Pourquoi pas un Starship à propulsion nucléaire pour compléter les capacités du Starship à propulsion chimique ?

Avec la propulsion nucléaire thermique (« NTP ») le voyage jusqu’à Mars pourrait durer deux mois au lieu de six. Cela serait très appréciable pour les passagers humains puisque, notamment, le temps d’exposition aux radiations cosmiques serait réduit de quatre mois. Ceci dit, les transports d’équipements ne requérant pas de protection-antiradiations particulière pourront toujours se faire à bord de vaisseaux Starship à propulsion chimique. On peut donc envisager, en créant une version NTP du Starship « classique » à propulsion chimique, d’utiliser pour les deux versions un accès à l’orbite terrestre en utilisant le même lanceur SuperHeavy. De toute façon nul vaisseau à NTP ne sera autorisé à partir de la Terre une fois son réacteur à fission activé et, une fois le réacteur activé en orbite haute, aucun de ces vaisseaux ne sera autorisé à revenir sur Terre.

Il faut donc réfléchir à la possibilité de cette adaptation en sachant que cette solution impose un entretien du vaisseau NTP resté en orbite haute (si on veut s’en servir plus d’une fois !) ainsi qu’un transbordement des passagers et de leurs bagages sur cette même orbite ; ces deux opérations pouvant être effectuées par un Starship à propulsion chimique monté sur un SuperHeavy mieux qu’avec n’importe quel autre lanceur (volume et masse transportés). Au retour de Mars, le problème sera assez semblable puisque si le Starship n’aura pas besoin d’un lanceur SuperHeavy pour repartir du sol de la planète (gravité plus faible), la version NTP ne sera pas davantage autorisé à repartir du sol de Mars (après y être descendu) puisque cette planète possède aussi une atmosphère susceptible de transporter des particules irradiantes et que, par principe, elle sera en cours de colonisation humaine. Il faudra donc prévoir que le vaisseau NTP reste en orbite et que la navette entre le sol et l’orbite se fasse là aussi, avec une navette Starship à propulsion chimique.

Mais un préalable pour envisager ce mode de transport est de savoir si un vaisseau spatial serait compatible avec un SuperHeavy, ou plus précisément si un Starship à propulsion chimique pourrait être converti en vaisseau NTP en conservant le même volume dans la même coque, en n’excédant pas la masse pouvant être propulsée par un lanceur SuperHeavy et en restant adaptable à ce lanceur (docking, activation du réacteur aussitôt que possible après que le Starship aura été libéré par son lanceur). Après avoir lu les documents en référence ci-dessous, je pense qu’il est possible d’aménager une telle compatibilité mais je laisserai mes amis ingénieurs le confirmer par leurs calculs.

Voyons d’abord les risques auxquels on s’expose avec une propulsion NTP. Il s’agit plus précisément des radiations résultant des fuites de neutrons qui sortiront du réacteur, et du rayonnement gamma secondaire induit par l’impact des neutrons sur divers obstacles. Les fuites de neutrons sont d’autant moins négligeables que le réacteur est puissant et il faut qu’il soit puissant pour propulser un vaisseau spatial vers Mars. L’étude en référence mentionne 0,5% pour un réacteur d’une puissance de 1000 MW. Cela donne un ordre de grandeur. C’est peu en pourcentage de ce que produit la fission mais c’est beaucoup en valeur absolue, surtout considérant la durée d’exposition, même si le réacteur ne fonctionne pas pendant toute la durée du voyage.

Comment s’en protéger ? Il y a plusieurs solutions et elles sont cumulables : (1) la réserve de gaz utilisée comme élément propulsif, étant bien compris que la quantité de ce gaz diminue avec le temps puisqu’il est éjecté dans l’espace ; (2) la distance mise entre le réacteur et l’habitat ; (3) un bouclier en matière appropriée, d’une forme adéquate et bien positionné par rapport au réacteur et à l’habitat.

Concernant le gaz, le plus probable car le plus efficace (le plus léger) est qu’on utilisera l’hydrogène. L’avantage pour la protection est que cet élément chimique est constitué d’un seul proton autour duquel orbite un seul électron. Face aux projections de neutrons, le proton unique de l’hydrogène constitue un excellent absorbeur d’énergie (beaucoup plus que les atomes de numéro atomique élevé qui peuvent éclater à l’impact, ce qu’on appelle la « fission »). L’inconvénient ce sont les fuites qui résultent de la très faible masse de la molécule d’hydrogène et qui nécessite un réservoir particulièrement étanche donc massif. Mais on parle de plus en plus de « powerpaste* » qui permet de piéger de l’hydrogène dans un matériau stable et transportable (hydrure de magnésium, MgH2 avec adjonction de quelques sels métalliques pour stabiliser le produit) avec reconversion facile et rapide en présence d’eau (MgH2 +2 H2O => 2 H2 + Mg(OH)2. Une partie importante de l’hydrogène (celle qui n’est pas utilisable dans l’immédiat) pourrait être transportée sous cette forme

*Fraunhofer Institute for Manufacturing Technology and advanced materials (IFAM), filiale de Fraunhofer Gesellschaft, Dresde.

Concernant le bouclier, le plus probable est qu’on utilisera principalement du carbure de bore (B4C). Cette matière est quatre fois plus légère que l’acier inoxydable (qui constitue la coque du Starship) et utilisée généralement dans les réacteurs à fission pour interrompre la diffusion des neutrons (lorsqu’on veut mettre le moteur à l’arrêt). Ce bouclier devra éviter que des neutrons émis par la réaction lors de l’utilisation des moteurs, parviennent à l’habitat. Mais il devra aussi éviter que ces neutrons réchauffent l’hydrogène dans son réservoir pour ne pas risquer son ébullition ou sa cavitation avant son chauffage pour expulsion. Par ailleurs certains équipements (circuits électroniques ou actionneurs motorisés) pourraient souffrir des radiations. Enfin il ne faut pas oublier le rayonnement gamma qui, lui, ne sera pas sensible à l’écran formé par l’hydrogène et qui ne pourra être contenu que par un élément à numéro atomique très élevé (le plomb). Le bouclier devra donc être constitué essentiellement de carbure de bore avec une couche aussi fine que possible (mais quand même suffisante pour être efficace) de plomb du côté exposé au réacteur.

Maintenant, le volume et la position du bouclier seront très importantes. Dans l’espace, les radiations parviendront en ligne droite du réacteur à l’intérieur du vaisseau. Pour se protéger, il conviendra donc de placer un disque orthogonal au réacteur, aussi épais que nécessaire, avant les réservoirs d’hydrogène et au plus près des moteurs. Le disque déterminera avec le réacteur, un cône dans l’ombre duquel la protection sera maximum (« shadow shield »). Si le bouclier a lui-même une forme de cône avec son sommet vers le réacteur, cela facilitera l’évacuation des radiations en dehors du corps du vaisseau et, par ailleurs, la trajectoire possible des neutrons à l’intérieur du bouclier sera étendue. Dans ce cas, l’épaisseur sur la périphérie du cône pourra être réduite mais l’épaisseur au droit du sommet du cône, devra être renforcée.

Le bouclier sera donc un cône de quelques centimètres d’épaisseur sur toute la section de la coque du Starship (diamètre de 9 mètres). La masse volumique du carbure de bore étant de 2,5 g/cm3, et celle du plomb 11,3 g/cm3 on voit tout de suite que les masses seront importantes (un disque de carbure de bore de 9 mètres de diamètre et de 5 cm d’épaisseur aurait une masse de 8 tonnes, un disque de plomb de même diamètre et de 0,5 cm d’épaisseur aurait une masse de 3,5 tonnes) d’autant que la forme conique du bouclier implique une masse plus importante qu’un simple cylindre. A noter qu’en plus de la masse du bouclier, le Starship devra embarquer un réservoir d’hydrogène avec son revêtement isolant pour éviter les fuites, plus une réserve d’eau pouvant libérer l’hydrogène à partir du powerpaste et bien sûr une réserve de powerpaste contenant la quantité d’hydrogène nécessaire à l’approvisionnement des moteurs (10 kg de powerpaste pouvant contenir 1 kg d’hydrogène). Ce réservoir remplacera les réservoirs de méthane et d’oxygène nécessaires à la propulsion chimique, pour une masse sans doute équivalente.

Quelle que soit la masse nécessaire pour le bouclier, pourvu qu’il ne dépasse tout de même pas une vingtaine de tonnes, on peut penser que le Starship classique pouvant transporter une masse utile de 100 tonnes ou 100 personnes jusqu’à Mars, il restera suffisamment de capacité d’emport pour transporter un équipage de dix à douze personnes sur Mars avec leurs vivres et équipements. Dans l’étude en référence, une enceinte supplémentaire est prévue autour de l’habitat pour le protéger des radiations cosmiques. Alternativement on peut prévoir de placer les réserves d’eau et de vivres dans des compartiments autour de l’habitat. Leur contenu en hydrogène donnerait une très bonne protection contre le flux régulier de protons portés par le vent solaire et l’eau pourrait récupérer la chaleur fatale provenant des réacteurs pour chauffer la partie habitable du vaisseau.

Schéma d’un vaisseau NTP avec son « shadow shield ». Vous remarquerez que sa forme est semblable à celle d’un Starship

Je ne dispose pas des éléments nécessaires pour démontrer que les hypothèses que j’avance dans cet article sont réalistes ou ne le sont pas. Si des lecteurs sont intéressés à calculer la faisabilité de ce Starship, je suis intéressé à dialoguer avec eux.

A noter que d’autres vaisseaux spatiaux que le Starship sont possibles, notamment ceux ayant une architecture au sein de laquelle l’habitat est séparé du réacteur par une structure métallique de longueur suffisante pour réduire les radiations à un niveau acceptable (d’autant qu’au début du voyage le réservoir d’hydrogène entre le réacteur et l’habitat ajouterait une protection supplémentaire).

L’avantage d’utiliser un Starship adapté (avec transposition des moteurs et du réservoir pour la propulsion NTP, dans le même volume) serait que l’on pourrait utiliser le SuperHeavy pour le porter jusqu’à l’orbite terrestre en même temps qu’on continuerait à utiliser le SuperHeavy pour mettre des Starship à propulsion chimique en orbite. Eventuellement, on pourrait ajouter entre le SuperHeavy et le Starship NTP, un deuxième étage “tampon” à propulsion thermique* capable de pousser le Starship sur une orbite suffisamment haute où il aurait tout le temps de mettre en route la propulsion NTP. Ce deuxième étage serait évidemment récupérable. L’ennui avec cet ajout c’est qu’on commence à modifier la coque du Starship et donc on renonce à une certaine standardisation du vaisseau (par ailleurs si on ajoute un volume complémentaire en hauteur, on modifie l’équilibre général SuperHeavy + Starship).

*comme je crois le propose Xavier Philippon.

Quoi qu’il en soit, ma conclusion est qu’il faudra réfléchir à deux fois avant de jeter le Starship avec l’eau du bain de la propulsion chimique car on devrait toujours en avoir besoin.

Liens :

https://www.mragheb.com/Nuclear%20Propulsion%20Choices%20for%20Space%20Exploration.pdf

https://ntrs.nasa.gov/api/citations/20150006884/downloads/20150006884.pdf

https://www.iter.org/newsline/-/3552

https://www.discoverthegreentech.com/powerpaste-pate-stocker-hydrogene/