A la recherche de planètes de type terrestre autour d’étoiles ultra-froides

Un mouvement se manifeste actuellement chez les astronomes et astrophysiciens pour identifier grâce à de nouveaux outils, tels les télescopes SPECULOOS, un maximum de planètes de type terrestre orbitant dans la zone habitable des étoiles proches peu massives, naines-rouges ou naines-brunes. Cette recherche est ce qu’on peut faire de mieux aujourd’hui dans le cadre d’une démarche de longue durée qui vise à déterminer les conditions et contraintes de l’apparition de la Vie.

Rappelons que la zone habitable d’une étoile est le tore* au sein duquel les radiations reçues sont telles que la température qu’elle génère permet l’eau liquide en surface de la planète qui pourrait y évoluer. Pour être comparables à la Terre, les planètes recherchées sont rocheuses (pour que l’eau puisse « couler » sur un support et l’imprégner), ne doivent être ni trop petites (les planètes trop petites se refroidissent trop vite), ni trop massive (les « superterres » restent trop chaudes et leur croûte peut-être trop fine exposant fréquemment au magma tout ce qui se trouve à leur surface), et elles doivent évidemment être enveloppées d’une atmosphère.

*On pourrait penser à la sphère mais la force de gravité entraîne naturellement les planètes à tourner autour d’une étoile là où sa masse en rotation est la plus importante, c’est-à-dire son équateur. Plus la distance à l’étoile augmente plus cette contrainte s’affaiblit. C’est ainsi que les nuages de Oort finissent par former comme une coque autour du système planétaire.

Si l’on s’attache aux étoiles les moins massives c’est que la recherche de petites planètes autour d’elles est plus facile, c’est même les seules que l’on puisse identifier, sauf accident (ou plutôt, coup de chance). En effet tout d’abord la lumière d’une naine-rouge et a fortiori d’une naine-brune est moins éblouissante et donc l’atténuation du rayonnement par le passage d’une petite planète entre l’étoile et nous, autrement dit son « transit », aura un effet d’avantage perceptible visuellement. Ensuite, la zone habitable générée par une étoile peu massive est extrêmement proche de cette étoile (beaucoup plus proche que Mercure n’est du Soleil) et donc la période orbitale des planètes qui s’y trouvent est très courte et leurs transits très fréquents ce qui a pour conséquence qu’ils peuvent être contrôlés et confirmés moins difficilement. Rappelons que pour une étoile comme le Soleil, le transit d’une planète située dans la zone habitable (la Terre), n’intervient que tous les ans. Les autres méthodes de détection des planètes, « vitesse radiale », « astrométrie » ou « microlentille gravitationnelle » qui toutes constatent leur effet gravitationnel sur l’étoile, sont contraintes par la même difficulté. Je parle dans cet article de la méthode du transit puisque c’est celle qui est utilisée par les nouveaux instruments.

Ces instruments sont les SPECULOOS (Search for habitable Planets EClipsing ULtracOOl Stars) qui font suite aux TRAPPIST (TRAnsiting Planets and PlanetesImals Small Telescope) qui étaient ce qu’on appelle des « précurseurs » dans un environnement plus large où il existe d’autres télescopes dédiés mais avec des objectifs et des moyens un peu différents (TESS de la NASA – en cours de mission*, CHEOPS de L’Uni. Berne et de l’ESA – en cours de mission, Kepler de la NASA – mission achevée). NB : vous remarquerez que les deux (très mauvais) acronymes SPECULOOS et TRAPPIST indiquent l’origine belge du programme (Université de Liège, Michaël Gillon). La Coopération SPECULOOS est en effet dirigée par l’Université de Liège en partenariat avec l’Université de Cambridge. Les autres membres en sont l’Université de Birmingham, le MIT, l’Université de Bern, l’Institut d’Astrophysique des Iles Canaries et l’ESO (European Southern Observatory).

*avec un point d’interrogation car TESS est malheureusement en panne depuis le 12 Octobre. L’acronyme de TESS est Transiting Exoplanet Survey Satellite. 

TRAPPIST comprend deux télescopes, l’un dans l’hémisphère Sud, l’autre dans l’hémisphère Nord, chacun équipé d’un miroir primaire de 60 cm de diamètre. Il s’est illustré par la découverte en 2015 de « TRAPPIST-1 », un système de sept planètes autour d’une naine rouge de 0,08 masses solaires, dont 3 dans sa zone habitable et de masses comparables. Les télescopes SPECULOOS sont un peu plus puissants avec un diamètre de miroir primaire de 1 mètre. Il y en a quatre dans l’hémisphère Sud (Cerro Paranal, « SSO »), un dans l’hémisphère Nord (Tenerife, « SNO ») plus une collaboration avec un télescope au Mexique (SAINT-EX) et bien sûr avec les TRAPPIST, toujours en activité. Leur segment d’observation se situe dans l’infrarouge proche, c’est-à-dire qu’il prolonge vers le rouge (étoile M et en-dessous, L,T et même peut-être Y dont le rayonnement est le plus faible) le segment observé par le télescope spatial TESS qui observe les étoiles les plus brillantes de notre environnement (G et K dans la classification de Harvard O, B, A, F, G, K, M et brunes, le soleil étant classé G).

SPECULOOS se consacre, comme TRAPPIST, aux étoiles proches mais il pourra en voir 10 fois plus, c’est-à-dire voir des planètes dont la luminosité/rayonnement est nettement plus faible. Son objet est effectivement d’identifier le maximum de planètes de type terrestre en zone habitable de ces étoiles peu massives pour en tirer des informations que l’on pourra généraliser. Les « candidates » les plus intéressantes seront transmises au JWST dont la capacité de discernement est plus puissante et qui est équipé pour détecter et analyser le spectre des atmosphères. Il faut cependant que les étoiles ne soient pas trop éloignées (au plus quelques petites centaines d’années-lumière) et pas trop lumineuses mais cependant suffisamment pour être détectables par les télescopes.  L’avantage du rayonnement infrarouge (qui est aussi celui utilisé par le JWST) c’est que dans cette partie du spectre électromagnétique il y a moins de différence d’intensité entre le rayonnement de l’étoile et celui de la planète.

SPECULOOS Sud a vu sa première lumière en décembre 2018 et a commencé ses observations en janvier 2019. En septembre 2022, il a détecté une planète qui mérite une attention particulière, « LP 890-9 c ». Cette planète a fait l’objet d’une publication dans la revue Astronomy & Astrophysics le 7 septembre. L’auteur en est Laetitia Delrez, chargée de recherche au sein des unités de recherches Astrobiology et STAR (Faculté des Sciences) de l’Université de Liège. Elle est située dans la zone habitable de la naine-rouge LP 890-9 (du même type que TRAPPIST-1), à une centaine d’années-lumière de chez nous. Sa masse est 40% supérieure à celle de la Terre et elle orbite son étoile à une distance 10 fois inférieure à celle de Mercure. La raison de l’attention qu’on lui porte est qu’elle présente la particularité d’être proche de la limite intérieure de la zone habitable (HZ) et donc, si elle a une atmosphère qui contient de l’eau, que celle-ci pourrait être, du fait de la température élevée, largement sous forme de vapeur ce qui faciliterait la détection de cet élément. Une autre planète du système avait été précédemment vue par TESS mais encore plus proche de l’étoile donc en dehors de la zone habitable. SPECULOOS a pu faire mieux car le télescope a davantage de capacité dans l’infrarouge. A noter que l’effet de marée sur cette planète résultant de la force de gravité généré par l’étoile, doit être très fort et provoquer une activité volcanique intense qui, au-delà de l’eau, peut enrichir l’atmosphère de toutes sortes de gaz dont bien sûr du gaz carbonique et des composés soufrés.

Les astrophysiciens veulent tirer de ces observations des enseignements de nature biotique (pour ne pas dire biologique) ou comme on dit, « détecter des biosignatures » comme, par exemple, la présence d’oxygène moléculaire ou de méthane dans l’atmosphère (mais les autres gaz ne sont pas négligeables car ils peuvent constituer un cocktail favorable à la vie). C’est dans cet état d’esprit et avec ces données que travaillent en Suisse, à l’ETHZ, le « Centre pour l’origine et la prévalence de la vie » dirigé par le Prix Nobel Didier Queloz et à l’Université de Genève, le « Centre pour la vie dans l’Univers » dirigé par l’astrophysicienne Emeline Bolmont (voir « la Der » du Temps du 18/10/2022).

A noter que Didier Queloz a cédé sa place à Emeline Bolmont le 22 septembre à l’ETHZ et que le Centre de Berne est un peu plus récent que celui de Genève. Selon le Président de l’EPFZ, Joël Mesot, Didier Queloz travaille à « comprendre comment la vie s’est développée sur la Terre et s’il y a de la vie en dehors du système solaire ». Quant à Emeline Bolmont, d’après ses propres termes rapportés par Le Temps, elle doit « contribuer à percer les mystères de l’origine de la vie sur Terre et à répondre à la question : y a-t-il de la vie ailleurs ? » ce qui me semble être exactement la même chose. La concurrence c’est l’émulation et c’est certainement une bonne chose mais espérons qu’elle n’exclut pas la coopération. Ceci dit, le départ de Genève de Didier Queloz est certainement une perte pour l’Université de Genève et me semble mal expliqué.

Mais quoi attendre de cette quête ? On étudie les planètes de type terrestre orbitant les naines rouges ou brunes parce que ce sont les plus faciles à étudier mais peut-on vraiment espérer trouver de la vie sur ces planètes ? Je crains que non. L’« habitabilité » n’est fondée que sur une température qui permettrait à l’eau d’être liquide et c’est un leurre pour deux raisons.

La première c’est que la combustion interne (fusion hydrogène => deutérium) des naines-rouges est erratique. Leurs tâches solaires peuvent atténuer la lumière émise jusqu’à 40% pendant plusieurs mois et, à d’autres périodes, des éruptions gigantesques, proportionnellement à leur diamètre, peuvent doubler leur luminosité en quelques minutes et bien sûr atteindre les planètes très proches qui évoluent dans sa zone habitable.

La seconde c’est qu’en raison de la faiblesse relative du rayonnement d’une naine-rouge, la zone habitable est si proche de l’étoile que, par effet de marée, la planète qui peut s’y trouver sera bloquée dans sa rotation, présentant toujours la même face à l’étoile (comme la Lune avec la Terre). Les seuls mouvements à la surface de ces planètes pourraient être (1) un mouvement de convection dans l’atmosphère provoqué par l’existence d’un pôle froid (l’atmosphère au-dessus de la face froide) et d’un pôle chaud (l’atmosphère d’autant plus chaude qu’elle se trouve à la verticale du rayonnement de l’étoile), donc certainement du vent ; (2) les mouvements liés à la gravité (évaporation, pluie, écoulement de l’eau) ; (3) du volcanisme; (4) de temps en temps un cataclysme radiatif lié à une éruption de type « white-light-flare », riche en rayons X, de l’étoile . Tout récemment, il a été constaté sur un très petit échantillon, que ces éruptions proviendraient des hautes latitudes (à partir de 50°) de l’étoile et non de l’équateur, ce qui limiterait les risques pour les planètes orbitant dans ce plan. Cette particularité reste à confirmer.

Les conséquences me semblent tout à fait incompatibles avec une véritable habitabilité ou du moins avec une évolution au-delà de formes très primitives de vie. D’abord le flux radiatif occasionnellement extrêmement fort risque d’empêcher toute évolution suffisamment longue d’organismes en surface. Ensuite l’absence totale de fluctuation des marées de l’eau liquide, d’alternances périodiques de luminosité et même de déplacements d’ombre et de lumière sont des particularités très différentes de notre environnement terrestre dont il est difficile d’apprécier les conséquences mais qui me semblent peu favorable à la vie. La vie sur Terre a certes subi des violences extrêmes lors de certains événements mais ces événements ont été séparés par de très longues périodes de douceur, de délicatesse et d’évolution très lente et continue.

Maintenant il n’est pas du tout exclu que le milieu aqueux liquide sur surface rocheuse (donc minéralement et chimiquement riche) exposé à des rayonnements continus, puisse faire évoluer assez loin les molécules organiques. Il sera passionnant de savoir jusqu’où.

L’alternative serait de « tomber » sur une planète de type terrestre orbitant une étoile de type solaire. Cette découverte compte tenu des limites de nos instruments actuels, ne serait possible que par le JWST dans des systèmes planétaires situés dans notre proximité immédiate. On peut toujours espérer.

Illustration de titre :

Vue d’artiste montrant l’étoile rouge et ses deux planètes, ainsi que certains des télescopes utilisés pour la découverte. ©Université de Birmingham/Amanda J.Smith.

Illustration ci-dessous : les quatre télescopes de SSO. Ils sont situés à 2250 mètres d’altitude. Vous pouvez voir au sommet à gauche le VLT de l’ESO et à droite, beaucoup plus proches, les installations de l’ESO abritant les personnes travaillant sur les sites :

 

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