Serons-nous demain encore d’humeur à partir pour Mars ?

J’ai mentionné à plusieurs reprises dans ce blog que si nous ne partons pas nous établir sur Mars aujourd’hui, peut-être ne voudrons-nous même plus l’envisager demain. L’affaire des gilets-jaunes confirme pour moi cette crainte*. Cet article est une réponse à ceux qui disent que Mars brillera toujours dans notre ciel, qu’il n’y a pas d’urgence et que nous irons bien un jour. Rien n’est moins certain.

*et aussi les prises de position de certains économistes écologiques extrémistes, par principe « anti-riches », souvent très mal informés sur les sujets astronautiques (cf article du 13 janvier de Laurent Horvath dans son blog Géopolitique mondiale des énergies, hébergé par Le Temps. Voir la réponse de Pierre-André Haldi qui « remet les pendules à l’heure »).

Dans les années 1970, l’espace nous était ouvert et nous envisagions de nous poser sur Mars avant la fin du siècle. Nous disposions pour ce faire de la fusée Saturn V qui avait permis d’aller sur la Lune et qui aurait effectivement permis l’atterrissage en douceur des masses suffisantes sur Mars et nous pensions que nous pourrions relativement rapidement construire des fusées encore plus puissantes pour y transporter davantage de masse utile et de personnes.

Cependant, les Etats-Unis ayant incontestablement remporté la compétition engagée contre l’URSS, avec le succès de leurs programme Apollo, l’intérêt s’émoussa. C’est un phénomène assez surprenant et très regrettable car, à part la dernière mission qui avait permis de commencer à faire un peu de science (avec le géologue Harrison Schmitt), tout s’arrêta brusquement. On était en 1972. Lyndon Johnson avait lancé son pays dans Medicare et Medicaid et surtout la guerre au Viet Nam. Son successeur en janvier 1969, Richard Nixon était totalement indifférent (« did not give a damn ») à la recherche spatiale. On avait là, la preuve que la course à la Lune avait exprimé essentiellement la volonté de montrer qu’on était meilleur que l’autre. Nixon se comportait comme un gamin content d’avoir couru le plus vite. L’accomplissement était certes considérable et remarquable sur le plan technologique mais sur le fond, le progrès de la Connaissance, il restait très limité.

Ayant « gagné », les dirigeants américains se demandèrent alors que faire, dans quelle voie s’engager pour les vols habités et ils donnèrent à cette réponse un choix technologique plutôt qu’un choix d’objectif à atteindre. Il s’agissait de continuer à briller aux yeux des plus simples (ou des moins intéressés) des Américains, en inventant des technologies encore plus spectaculaires, plutôt que d’aller « quelque part » et d’approfondir la recherche lunaire. Le vol robotique, c’était la science, le vol habité, le spectacle. On n’envisageait pas de troisième voie, de vol robotique exhausté par la présence et l’action de l’homme.

Dans cet état d’esprit, rassurés mais en même temps effrayés de leur audace passée, les dirigeants américains firent deux choix catastrophiques car ils ne menaient nulle part (ce n’était pas leur objet) : la navette et la station spatiale internationale (« ISS »). La navette partait d’une bonne idée, créer un véhicule multiusage et récupérable pour abaisser les coûts des lancements. Mais la réalisation montra vite qu’on était sur une fausse piste car la « maintenance » s’avéra extrêmement coûteuse, l’isolation thermique par revêtement de tuiles de céramiques imposant notamment des contrôles et des remplacements fastidieux et très chers. Les vols commencèrent en 1981. Un premier accident mortel intervint en 1986, un second en 2003 et on continua quand même, en renâclant, jusqu’en 2011. A part le sauvetage puis la maintenance / modernisation du télescope Hubble en cinq missions de 1993 à 2009, que de vols inutiles sur les 135 réalisés ! Après que l’ISS fut lancée, en 1998, on ne pouvait plus très bien savoir si la navette volait pour desservir l’ISS ou si l’ISS avait été construite pour servir de but aux petites incursions de la navette dans l’espace (très) proche.

L’autre erreur fut en effet l’ISS. Comme Apollo ce programme fut décidé pour des raisons politiques. Ce n’était plus la compétition mais la coopération qui l’inspirait. Le résultat fut un énorme “machin” pour aller nulle part et qui était censé permettre d’entraîner des hommes à vivre dans l’espace. Il y avait sans doute quelques leçons à en tirer mais lorsque le mécano fut monté, on chercha à l’utiliser d’une manière ou d’une autre, sans beaucoup de logique pourvu que « tout le monde » puisse aller y faire un petit tour. Et puis l’objet ayant coûté si cher (environ 150 milliards d’euros) on rechigna à s’en débarrasser et on l’a toujours sur les bras (jusqu’en 2024, date du retrait annoncé de la NASA), ce qui coûte toujours très cher (3 à 4 milliards par an, à comparer au budget annuel de la NASA de 20 milliards par an). Je ne veux pas dire que l’ISS n’a servi à rien. Ce n’est pas le cas. L’expérience du montage d’éléments dans l’espace, de la maintenance, des tests des systèmes de support vie ont été utiles mais l’étude (principale) des effets (néfastes) de l’apesanteur ne nécessitait pas d’être aussi longue, la conclusion étant vite atteinte qu’il fallait procurer aux astronautes une gravité artificielle. On aurait pu aussi bien étudier tout cela au cours de vrais voyages Terre / Lune.

Le temps passe et comme les retombées sont peu visibles, le public se lasse alors que c’est lui (sauf intervention d’une entreprise privée), en tant que citoyens et électeurs, qui apporte le financement. La perspective de l’arrêt de l’ISS aurait pu faire penser qu’enfin, on allait repartir pour une phase d’expansion. Malheureusement l’administration du Président Trump vient de décider le Lunar Orbital Platform-Gateway, encore un « machin » qui ne conduit nulle part. Au lieu de tourner autour de la Terre, le LOP-G va décrire une ellipse autour du couple Terre / Lune. Les passagers seront exposés à plus de radiations et seront toujours en situation d’apesanteur. Les « expériences » qui seront menées à bord seront rigoureusement les mêmes que celles menées dans l’ISS. Mais pourquoi ne pas avoir décidé de revenir enfin se poser sur la Lune ?! Là au moins il y aurait eu autre chose à faire qu’à tourner en rond dans l’espace. Cette demi-mesure est incompréhensible et ne sera probablement pas comprise. Il n’y a rien dans ce projet pour soulever l’enthousiasme des populations. Le danger étant que les électeurs et « taxpayers » considèrent en majorité qu’il y aurait d’autres dépenses à faire et que cela affecte l’ensemble des vols habités. Nombreux sont ceux qui l’expriment déjà.

Je pensais à cette situation en écoutant les nouvelles de France en ces mois de Décembre  et Janvier et je me disais que présenter au public français un programme d’exploration de Mars par vols habités serait impensable dans cette conjoncture morose. Evidemment cela n’aurait aucun effet pour le monde puisque ce pays n’a pas les moyens de l’entreprendre. Mais qu’en serait-il aux Etats-Unis ? On peut très bien imaginer que les conditions économiques et sociales se retournent après la surchauffe économique provoquée par l’argent facile de l’administration Trump, que l’Etat fédéral soit obligé de concentrer son action sur l’allègement des problèmes sociaux qui pourraient surgir d’une récession et que par ailleurs et compte tenu de la détérioration générale, Elon Musk fasse faillite. Dans une situation comme la grande dépression des années 1930, un programme public de vols habités vers Mars serait-il audible après quelques années de boucles autour de la Lune ? J’en doute fort. Le public assimilerait ces programmes spatiaux à la dépense qu’ils auraient représentée plus qu’aux résultats peu spectaculaires qu’ils auraient rapportés. Après peu de temps, les merveilleuses machines que sont les BFR et autres SLS deviendraient obsolètes, le savoir-faire des gens qui les ont portées tomberaient dans l’oubli comme cela est arrivé pour la Saturn V et Mars redeviendrait un point dans le ciel nocturne qui n’intéresserait plus que les rêveurs comme moi !

Donc si aujourd’hui nous pouvons aller sur Mars, il faut y aller. Une fois sur place, il serait beaucoup plus difficile d’y renoncer surtout si une activité économique rentable parvient à s’avérer possible (sans couvrir évidemment au début, tous les coûts). Je souhaite à Elon Musk une excellente santé, beaucoup de succès dans ses affaires et que la prospérité économique américaine actuelle lui laisse le temps d’aller au bout de son projet !

Sinon, peut-être un jour, ce seront les Chinois mais pour eux le chemin est encore long et donc pour nous l’incertitude plus grande.

Image à la Une: Mars vue depuis l’environnement terrestre par le télescope Hubble, en 2001. Crédit NASA/SIPA.