La concurrence qui monte en Astronautique avec les sociétés New Space comme Relativity Space laissera peu de place aux institutionnels frileux

Ce mercredi 8 mars, un nouvel acteur dans le domaine astronautique, la start-up américaine « Relativity-Space » a pointé son nez en tentant le lancement de sa première fusée, « Terran-1 ». Elle a finalement renoncé (« aborted ») à -70 secondes de l’allumage en raison d’une température trop élevée constatée par ses capteurs dans les réservoirs d’ergols de son second étage. Elle retentera le lancement ce samedi 11 mars, entre 19h00 et 22h00 (heure suisse).

PS (23/03/23): Après deux tentatives malheureuses, les 8 et 11 mars, le lancement a pu finalement avoir lieu dans la nuit du 22 au 23 mars. La fusée s’est parfaitement comportée. Elle a notamment bien supporté son passage au point Max-Q (voir ci-dessous).

Le fait est remarquable pour plusieurs raisons : l’entreprise est privée ; elle est toute jeune puisque créée seulement en 2015 ; ses deux fondateurs, Tim Ellis et Jordan Noone, sont de jeunes ingénieurs relativement peu diplômés mais passionnés ; tous deux sont passés par SpaceX et Blue Origin ; surtout, et c’est la grande nouveauté, leur première fusée, « GLHF » (Good Luck, Have Fun), a été réalisée à 85% (en masse) en impression 3D et leurs fusées suivantes le seront en quasi-totalité (95%?) ; l’objectif clairement annoncé est l’envol vers la planète Mars et ce, dès 2024 ; enfin, Relativity Space dispose des moyens financiers de ses ambitions.

Tim Ellis, né en 1990, est le CEO (Chief Executive Officer) de l’entreprise, Jordan Noone, né en 1992 fut son CTO (Chief Technical Officer) et il en est aujourd’hui l’ETA (Executive Technical Advisor). Ils ont été, tous deux, étudiants enthousiastes en astronautique à l’USC (University of Southern California, Los Angeles) où ils animèrent son « Rocket Propulsion Lab ». Dans ce cadre, ils mirent au point une fusée étudiante (« Traveller ») qui fut la première de ces petites fusées, à être lancée dans l’espace avec succès (après avoir obtenu l’accord des autorités américaines pour le faire !). Leurs études se terminèrent assez vite (BS pour Jordan Noone et MS pour Tim Ellis) car tout de suite après leur exploit (le lancement juste mentionné), ils furent recrutés par les deux grandes sociétés astronautiques privées américaines. Noone entra chez SpaceX comme « in-space propulsion development engineer » après un très court passage chez Blue Origin ; Ellis entra, lui, chez Blue Origin. Il y fut « propulsion development engineer » mais surtout il y introduisit l’impression 3D avec métal, qu’il avait expérimentée et pratiquée pour réaliser leur fusée lorsqu’il était étudiant. Les deux amis se retrouvèrent très vite pour fonder Relativity Space. Ellis en est resté le « patron » alors que Noone, séduit par l’aspect financier de son travail, vole déjà vers d’autres cieux. Tout en restant présent par ses conseils auprès d’Ellis, il vient en effet de fonder la société « Embedded Ventures », un fonds qui se spécialise dans le financement des industries de la Défense et de l’Aérospatial. Il faut dire qu’il a démontré ses aptitudes dans ce milieu très dynamique et attractif (aux Etats-Unis). En juin 2021 il avait en effet obtenu, bien sûr avec la participation d’Ellis, le montant énorme de 1,3 milliards de dollars en fonds propres privés (capital risque) pour Relativity Space. Ceci leur permet aujourd’hui de « faire tourner » une entreprise de 170 employés en y travaillant librement (et ardemment) à la réalisation de leur rêve (chaleureusement approuvé bien entendu par leurs financiers).

L’originalité de la société, justifiant l’importance des financements reçus, est qu’elle fabrique ses fusées par impression 3D, en y intégrant l’intelligence artificielle et la robotique, induisant un maximum d’autonomie dans les opérations, sur la base de deux brevets déposés par Noone « Real-time adaptive control of additive manufacturing processes using machine learning » et « Real-time adaptive control of manufacturing processes using machine learning ». Cette impression 3D est quelque chose que les deux partenaires connaissent bien pour l’avoir déjà pratiquée, comme mentionné plus haut. Les avantages de l’impression 3D sont la suppression de nombreuses étapes intermédiaires dans la production et son corollaire la diminution drastique du nombre de pièces à assembler (100 fois moins), la rapidité d’exécution (60 jours pour réaliser une fusée à partir des matières premières), l’adaptabilité (on peut modifier les programmes d’impression) et le faible coût. A noter qu’elle est également utilisée pour certains équipements, comme les moteurs, par SpaceX. Le développement des « outils » et process depuis 2015 a permis l’utilisation d’imprimantes de trois générations successives. La génération prochaine pourra faire de l’impression horizontale (actuellement elle est verticale) ce qui facilitera les manipulations et contrôles d’objets longs comme les coques ou les réservoirs.

La première fusée de la classe « Terran-1 » est encore petite (33 mètres), comporte deux étages, a une charge utile possible de 1,25 tonnes (mais GLHF n’en emportera pas). Elle devra atteindre une altitude en orbite de 185 km (comme chacun sait, c’est un minimum). La même fusée Terran-1 pourra, si elle fonctionne, porter 900 kg sur une orbite SSO (Sun Synchronous Orbit, héliosynchrone) à 500 km d’altitude ; ou 700 kg sur une orbite SSO à 1200 km).  GLHF fonctionne au LNG, ce qui implique qu’elle sera facilement adaptable au méthane, brûlant dans l’oxygène. Le méthane a été visé parce que c’est un gaz que l’on peut obtenir sur Mars à partir du CO2 de l’atmosphère et de l’hydrogène de la glace d’eau. GLHF n’est pas réutilisable alors que les fusées Terran-1 suivantes le seront. Comme les autres futures Terran-1, elle utilise neuf moteurs « maison », « Aeon-1 », pour son premier étage et un autre moteur maison, « Aeon-Vac », pour le second étage (vac = vacuum, propulsion dans le vide). L’objet de ce premier vol n’est clairement qu’un essai. Au-delà du décollage il sera important de franchir l’étape « Max Q » (période du début de vol au cours de laquelle la fusée subit une pression dynamique maximale) pour voir sa résistance. L’ensemble du vol doit démontrer que les processus de réalisation « tiennent le choc » et que les principes appliqués pour les différents paramètres de contrôle et de navigabilité sont bons. La société en tirera un maximum d’enseignements grâce à un maximum de capteurs embarqués.

Il y aura exploitation commerciale de cette première classe de fusées Terran-1, qui peut se comparer à la Vega européenne. Il faut toujours penser à se financer car une entreprise privée ne peut pas vivre si elle n’est pas rentable. Mais en même temps la société préparera son objectif suivant qui est la réalisation puis le lancement dès l’année prochaine d’une fusée plus puissante, la « Terran-R ». Ce sera une fusée à deux étages (66 mètres), réalisée entièrement en impression 3D, récupérable et réutilisable. Elle aura une capacité d’emport de 20 tonnes en orbite et sera donc de la classe de l’Ariane 6, de la H3 japonaise ou de la Falcon-9 de SpaceX.

Sans attendre davantage, dès Novembre 2024, Relativity Space prévoit d’envoyer une fusée Terran-R en orbite de Mars, en partnership avec une autre start-up, « Impulse-Space ». Relativity fournira le lanceur et son second étage, Impulse qui s’est spécialisé dans le service « last-mile » en orbite, fournira la capsule et l’atterrisseur car il est bien prévu, dès le premier vol, de descendre sur la planète. Mars est en effet bien présent dans les esprits des membres de l’équipe. S’y poser est non seulement le but exprimé dans la présentation de la Société mais Ellis et Noone ne veulent pas se contenter de missions robotiques. Ils veulent pouvoir y aller pour que l’homme s’y installe physiquement. Dès aujourd’hui la société met en avant que l’impression 3D facilitera non seulement le séjour mais aussi l’implantation puisqu’elle permettra la construction des fusées à partir de matières premières martiennes. C’est en quelque sorte la quintessence de l’ISRU (In Situ Resources Utilization) recommandée par Robert Zubrin (fondateur de la Mars Society) dès le début des années 1990.

On peut remarquer que la fusée Terran-1 pourra concurrencer la fusée Vega (3ème échec au lancement, le 13 juillet 22) et que Terran-R pourra concurrencer Ariane 6 dont le premier lancement est sans cesse reporté, de même que la fusée H3 de la JAXA japonaise (2nd échec, 7 mars). C’est d’autant plus inquiétant (pour elles) que ces fusées concurrentes européennes et japonaises ne seront pas réutilisables (du moins tout de suite) ni bien sûr imprimables et que leurs lancements seront donc beaucoup plus coûteux que celui des Terran. C’est encore plus inquiétant quand on sait que SpaceX, déjà pleinement opérationnel et qui tient le marché avec sa gamme de lanceurs, Falcon-9, Falcon-Heavy et bientôt Starship, ne fera de cadeau à personne. Certes Ariane-6 deviendra sans doute un jour réutilisable (cf travaux en cours de la société suisse Almatech, spin-off de l’EPFL sur les pieds rétractables) mais en attendant, il faudra que l’ESA survive en dépensant davantage d’argent que ses concurrents. Autant dire que, comme actuellement, elle ne pourra compter que sur des commandes de lancement d’entités publiques européennes, captives. Et ceci se fera aux frais des contribuables de ces pays qui auraient pu dépenser l’argent autrement. Du moins quand Ariane 6 pourra voler (même dans son format non réutilisable) ce qui n’est pas encore démontré.

La conclusion c’est que les Etats-Unis malgré leurs problèmes sociétaux (wokisme, ultra-écologisme, ultra-féminisme…) restent extrêmement dynamiques dans ce secteur de l’astronautique et du spatial. Sans doute est-ce parce que le sujet séduit une bonne partie des Américains, ingénieurs, entrepreneurs et investisseurs, que cette population riche et puissante considère sans aucune inhibition les voyages, habités ou non, dans l’espace et qu’elle ne considère pas Mars comme un objectif d’exploration habitée inavouable. Aux Etats-Unis, on peut encore parler de science-fiction dure sans être vu comme un adolescent attardé coupé des réalités mais comme un entrepreneur sérieux. Comme par ailleurs, le capital-risque est une pratique largement comprise et encouragée on ne doit pas s’étonner de la multiplicité de ces initiatives New Space qui ont l’avantage de ne rien coûter à la collectivité nationale. Avec Elon Musk comme modèle, tous les espoirs sont stimulés. Grace à lui également (le réutilisable !) toutes les audaces sont permises, sans tabou. C’est de là que peuvent sortir l’innovation et la création, non de l’esprit timoré et conformiste de fonctionnaires qui doivent rendre compte à des autorités politiques obsédées par les problèmes « sociaux » et la conformité au « possible ».

Le lancement de GLHF aura lieu depuis Cap Canaveral, car Relativity bénéficie de la mise à disposition par la NASA d’une plateforme de lancement à Cap Canaveral. Vous pourrez le suivre sur Youtube (lien ci-dessous).

Je remercie Christine Vogt, membre de la MSS, de m’avoir mis sur la piste de cette très belle start-up.

Liens :

https://qz.com/relativity-space-aims-for-a-record-breaking-debut-launc-1850197041 (avec la video de l’essai du 8 mars)

https://www.space.com/relativity-space-1st-terran-1-3d-printed-rocket-scrub

https://en.wikipedia.org/wiki/Relativity_Space

https://en.wikipedia.org/wiki/Terran_1

https://www.impulsespace.com/

Illustration de titre : un moteur Aeon-1 créé et réalisé en impression 3D par Relativity Space. Une véritable œuvre d’art ! Les ergols arrivent par la droite, sont mis au contact au centre dans la chambre de combustion ; les gaz résultant de la combustion sont expulsés par la tuyère à gauche. Il existe trois versions du moteur Aeon-1 ; Aeon-R ; Aeon-Vac. Ils utilisent du gaz naturel liquide (LNG) comme carburant et de l’oxygène liquide comme comburant.

Illustration ci-dessous: trajectoire de GLHF (crédit Relativity Space):

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Index L’appel de Mars 23 01 29