SpaceX est-elle vraiment au bord de la faillite ?

Elon Musk a mobilisé en urgence les employés de SpaceX pour qu’ils viennent travailler pendant le week-end de Thanksgiving ! Cette mobilisation était demandée par un e-mail qui évoquait le risque pour la société de faire faillite si le rythme de production des moteurs Raptor du Starship n’était pas accéléré. Sur cette base, certains ont cru devoir extrapoler que SpaceX faisait réellement faillite. Il n’en est rien, même si la situation de la société est tendue sur le plan technique.

Le problème est qu’Elon Musk s’est engagé dans le projet Starlink pour créer un réseau d’accès à Internet à haut débit, à partir de n’importe quel point de la planète et qu’il a besoin pour le mener à bien, de son vaisseau Starship qui dispose(ra) du plus grand volume d’emport de toutes les fusées au monde. Or la mise en service de ce vaisseau dépend (en partie) de la production en grand nombre de moteurs Raptor, aussi bien pour l’atmosphère que pour le vide. En elles-mêmes les constellations de satellites-relais pourraient être mises en orbite par des lanceurs d’une moindre capacité d’emport, le Falcon 9 ou le Falcon Heavy, qui pourraient loger des satellites type « V1 » déjà utilisés pour la première phase (qui a permis de démarrer la commercialisation). Mais le prix de la connexion internet (99$ par an), plus 499 $ d’installation, pour chaque utilisateur (dont la vente a commencé) a été calculé sur la base de lancements de masses et de volumes unitaires, plus importants, avec des satellites « V2 ». Autrement dit, Elon Musk a fixé son prix d’accès sur l’hypothèse d’un marché important desservi par des lancements peu coûteux parce qu’effectués par des Starships. De toute façon, il n’est pas question d’augmenter le prix de l’abonnement car 99$ est déjà considéré comme un bon niveau comparé aux prix pratiqués par la concurrence.

Malheureusement l’équipe technique en charge du développement et de la production des Raptors n’a pas été aussi performante que l’espérait Elon Musk (euphémisme). Comme les progrès n’étaient pas assez rapides, Elon Musk a « viré » l’équipe dirigée par Will Heltsley, senior vice-président en charge de la propulsion, avec Lee Rosen vice-président des missions et des opérations de lancements, et Rick Lim son « senior director ». Il a remplacée Will Heltsley par un autre professionnel travaillant sur les moteurs depuis des années, Jacob McKenzie, ingénieur en chef en charge des composants du système de propulsion. Et c’est avec sa nouvelle équipe qu’il a découvert que la situation était pire que ce qu’il craignait.

Entendons-nous bien, il n’y a pas d’inquiétude particulière sur les moteurs Raptor eux-mêmes, dont les prototypes aussi bien pour l’atmosphère que pour le vide ont été testés au sol avec satisfaction, mais sur le rythme de production de ces moteurs car leur « consommation » (donc leur besoin) sera importante (sous-entendu, au début il y aura des échecs, des destructions ou des pertes). En effet, il faut d’urgence procéder aux tests en orbite pour pouvoir atteindre les objectifs commerciaux. Cela est particulièrement important pour les moteurs à vide puisque les conditions sont difficiles à reproduire au sol (donc des tests en vol méritent quand même de confirmer les performances vérifiées au sol) et que leur fonctionnement est plus délicat (tuyère plus grande donc plus fragile, risque de déchirure et d’explosion résultant de la différence plus grande de pression entre le gaz propulsé et l’atmosphère extérieure). Or les tests sont très consommateurs de moteurs puisque les premiers étages (SuperHeavy) sont équipés de 29 moteurs atmosphériques et le second étage (Starship proprement dit) de 3 moteurs à vide et de 3 moteurs atmosphériques (pour redescendre).

Pour que le service des premiers abonnés à Internet ne coûte pas trop cher (que le plan financier de SpaceX tienne la route), il faut que le rythme de lancements du Starship puisse être de deux par mois au cours de l’année 2022. On n’y est pas !

Ceci dit, et ce n’est pas mentionné, il y a encore plusieurs étapes à franchir avant que le Starship soit opérationnel et c’est peut-être pour cela qu’Elon Musk « dort mal ». En dehors du fait que seul un test de Starship en vol a été positif (vol du SN15 le 06 mai 21), il n’y a pas eu de test en vol du lanceur SuperHeavy (test statique réussi le 20 juillet 2021) et surtout (de mon point de vue) l’attache des tuiles de protection thermique pour le retour au sol du Starship semble encore donner des soucis (nombreuses tuiles décollées du fait des différences de températures lors du remplissage des réservoirs en ergols cryogéniques). Souvenons nous que la Navette Challenger a explosé en vol à cause de la défaillance du système de protection thermique (les tuiles, toujours). Enfin quand on avance le chiffre de « 29 » moteurs pour le SuperHeavy on touche aussi au problème de les faire fonctionner ensemble (le risque des conséquences d’une défaillance de l’un d’entre eux n’est ni nul ni anodin).

Personnellement je regrette qu’Elon Musk se soit engagé dans cette aventure de Starlink car elle va polluer l’orbite basse terrestre (LEO) en gênant les observations astronomiques depuis la Terre. En même temps j’espère que l’inquiétude d’Elon Musk se dissipera rapidement car il faut que son entreprise continue puisqu’apparemment c’est aujourd’hui la seule capable de nous permettre d’aller sur Mars. Je suis cependant assez confiant car SpaceX (et Elon Musk) a « d’autres cordes à son arc » et elle est capitalisée à plus de 100 milliards de dollars. Il faudrait un certain temps ou plutôt un temps certain pour que les pertes résultant d’un prix trop bas des abonnements internet mettent la société en péril. D’ailleurs, dès le 30 Novembre, Elon Musk a atténué le choc de son email d’avant le week-end, par un tweet disant : “If a severe global recession were to dry up capital availability/liquidity while SpaceX was losing billions on Starlink & Starship, then bankruptcy, while still unlikely, is not impossible.” Cela veut bien dire que, même de son point de vue, d’homme pressé et inquiet, la situation n’est pas si alarmante.

Au pire, je pense que la NASA viendrait au secours de l’entreprise si nécessaire car de plus en plus elle semble compter sur le Starship beaucoup plus que sur son SLS pour la suite de l’exploration spatiale. En témoigne le « livre blanc » publié en Mai 2021 dans la « Planetary Science and Astrobiology Decadal Survey 2023-2032 » de la NASA, par Jennifer L. Heldmann, de l’Ames Research Center, Division of Space Sciences & Astrobiology, Planetary Systems Branch. Elle en est l’auteure principale à la tête d’un groupe de scientifiques américains impressionnant par le nombre et la qualité (« Accelerating Martian and Lunar Science through SpaceX Starship Missions ») et elle mise très clairement sur le Starship comme en témoigne le début de l’abstract de ce document :

citation:

SpaceX is developing the Starship vehicle for human and robotic flights to the Moon and Mars. This vehicle offers unprecedented payload capacity and a lower cost of surface access due to its full reusability. Here we focus on the potential research benefits from an effective partnership between NASA’s Science Mission Directorate and SpaceX.

fin de citation.

Illustration de titre : Photo du moteur Raptor, dans sa version atmosphérique à gauche et dans sa version à vide, à droite. Cliché crédit SpaceX.

liens:

https://spaceexplored.com/2021/11/29/spacex-raptor-crisis/

https://spacenews.com/spacex-grapples-with-raptor-production-problems/

https://www.newsweek.com/elon-musk-responds-leaked-email-warns-spacex-faces-bankruptcy-starship-raptor-1654767

https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2021psad.rept..518H/abstract

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