Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

La question obsède tous ceux qui s’intéressent à la cosmologie. Aujourd’hui, du fait des observations et des réflexions qui se sont déroulées depuis un siècle, elle se pose à l’intérieur de contraintes nouvelles.

Nous savons maintenant que notre univers est apparu il y a 13,8 milliards d’années. On peut le définir au « début » comme une graine porteuse de tout le potentiel qui s’est développé ensuite, aussi bien en termes de matière visible ou de matière noire, que de force d’expansion, de force d’accélération de cette expansion (l’énergie sombre ?), et de force de gravité.

Au début cette graine n’était qu’un point (l’« atome primitif » de Georges Lemaître), et d’après ce qu’on peut en déduire de son histoire ultérieure en partant de maintenant (c’est en remontant le temps qu’on a pu le concevoir et le déduire par le calcul), ce point était extrêmement dense et porteur d’une énergie extrêmement élevée puisqu’aujourd’hui encore il n’a pas épuisé, et de loin, son potentiel.

Y avait-il quelque chose avant ou y a-t-il quelque chose en dehors ? C’est en fait les deux mêmes sous-questions à la première (Pourquoi y a-t-il quelque chose…), tant, nous le savons aujourd’hui, le temps et l’espace sont étroitement liés.

Les cosmologues ou les théoriciens du temps, comme le physicien Carlo Rovelli, qui ont compris que le temps était lié à la matière, répondent qu’il ne pouvait y avoir de temps sans matière, donc qu’il n’y avait pas de temps « avant ».

Ceux qui pensent qu’il n’y a rien en dehors de l’Univers, comme la plupart des cosmologues, pensent que son espace est illimité, même s’il est fini avec un début et une fin, et donc qu’il n’a pas d’extérieur. Ce qui ne serait pas dans l’Univers ne pourrait exister, ni dans le temps ni dans l’espace, et donc se poser la question d’une masse, d’un espace ou d’un temps qui s’écoule hors de l’Univers n’a pas de sens.

L’Univers est une bulle sans bord qui gonfle depuis un moment précis (il y a 13,8 milliards d’années) à partir de ce Point et dont l’expansion s’accélère sans cesse pour un jour lointain conduire le tout, irrémédiablement, par dispersion intégrale, à une mort thermique universelle.

Mais cette position ne peut résoudre totalement l’énigme de l’Origine. Car s’il y a eu « quelque-chose » à un certain moment c’est que ce quelque-chose avait une cause. Or la relation de causalité suppose une succession dans le temps, un « avant » précédant la « conséquence ».

Alors que pouvait-il bien y avoir « avant », pour que ce Point surgisse ?

Certains disent que l’Univers serait sorti d’une fluctuation quantique, selon le même principe que le vide spatial n’est pas vraiment vide mais animé de ces fluctuations faisant surgir à tout moment une multitude de paires de particules et d’antiparticules s’annihilant quasi-immédiatement.

Une démonstration théorique crédible déroulée par Stephen Hawking est celle du rayonnement des trous noirs qui résulterait des conditions gravitaires extraordinaires de l’environnement proche de leur « horizon des événements ». Selon cette théorie, la force de marée énorme générée à cette distance (rayon de Scwarzschild) par le champ gravitationnel d’un trou noir, permettrait d’éloigner suffisamment les antiparticules de leurs jumelles virtuelles, les particules positives, avant leur annihilation réciproque, libérant ainsi ces dernières à une vitesse suffisante (leur masse ayant été réduite de moitié) pour qu’elles puissent s’échapper de l’attraction du trou noir et rayonner.

On pourrait donc imaginer qu’il aurait pu exister des champs de bosons, constituant la trame du futur Univers et lui préexistant, qui auraient pu être utilisés par un phénomène du même type. Mais attention cependant ! le champ de bosons dans lequel circulent « nos » bosons est sans doute un produit de notre univers, celui qui existe à partir du Big-Bang et dans lequel nous sommes aujourd’hui. Pour qu’il y ait eu une Origine par manifestation d’un phénomène quantique, il aurait donc fallu qu’un mécanisme quantique équivalent à ce champ de bosons qui nous est propre se produise avant le Big-Bang.

On entre ici dans l’hypothèse des multivers, ces univers en nombres infinis qui naissent et meurent et coexistent en parallèle au nôtre. Pourquoi pas ? L’existence d’un espace dans lequel ce phénomène pourrait se produire serait une des explications possibles de l’apparition de notre propre Univers. Une alternative serait la re-formation d’un nouvel éon après l’épuisement du précédent et réutilisant sa structure évanouie, selon la théorie de la Cosmologie Cyclique Conforme de Roger Penrose.

Certains cosmologues recherchent à la surface du Fond-diffus-cosmologique, cette image qui nous provient du moment où, 380.000 ans après le Big-Bang, la lumière s’est libérée de la matière, une dissymétrie qui au-delà des anisotropies, pourrait indiquer un frottement avec une autre bulle d’univers, ou la trace d’un éon précédent. Il y a bien un « point froid » ou un « super-vide » sur ce Fond, une zone assez large, deux milliards d’années-lumière, vingt fois la surface du disque lunaire, où les photons apparaissent nettement plus froids ou plus rares qu’ailleurs. Mais jusqu’à présent rien ne peut permettre de l’interpréter dans le sens d’un autre univers extérieur ou précédent.

De toute façon cela ne ferait que reporter le problème car cet espace antérieur à notre Univers ou l’englobant, ou encore l’éon antérieur au nôtre et, au-delà, l’éon primitif ou mieux encore, l’atome primitif de l’éon primitif, d’où viendrait-il ? Quelle en serait l’origine ?

On voit bien que l’on ne peut trouver de réponse scientifique satisfaisante à l’apparition de l’Univers. Soit le milieu dans lequel il apparait existe de toute éternité mais nous n’avons pas le moindre indice qu’un autre univers existe, soit il résulte d’une Création…mais d’où proviendrait le Créateur-incréé ?

Je vous laisse sur cette réflexion.

Illustration de titre : le Grand-architecte de William Blake, British Museum.

Lectures :

Jean-Pierre Luminet : De l’infini par JP Luminet et Marc Lachièze Rey, chez EKHO, 2019.

Carlo Rovelli : L’ordre du Temps, chez Flammarion, Champs Science, 2019.

Michel Cassé :Du vide et de la Création, chez Odile Jacob, 2001.

Istvan Szapudi : Detection of a supervoid aligned with the cold spot of the cosmic microwave background, par I. Szapudi et al., MNRAS, vol. 450, n° 1, pp. 288-294, 2015.

Michel-Yves Bolloré/Olivier Bonnassies : « Dieu, La Science, les preuves » chez Guy Trédaniel (2021).