Pourquoi la rentabilisation d’une colonie sur Mars serait possible

Les opposants à la création d’une colonie humaine sur Mars utilisent souvent l’argument du coût d’une telle installation. Il est vrai que « quelques dizaines* de milliards » ce n’est pas rien. Mais je pense que si cette colonisation est bien conçue, elle pourrait être une source d’enrichissement plutôt que d’appauvrissement, en clair, un véritable « investissement » plutôt qu’une dépense « à fonds perdus ».

*NB : je précise que de bonnes raisons me conduisent à penser qu’il ne faut pas envisager des centaines de milliards. Mais discuter de l’estimation n’est pas ici mon propos.

On peut envisager plusieurs sources de revenus pour les personnes qui auront dépensé pour réaliser cette colonie et qui voudront légitimement non seulement rentrer dans leurs fonds mais, au-delà, réaliser un profit.

Une première source de revenus pour la société d’exploitation réunissant les investisseurs, sera le paiement du séjour sur Mars par le client : la location des habitats, véhicules et autres équipements ; la mise à disposition des divers produits nécessaires à la vie, air respirable, aliments, vêtements, soins médicaux. C’est cette source que nous avions considérée avec Richard Heidmann (fondateur de l’association Planète Mars, branche française de la Mars Society) en 2019 dans le cadre de la compétition internationale lancée par la Mars Society US. Je ne mentionne pas le voyage car le coût restera probablement longtemps élevé et si l’on peut imaginer de le réduire par économie d’échelle en fonction d’un nombre croissant de passagers, je pense que les marges sur ce service resteront faibles car pendant longtemps on dépensera pour actualiser des vaisseaux qui serviront peu compte tenu de l’étroitesse et de l’éloignement des fenêtres de tir. On peut toutefois envisager un forfait de base, couplant séjour + voyage (dégageant une marge), pour les personnes qui viendraient sur Mars avec l’idée d’en repartir à la fin du même cycle synodique.

Mais je voudrais surtout attirer l’attention sur un autre potentiel de la colonie qui peut la conduire à un moyen de rentabilisation qui ne serait plus limité à rendre service aux Terriens pour leur permettre de profiter de Mars. Il s’agirait d’offrir à des entrepreneurs un cadre de vie adéquat pour une activité fournissant une offre pouvant faire l’objet d’une demande par l’ensemble de l’humanité, que les personnes formulant cette demande soient ou non intéressées par la vie sur Mars.

Je veux dire que pour que la colonie martienne devienne une communauté humaine comme une autre, appelée comme une autre à accéder à la prospérité via une activité sur un marché mondial (tout en veillant à maintenir une autonomie correspondant aux nécessités de sécurité qui s’imposeront à elle), il faut qu’elle accueille ou suscite des entreprises qui travaillent sur Mars comme elles travailleraient sur Terre tout en prenant compte évidemment des spécificités résultant de l’éloignement de la localisation martienne.

Une telle activité ne peut être qu’immatérielle ou du moins sans nécessité de transport car il n’est pas question de dépendre d’une capacité d’emport interplanétaire limitée en volume et en masse tous les 26 mois (et bien sûr coûteuse). Cela implique qu’elle repose sur l’informatique et puisse fonctionner à distance, via un réseau de télécommunications interplanétaires. Cela n’exclut pas qu’on puisse envisager une production par impression 3D localisée au plus près de chaque foyer de consommation.

Pour prendre deux exemples pratiques, Jeff Bezos aussi bien qu’Elon Musk pourraient vivre et travailler sur Mars. Jeff Bezos puisque, comme il peut diriger à partir des Etats-Unis, une entreprise qui effectue des livraisons en Australie ou ailleurs à partir de fournitures locales ou étrangères, pourrait aussi bien le faire de « plus loin ». Elon Musk parce que les voitures Tesla aussi bien que les fusées Falcons ou les Starships pourraient être produits aussi bien sur Mars que sur Terre.

Le seul problème et il n’est pas vraiment négligeable est celui du décalage de temps. En effet on peut être tout à fait présent via un écran ; l’expérience au cours de ces dernières années l’a bien montré, la participation en « distanciel » fonctionne. On peut voir et discuter avec un ou plusieurs interlocuteurs tout à fait valablement avec cette méthode, travailler vraiment. Mais peut-on attendre jusqu’à près d’une heure pour avoir réponse à une question posée qui sur Terre serait donnée en seulement quelques minutes ?

Mon avis : au 19ème et au début du 20ème siècle, les entreprises fonctionnaient avec le courrier papier ou le télégraphe. Je me souviens bien de l’époque où à l’intérieur de ma banque dans les années septante, nous communiquions par « télex », ces bandes perforées qu’il fallait transcrire en langage courant, quand on avait besoin d’une réponse rapide d’Iran, de Thaïlande ou des Etats-Unis. Je pense donc que si un patron a besoin d’avoir une partie de son équipe dirigeante « sous la main », beaucoup peut être fait à distance même si cette distance implique un décalage de temps (comme l’impliquait de fait le télex, et a fortiori le courrier papier). C’est une question de (bonne) organisation.

Je ne dis pas que ce décalage de temps serait un avantage pour la localisation d’une direction d’entreprise sur Mars. Ce serait évidemment un désavantage mais ce désavantage serait à mettre en balance avec les avantages : plus grande sécurité individuelle des personnes et meilleure organisation sociale en raison de la sélection très forte au départ de la Terre et du contrôle impératif pour prévenir les dangers sur Mars (dépressurisation, infections microbiennes) ou pour s’assurer à tout moment que « tout » fonctionne (télécommunications avec la Terre, stockage et accès aux banques de données copiées continument sur Mars), sans oublier l’excellente qualité de l’environnement humain (pour la même raison qu’il y aura eu sélection rigoureuse).

Par ailleurs, il faut atténuer l’aspect négatif du décalage temporel en considérant que les discussions en « présentiel » sont souvent l’occasion d’argumentations improvisées ou d’interruption par l’un ou l’autre des participants. Une réponse réfléchie et correctement argumentée peut présenter, même si elle se fait un peu attendre, un avantage certain. D’autant que le plus souvent on est conduit à traiter plusieurs sujets / problèmes à la fois et que le décalage permettrait d’entremêler plus facilement les discussions.

Enfin je ne résiste pas à me référer à une expérience familiale. Un de mes arrière-grands-pères qui vivait dans la ville royale d’Aranjuez en Espagne dans la seconde partie du XIXème siècle avait monté une entreprise qui devint prospère, avec un associé auvergnat comme lui. Il est resté célèbre chez nous parce qu’ayant atteint l’âge mûr, il alternait avec cet associé sa présence à la tête de l’entreprise. Il en profitait pour maintenir ses contacts en Auvergne ou pour résider agréablement à San Sebastian. Bien sûr il restait joignable par courrier postal ou même par télégraphe en cas de besoin. Avec la facilitation que donnent le système moderne de communications, on peut imaginer une telle délocalisation avec éloignement alterné de Mars d’une durée évidemment calquée, par la force des choses (et des lois de Kepler !), sur la durée des périodes synodiques des deux planètes. Bien sûr étant donné la nuisance des radiations pendant le voyage Mars/Terre/Mars, il vaudra mieux, quand même, ne pas faire trop d’allers-retours.

Illustration de titre : Projet de site de simulation de vie sur Mars, en Californie, par Interstellar Lab (Barbara Belvisi).