.com/2021/05/13/spacex-first-orbital-starship-rocket-flight-plan-revealed.html

Article de mon « collègue » Eric Bottlaender sur Clubic (15/06/2021) qui m’a alerté sur le sujet:

https://www.clubic.com/spacex/actualite-374829-starship-apres-les-sauts-spacex-se-prepare-pour-l-orbite.html

Eric est ingénieur ENSISA (Ecole Nationale Supérieure d’Ingénieurs de Sud Alsace), spécialisé en mécatronique, robotique et automation. Il a notamment travaillé comme ingénieur R&D chez ISL (Institut franco-allemand de recherche de Saint-Louis), chez Global Sensing Technologies (Dijon) puis chez Xamen technologies (Pau). Co-auteur d’un livre avec Pierre-François Mouriaux, journaliste à Air & Cosmos (« de Gagarine à Thomas Pesquet), il se présente comme « space writer » (et il est aussi « en recherche d’emploi »). Voir son site : https://twitter.com/Bottlaeric?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor

Illustration ci-dessous: le BN2 sur le point d’être tracté en dehors de son hangar d’assemblage. Notez bien qu’il fait 70 mètres de hauteur!). Photo, crédit SpaceX.

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :

Index L’appel de Mars 21 06 25