Quelques considérations sur l’économie martienne (2. à la recherche de la rentabilité)

Nous avons vu la semaine dernières les activités et les hommes nécessaires au fonctionnement d’un établissement sur Mars. Mais il y a une autre dimension qu’il faut prendre en compte pour qu’à la viabilité d’un tel établissement s’ajoute la pérennité. En effet, pour qu’une colonie martienne « tienne » sur la durée, elle devra produire pour et exporter vers la Terre suffisamment pour atteindre et maintenir une relation équilibrée avec elle car (selon mon propre dicton!), « les philanthropes meurent et les gouvernements passent ». Cela implique de donner aux Martiens la possibilité d’exercer d’autres activités que celles précédemment considérées comme nécessaires/vitales, et aussi une certaine organisation favorable à cet exercice.

NB: je me situe dans la perspective d’un établissement de quelques 1000 à 10.000 personnes…Ce qui évidemment ne sera qu’une étape!

Les activités productives et génératrices d’exportations seront indispensables à la pérennité

Ces activités « optionnelles », c’est-à-dire non nécessaires à la survie, seront quand même essentielles puisqu’elles devront assurer la rentabilité de l’entreprise. En effet, à part les commerçants et divers petits producteurs locaux assurant « la vie de tous les jours », il y aura aussi des capitalistes (résidant soit sur Terre soit sur Mars) disposant de fonds importants qui auront investi dans les infrastructures et qui attendront un retour sur investissement pour légitimement rémunérer leur prise de risque et continuer à investir. S’ils ne font que dépenser, « ils n’y arriveront pas ». Il leur faudra des consommateurs payant avec leur argent et d’autres producteurs-investisseurs, vivant dans leur environnement, également consommateurs/utilisateurs de leurs infrastructures, pour générer pour et par leurs activités, d’autres dépenses donc d’autres ressources.

Pour assurer ce « retour » sur investissement, la société martienne assurant le fonctionnement de la colonie (ma « Compagnie des Nouvelles Indes », « CNI », voir plus bas) devra être accueillante à toutes sortes de personnes solvables désireuses de venir sur Mars pour consommer ou/et pour produire avec trois perspectives : susciter la création de richesses immatérielles exportables de toutes sortes (process conçus dans un environnement extrême, logiciels divers), limiter le besoin d’importations par une production locale, et mettre à disposition des locaux et des services, pour héberger les personnes et permettre ces activités.

Parmi les résidents exerçant ces activités, il y aura bien sûr les chercheurs envoyés par leur Université pour une étude bien particulière. Il y aura aussi des astrophysiciens et des ingénieurs en équipements d’observation astronomique car le sol martien sera idéal comme support pour observer le ciel d’un point de vue un peu différent et donc complémentaire de celui de la Terre (et bénéficiant a priori d’un ciel moins pollué !). Il y aura aussi des ingénieurs envoyés par leur entreprise pour tester des équipements ou des matériaux dans des conditions extrêmes (label « vérifié résistant aux conditions martiennes »). Il y aura aussi des entrepreneurs qui auront des « idées » et qui auront voulu les concrétiser, au moins jusqu’à la « preuve de concept », dans un milieu particulièrement réceptif aux innovations et riche en capacités scientifiques et ingénieuriales, concernant le recyclage, la robotique, les télécommunications, etc… Il y aura des particuliers qui pour une raison ou une autre, auront voulu s’abstraire de leur monde pour une partie de leur vie et qui auront bien entendu les moyens financiers de le faire. Il y aura des artistes qui voudront utiliser un environnement particulier pour nourrir leur inspiration. Il y aura des spécialistes financiers pour gérer les ressources des particuliers et de la communauté, organiser le financement des projets (y compris lever des fonds sur Terre), piloter le financement des entreprises existantes, c’est-à-dire tout simplement des banquiers ; sans oublier des assureurs pour couvrir les risques (donc faciliter les financements) et lisser l’impact des pertes. Il y aura enfin des communicants chargés de mettre en valeur ce qui sera effectué sur Mars afin d’attirer de nouveaux candidats au voyage et au séjour sur ce nouveau monde…et de nouveaux capitaux.

Tous ces gens devront être traités par d’autres résidents qui devront leur fournir les services dont ils auront besoin pour vivre, se déplacer, exercer leurs talents sur Mars. L’ensemble constituants les consommateurs tout autant que les producteurs martiens.

Public ou Privé ?

Si comme je le crois, l’installation de l’homme sur Mars se fera à l’initiative du secteur privé américain, dont bien sûr Elon Musk, ce secteur aura une influence très importante sur le comportement des agents économiques d’autant que le secteur public terrestre hésitera à dépenser beaucoup d’argent public pour des causes privées (en dehors bien sûr de considérations scientifiques et politiques, non nulles). Ce secteur privé avec probablement une participation publique (la NASA entre autres), sera sans doute organisé dans la société d’investissement et d’exploitation mentionnée plus haut, la « Compagnie des Nouvelles Indes » (pour marquer, évidemment, la ressemblance avec les grandes sociétés coloniales du passé…même si, je le sais, ce passé n’est pas très bien vu de certains de nos contemporains). A noter que ce « privé » sera considéré un peu comme du « public » par les Martiens (le « public-martien ») puisque ce sera à lui qu’il faudra payer l’utilisation des « commodités », les locations d’habitats ou d’équipements et l’utilisation des services publics. A côté de lui, la multitude d’activités menée par de petits entrepreneurs et individus constituera ce qu’on pourrait appelé par symétrie le « privé-martien ».

L’esprit dominant l’activité économique sera donc celui du privé, on peut même oser dire du capitalisme, donc de la recherche de l’efficacité et de la rentabilité au moyen de la concurrence et de la responsabilité. Par principe de subsidiarité, ce sera le privé-martien qui prendra en charge toute production ou tout service vital qu’il sera capable d’assumer, le public-martien ne s’occupant que de ce qui ne pourra être effectué par le privé-martien. Le public-martien ne sera jamais perdant car tout en allégeant son implication directe, il continuera à percevoir des autres résidents, une rémunération pour l’utilisation de ce qu’il mettra à leur disposition. Bien entendu compte tenu de l’isolement et de la nécessité que l’ensemble de la population soit productif, des délais d’adaptation devront être accordés aux entreprises les moins efficientes (constatées comme telles par la concurrence) pour se reconvertir et l’aide de la Cie des Nouvelles Indes assuré pour que cette reconversion soit effective le plus rapidement possible.

Du côté des producteurs on devra évidemment se contenter d’un tout petit marché local. Cela pose problème car les producteurs ne pourront espérer d’économies d’échelle importantes. Fabriquer un vêtement pour 100 personnes coûte beaucoup plus cher à l’unité que de le fabriquer pour 10.000. Comme les producteurs devront pouvoir vivre de leur travail, les prix unitaires seront forcément très élevés par rapport aux prix sur Terre. Cependant la limite haute, celle au-dessus de laquelle les prix martiens ne seraient pas compétitifs avec les prix terriens, sera vraiment très haute puisque le transport coûtera toujours très cher depuis la Terre, sera limité en volume (nombre et capacité d’emport des fusées) et ne pourra être fréquent (on s’efforcera de surmonter cet obstacle par l’impression 3D). Donc il y aura une sorte de protection tarifaire très élevée pour les produits martiens, la seule véritable limite étant le coût d’un bien ou service proposé par rapport au « pouvoir d’achat » du résident martien et par rapport aux alternatives de dépense (point développé plus bas).

Pour être rentable donc productible, un bien ou service doit être désiré pour un prix supérieur à son coût (même si le producteur peut faire un pari sur une profitabilité future en commençant la commercialisation en dessous de son coût). La difficulté sera atténuée par le fait que le pouvoir d’achat du client sera quand même élevé puisque, par définition, tout producteur sera obligé de mettre sur le marché ses produits à un prix élevé puisque pour lui aussi le coût unitaire sera élevé. Le prix de chaque objet ou service doit en effet être évalué par rapport au prix de tous les autres objets ou services offerts sur le marché, inclus dans un panier que le consommateur peut acheter. A noter, il ne faut pas l’oublier, qu’un élément non négligeable du coût sera constitué des redevances à payer à la Cie des Nouvelles Indes pour utiliser les structures et les « commodités » qu’elle aura mises à disposition pour vivre. Ni l’habitat, ni son entretien, ni l’eau ou l’air ne seront « gratuits ». Toute utilisation de « commodités » ou de « services publics » devra être payée et il y aura des capteurs avec des compteurs partout (un excellent moyen de limiter le gaspillage !). La seule nécessité pour la Cie des Nouvelles Indes qui les aura financées, sera de ne pas « tuer le client », c’est-à-dire que les prix qu’elle demandera devront être raisonnables pour ne pas rendre la vie (production et échanges) des résidents martiens, impossible. Mais les gens de la CNI sauront dès le début qu’ils devront être patients et ils ne rechercheront certainement pas à devenir rentables avant une trentaine d’années suivant le démarrage de la Colonie.

Un produit martien ne sera donc pas du tout compétitif par rapport à un produit terrestre mais cela n’aura aucune importance puisqu’il n’y aura pas de concurrence entre eux, sauf bien évidemment dans le cas des quelques produits provenant de la Terre tous les 26 mois, que les Martiens ne s’amuseront pas à produire. D’ailleurs ces produits seront précisément ceux que l’on ne pourra pas produire sur Mars (trop grande complexité, ou plutôt nécessité de l’utilisation de toute une filière industrielle qui n’aura pas encore pu être développée sur Mars).

La monnaie devra être locale mais convertible en monnaies terrestres

Pour former un prix à la rencontre d’une offre et d’une demande, c’est-à-dire donner une valeur à quelque chose par rapport à autre chose, le meilleur instrument sera la monnaie, bien fongible, commun dénominateur à toute offre et toute demande. Donner un prix dans une monnaie, c’est le seul moyen d’exprimer véritablement à la fois un choix collectif et un choix individuel et de limiter le gaspillage. C’est un moyen beaucoup plus efficace que l’allocation administrative (qui prétend savoir mieux que le consommateur ce qu’il veut) pour déterminer ce qui doit être produit. L’URSS l’a amplement démontré.

A priori une monnaie martienne correspondant aux spécificités du marché martien, serait le premier choix d’instrument. Cependant les personnes qui arriveront sur Mars et qui ensuite seront en relation avec la Terre, « ne sortiront pas de l’œuf ». Elles auront de l’épargne, certaines seront payées par leur société ou leur université, d’autres généreront leurs revenus exclusivement par leur production et leurs échanges sur Mars ; d’autres encore par leurs exportations vers la Terre. Lorsqu’ils reviendront sur Terre, les Martiens voudront non seulement utiliser leur expérience martienne mais aussi le capital qu’ils auront pu accumuler sur Mars (certains partiront même de la Terre pour cela !). Tout ceci entraine la prise en compte de monnaie(s) terrestre(s). La monnaie employée sur Mars pourrait être tout simplement le dollar mais cela ne sera possible que si les composants non-américains de la Colonie (personnes et capitaux) ne sont pas trop nombreux / importants. Dans le cas contraire, on pourrait imaginer une monnaie locale convertible dont la contrevaleur serait incontestable (il faudra pouvoir vendre la monnaie locale contre la monnaie terrestre sans risque de perte, à tout moment). Dans ce cas, le mieux serait un panier de monnaies sous-jacentes, actualisé en permanence (comme les monnaies composantes).

Un pari qu’il vaut la peine de prendre

La réussite du pari d’une économie martienne n’est pas évidente. En fait, les premières années, un petit établissement pourrait vivre uniquement selon des considérations technologiques. Sur le long terme il faudra bien atteindre un équilibre des comptes tels que les communautés terriennes ou les investisseurs terriens qui auront fait le pari, soient récompensés. Il s’agit pour les investisseurs au sens stricte de devenir bénéficiaires et pour les autres (moins motivés par l’argent), de rentrer au moins dans leur frais. Il faudra que les investisseurs et ceux qui voudront simplement vivre sur Mars soient suffisamment ingénieux pour trouver des sources de revenus adéquates pour générer de nouvelles richesses qui feront de la société martienne pour la Terre, non pas « un boulet à trainer » mais un partenaire intéressant. Rien n’est certain mais le monde tel qu’il évolue et qu’il change, est « comme ça ». Il est fait d’inventivité, d’opportunités, de risque pris, suivis d’échecs ou de réussites constatés monétairement. Espérons pour Mars…mais aussi pour la Terre. La réussite de l’entreprise sera dans l’intérêt de tous, même bien entendu de ceux qui resteront sur Terre car la réussite d’un établissement sur Mars serait un enrichissement pour tous.

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