La Planète-9 est cette planète hypothétique située aux confins du système solaire dont certains astronomes ont déduit l’existence par les orbites d’autres corps lointains. Sa probabilité est remise aujourd’hui en cause. Quoi qu’il en soit, elle reste passionnante car la réponse à sa recherche sera très utile à notre compréhension du système solaire.
Une étude de K.J. Napier et al. (Dept. de Physique de l’Université du Michigan, Ann Arbor) avec de très nombreux co-auteurs et en cours de publication (version préparatoire datée de Février 2021), contredit l’étude de Konstantin Batygin et Mike Brown (CalTech) de 2016. Selon celle-ci la concentration des périhélies des « ETNO », objets transneptuniens extrêmes (planètes naines situées au-delà de 30 UA, Unités Astronomiques*) d’un seul côté du Soleil, serait équilibrée par l’existence « de l’autre côté », d’une « Planète-9 » d’une masse égale à 5 à 10 fois la Terre ou, alternativement, d’un petit trou noir (« primordial ») capturé par le Soleil.
*une UA est égale à la distance Terre-Soleil, soit 150 millions de km, Neptune, la planète la plus lointaine, dans notre Système, se trouve à 30 UA du Soleil.
Cette étude m’intéresse à plusieurs titres. Elle concerne la probabilité de trouver dans notre système solaire une nouvelle planète de taille au moins égale à celle de la Terre, ce qui serait tout à fait exceptionnel mais porteur de sens, même si on ne la trouve pas parce qu’elle n’existe pas. Elle concerne la probabilité d’une autre planète à la surface solide en surface de laquelle un atterrisseur et peut-être un homme pourrait se poser (lorsqu’on aura développé des moteurs nucléaires pouvant procurer une poussée continue pendant le temps nécessaire). Enfin elle illustre bien la démarche scientifique ainsi que la manière dont progresse la science.
Nous connaissons bien notre système jusqu’à Neptune et au-delà jusqu’au couple Pluton-Charon (qui évolue entre 29 et 49 UA), premiers des TNO (Trans Neptunian Objects). C’est à partir de l’orbite de Pluton que l’on pénètre dans la ceinture de Kuiper, monde nouveau des KBO (Kuiper Belt Objects) dont le premier fut identifié en 1992. Après plusieurs autres observations, on commence « à y voir plus clair », c’est-à-dire qu’on peut dresser aujourd’hui une cartographie de la Ceinture de Kuiper en y distinguant plusieurs régions, « Ceinture-classique » avec « astres-chauds » et « astres-froids » ; « Ceinture des astres épars » ; « Objets-détachés » ou ETNO, ces derniers étant présumés s’être formés en dehors de l’influence de Neptune parce qu’ils ne s’approchent pas à plus de 10 UA de l’orbite de cette dernière et donc à plus de 40 UA du Soleil (les plus connus sont Sedna et les Sednoïdes). C’est dans ces confins que je voudrais que vous veniez aujourd’hui avec moi.
Batygin et Brown ont remarqué et fait réaliser à tous dans leur étude de 2016 que les gros KBO (des « planètes naines » comme Pluton ou Sedna) recensés à l’époque avaient tous leur périhélie d’un seul côté du Soleil. Ils en ont déduit qu’une masse les équilibraient « de l’autre côté ». Et compte tenu de la configuration des orbites de ces gros KBO, cette masse devait évoluer entre 200 et 1200 UA, c’est-à-dire en position moyenne à l’intérieur de la Ceinture de Kuiper (le Nuage de Oort intérieur commence vers 2000 UA) et elle devait être suffisamment importante pour avoir cet effet gravitationnel sur les autres. L’évaluation de ce « suffisamment » a beaucoup varié (en fonction de l’évolution de l’estimation de la masse de l’autre côté), d’un peu moins d’une masse terrestre à une dizaine de masses terrestres. En fonction de ces évaluations et compte tenu de leur situation dans un milieu très froid, on pouvait imaginer une surface solide si l’astre n’était pas trop gros (type Pluton) mais il n’en aurait pas été de même pour une « superterre » dont la masse aurait dépassé quelques 5 masses terrestres. A partir de ce seuil en effet la chaleur interne conservée de l’accrétion, accrue par la pression et accumulée par la désintégration radioactive des éléments les plus instables (comme le thorium 232), maintiendrait une certaine chaleur en surface et donc sans doute une atmosphère.
La Planète-9, si elle existait, ne serait pas facile à observer même si on savait à peu près où devait se trouver son orbite, puisque par définition une planète n’émet pas de lumière mais en réfléchit et à ces distances du Soleil elle en réfléchit très peu. Elle pourrait certes émettre quelques rayonnements infrarouges, surtout si elle est massive, mais, étant si lointaine elle ne peut se déplacer que très lentement, peut-être une orbite parcourue (« révolution » ou « année ») entre 10.000 et 20.000 ans, et elle ne se distinguerait que très difficilement des astres plus lointains et apparemment fixes. Une alternative, évidente aujourd’hui (après Michel Mayor), serait de la rechercher par la méthode des transits en vérifiant qu’elle n’a aucune incidence sur la vitesse radiale de l’étoile de référence, comme on recherche les planètes orphelines en-dehors de notre système solaire. Mais cela reviendrait presque à chercher une aiguille dans une botte de foin, la différence étant toutefois qu’il y a sans doute beaucoup plus de planètes orphelines dans l’espace que d’aiguilles dans la botte de foin. Après plusieurs années de recherche infructueuse, certains se demandent même si l’explication de cette difficulté ne serait pas que la Planète-9 était plutôt un trou noir primordial, évidemment minuscule. En effet, la densité d’un tel trou noir aurait fait que sa taille n’aurait pas été supérieure à celle d’un petit astéroïde et qu’on aurait pu la déceler que par l’action qu’elle aurait pu avoir sur son voisinage, pourvu qu’elle en ait un assez proche et massif pour que les conséquences de cette action aient pu être perçues.
On en était à ce stade mais on ne s’y est finalement pas arrêté car d’autres planètes naines ont été découvertes dans la région (il n’y en avait que 6 lors de l’étude de 2016 et il y en a 14 aujourd’hui) et parce que, surtout, les auteurs de l’étude cités en début d’article ont fait remarquer qu’il y avait un biais dans l’identification des KBO et que leur unilatéralisme n’était probablement qu’apparent.
Alors il n’existe peut-être pas plus de Planète-9 que de planète Vulcain (supposée à une certaine époque évoluer à l’intérieur de l’orbite de Mercure). Mais ce n’est pas certain non plus. Cette étude n’est en effet pas la preuve de la non existence d’une planète-9. Elle repose encore sur trop peu d’observations et elle utilise un simulateur pour généraliser les résultats, dont on peut discuter les paramètres même s’ils recoupent bien les observations réelles, effectuées.
Les conséquences sont simplement que s’il existe une planète 9, elle sera plus difficile à trouver qu’on le pensait puisqu’on ne peut plus se référer à la force de gravité conjuguée des ETNO identifiés par Batygin et Brown. On verra avec la suite des découvertes de KBO comment affiner la recherche qui conduira peut-être à confirmer que cette planète n’existe pas mais qu’il y a sans doute d’autres planètes-naines du type Eris ou Pluton. Nous en saurons certainement plus avec la réalisation de deux projets : le « Deep Ecliptic Exploration Project » (DEEP) annoncé en 2019, qui utilise la « Dark Energy Camera » (DECam) du télescope Blanco de 4 m de l’Observatoire Inter Americain au Cerro Tololo (Chili) et, à partir de 2021, le nouveau télescope LSST de l’Observatoire Vera Rubin (Cerro Pachon, Chili).
Cette évolution est un exemple intéressant du cheminement de la Science. On peut déduire de bonne foi une théorie erronée d’une observation et corriger cette erreur par d’autres observations. Il faut alors accepter de s’être trompé ou de ne pas avoir « tout vu » et en tirer à nouveau des conséquences. Cela est plus intéressant que de persister dans l’erreur.
Si en fin de compte il n’y a pas de Planète-9 cela peut résulter de plusieurs causes. Peut-être au-delà d’une certaine distance du Soleil (ou, bien sûr, d’une étoile), les vitesses sont-elles trop faibles et les occasions de « rencontres » trop limitées pour que de grosses concentrations de matière puissent s’effectuer. Peut-être la plupart des planètes-naines de la famille ETNO n’existent que parce que le bord interne de la Ceinture de Kuiper a été « chamboulé » par le retour de Jupiter et de Saturne au-delà de leur zone d’accrétion originelle à la fin du Grand-Tack (rebroussement) qui a projeté Neptune au-delà d’Uranus dans cette zone, facilitant ainsi les concentrations de matière.
Ou bien, a contrario mais dans la même ligne de raisonnement, si on trouve un jour une Planète-9, elle pourrait être une planète non pas formée in situ mais provenant de la zone la plus active de formation du système solaire, juste après Saturne. Dans le scénario du « Grand-Tack » (grand rebroussement, théorie d’Alessandro Morbidelli) en effet, non seulement Neptune aurait été rejeté par Saturne au-delà d’Uranus et cette dernière aurait acquis du fait de la perturbation une rotation anormale (inclinée à 98% sur son plan de révolution) mais la planète qui se serait trouvée entre Saturne et Uranus, une 5ème géante gazeuse, aurait été éjectée plus violemment que Neptune, « quelque part ailleurs ». Ce « quelque part » serait soit en dehors du système solaire, soit encore à l’intérieur, donc soit dans la Ceinture de Kuiper soit dans les Nuages de Oort…Mais ceci n’est qu’une spéculation. Et il serait sans doute logique qu’une grosse planète, genre super-terre ou géante gazeuse, ne puisse avoir été formée dans la Ceinture de Kuiper ou dans le Nuage de Oort puisque logiquement ces régions lointaines disposent de beaucoup moins de matière que vers le centre (ou, autrement dit, que la densité de matière dans le disque protoplanétaire est moins élevée à la périphérie qu’au centre).
La conclusion est qu’il faut continuer à observer, à chercher, à raisonner et on trouvera encore des choses merveilleuses « près de chez nous » (dans la Ceinture de Kuiper, nous sommes quand même encore dans notre système solaire). J’imagine dans un lointain futur, un vaisseau spatial mu par un moteur nucléaire arrivant en vue de la 5ème géante tapie dans l’ombre des confins de notre Système après un très long voyage et envoyant des sondes à sa surface ou plutôt dans les nuages de sa haute atmosphère afin de l’analyser, et, enfin, de découvrir son origine.
Références :
1) No Evidence for Orbital Clustering in the Extreme Trans-Neptunian Objects (2102.05601.pdf) astro.ph arXiv.org (Cornell University).
2) https://phys.org/news/2021-02-evidence-planet-diminishing-clustering.html
3) https://en.wikipedia.org/wiki/Planet_Nine
Illustration de titre: la Planète 9. Credit: Pixabay/CC0 Public Domain