Avec le programme Artemis, Les Américains s’apprêtent à revenir physiquement sur la Lune ! Quel en est l’intérêt ?

Dernière nouvelle (29/08/22 à 14:38): le lancement du SLS a été annulé pour aujourd’hui car les ingénieurs ne sont pas parvenus à refroidir suffisamment l’un des quatre moteurs du lanceur. Ce refroidissement est indispensable pour que les moteurs puissent supporter l’arrivée des gaz ultrafroids (hydrogène et oxygène) qu’ils utilisent. La prochaine tentative aura lieu le 3 septembre entre 20h17 et 22h17 (heure suisse).

Si tout se passe bien, la fusée géante « SLS » (« Space Launch System ») de la NASA devrait faire son premier voyage dans l’espace ce lundi 29 août*. Ce sera la première mission du programme Artemis qui comprend outre le lanceur, son second étage et sa capsule Orion, une station spatiale lunaire, le « Lunar Gateway » et un camp de base, au sol de la Lune. Pour joindre ces deux derniers en navette, un transport doit être assuré par SpaceX avec une version spécifique de son Starship.

*lancement de Cap Canaveral prévu à 14h38 (heure Suisse). Vous pourrez suivre ce lancement en regardant la chaîne YouTube de la NASA : https://www.nasa.gov/press-release/nasa-sets-launch-coverage-for-artemis-mega-moon-rocket-spacecraft

Mais ce vol, « Artemis I », n’est qu’un vol préparatoire. Il doit tester la capacité de lancement du SLS construit par « ULA » (« United Launch Alliance », groupe d’industriels américains dirigés par Boeing) et la capacité de retour sur Terre d’une distance au moins aussi éloignée que celle de la Lune, de la capsule Orion. Cette dernière n’a déjà été testée qu’une seule fois, en 2014, et dans des conditions « plus douces » puisqu’en orbite basse terrestre (deux orbites, rentrée à 8,9 km/s). La mission Artemis I doit, elle, durer 26 à 42 jours, le temps de décrire les orbites prévues et de vérifier que tout fonctionne avant le retour au sol. Le problème majeur est, au-delà du bon fonctionnement du second étage qui fait peu de doute (voir plus bas), la résistance à l’agression thermique de l’atmosphère sur Orion qui sera beaucoup plus forte qu’au retour de l’ISS. Pour mieux simuler les conséquences d’une rentrée sur Terre à une vitesse au moins aussi grande que celle d’un retour de la Lune, Orion sera envoyé sur une orbite qui l’entrainera à 450.000 km de la Terre (Lune 385.000 km). Sa vitesse au retour dans l’atmosphère terrestre sera de plus de 39.600 km/h (11 km/s) et la chaleur sur sa coque de 2.760°C. Ce n’est pas rien ! Il y aura par ailleurs trois passagers fictifs à bord, dont deux féminins, bourrés de capteurs pour enregistrer les effets des accélérations/décélérations et aussi des radiations. La très bonne idée est d’avoir pour les deux “femmes”, un mannequin portant un gilet-antiradiations et l’autre non. A noter que le gilet anti-radiations est l’Astrorad de la société israélienne Stemrad que je suis particulièrement fier d’avoir identifiée dès Novembre 2016 (voir mon article de blog).

Illustration ci-dessus: architecture de la mission Artemis I, crédit NASA.

Le premier vol avec de vrais astronautes à bord, « Artemis II », est prévu pour 2024. Ce sera un vol autour de la Lune, toujours en capsule Orion. Le « premier second pas » sur la Lune (Artemis III) est lui prévu pour 2025. En 2020, la date cible pour ce n°3 était 2024 avec un relai en orbite lunaire, le Gateway, à partir duquel une version lunaire du Starship devait descendre sur la Lune. Le dispositif, très lourd (et pas forcément nécessaire) est loin d’être prêt et l’on peut douter qu’il le soit dans les délais. Si tel était le cas, Artemis III aurait quand même lieu dans des conditions similaires à celles d’Apollo XI le 20 juillet 69, avec un module restant en orbite avec deux personnes (Orion) et un module descendant au sol avec deux autres personnes (voir l’architecture du vol dans l’illustration de titre).

Ces 3 premiers vols Artemis seront portés par un second étage provisoire ou « intérimaire » comme disent les Américains, nommé « ICPS » (« Interim Cryogenic Propulsion Stage »). Ce n’est qu’après les trois premières missions Artemis que l’on disposera d’un second étage « définitif », l’« EUS » (« Exploration Upper Stage ») également construit par ULA. L’ICPS n’est pas un « perdreau de l’année » et c’est pour cela qu’on peut être tranquille sur son fonctionnement. Il s’agit en effet de la version modifiée d’un second étage plus connu, le DCSS (Delta Cryogenic Second Stage), qui a volé 24 fois depuis 2004 sur des missions portées par le lanceur Delta IV (avec 100% de réussites).

Nous ne sommes donc pas encore au vrai « retour sur la Lune » mais au « retour vers la Lune ». Ce qui va se passer en août/septembre 2022, pendant la durée de la mission Artemis I, est néanmoins très important parce que cela signifiera que (1) les Américains concrétisent leur envie de reprise des vols habitées au-delà de « LEO », l’orbite basse terrestre (là où évolue la Station Spatiale Internationale qui vit ses dernières années), dans ce que l’on appelle « l’espace profond » ; (2) que leur lanceur « SLS » fonctionne, ce qui n’est pas toujours pas évident aujourd’hui. Je rappellerais seulement qu’ils (plus précisément l’ULA) y travaillent depuis 2005 (la première version du projet SLS s’appelait ARES), ce qui est particulièrement laborieux, et qu’il n’y a eu aucun essai en vol. Pendant le même temps SpaceX a énormément développé la technologie aéronautique notamment la récupération de ses lanceurs « Falcon » devenus de ce fait réutilisables (ce qui ne sera pas le cas du SLS) en procédant selon une méthode très différente (multiplication des essais avec la philosophie « trial and error »).

La concrétisation de l’intention n’est donc pas assurée. Mais quel en est l’intérêt ?

L’esprit de l’époque aidant, la NASA met en évidence que le « premier second pied » sera celui d’une femme et qu’elle sera noire. Si ce n’était que cela, on pourrait au choix en rire ou en pleurer. Mais comme je l’évoquais plus haut, il y a plus. Il y a la reprise du rêve américain de « frontière », d’exploration et d’aventure. Je m’en réjouis tout en craignant qu’encore une fois la Lune ne face écran à Mars. Je m’explique :

D’abord il s’agit de faire mieux que les ronds dans l’eau qu’étaient les allers-retours « vers » et « de » l’ISS.  Dès le début les investissements dans cet ISS ont paru surdimensionnés par rapport aux bénéfices scientifiques qu’on pouvait en tirer. Il y a des années qu’on cherche presque désespérément à occuper les astronautes à des expériences intelligentes à bord de ce « machin » qui à l’origine avait surtout un sens politique : la coopération avec les Russes (et marginalement les Européens). On finit par trouver quelques expériences utiles mais on aurait aussi bien trouvé et davantage, si on avait institué une routine de voyages sur la Lune qui, au moins, aurait permis d’en continuer l’exploration.

Avec le programme Artemis on va évidemment apprendre beaucoup plus de la Lune que ce que l’on en sait aujourd’hui. Cet astre qui a très peu changé depuis qu’il a été formé à l’aube de notre propre histoire, n’a en effet pas tout dit de l’environnement dans lequel nous sommes nés, notamment de l’arrivée de l’eau dans une région du système solaire de laquelle le jeune Soleil aurait dû en chasser (presque) toute molécule. L’eau très ancienne que l’on trouvera dans les cratères perpétuellement à l’ombre du pôle Sud de la Lune (et très difficilement accessible) nous donnera des renseignements très intéressants à ce sujet. On peut aussi apprendre des vagues destructrices d’astéroïdes qui ont à plusieurs reprises changé le cours de notre histoire et conduit jusqu’à l’homme. Les astéroïdes se fragmentent souvent avant l’impact sous l’effet des forces gravitationnelles et l’on pourrait peut-être trouver des témoins de certains qui ont été importants pour nous mais dont les traces ont été effacés sur Terre par l’érosion de l’eau ou par la tectonique des plaques. On pourra examiner avec plus d’attention qu’au cours des quelques furtives missions Apollo la face exposée à la Terre et surtout la face cachée beaucoup plus cratérisée et qui nous a servi de bouclier.

Ensuite, la Lune est notre « premier pied dehors ». Nous pourrons tester certains des équipements que nous utiliserons ensuite pour Mars, les générateurs d’énergies, les scaphandres, le recyclage de l’oxygène ou de l’eau, l’utilisation des engins de travaux publics dans un milieux de gravité réduite et où la poussière est extrêmement agressive du fait que les particules n’ont pas été agglomérées par l’eau et qu’elles n’ont pas non plus été émoussées par l’érosion. Nous pourrons aussi tester le Starship puisque c’est une version de ce merveilleux vaisseau qui sera (en principe) utilisée pour aller du Gateway à la Lune. Nous nous exercerons à le faire atterrir sur un support brut (ce ne sera pas une plate-forme toute lisse, de densité soigneusement égalisée). Nous nous entrainerons aussi à décharger des masses non négligeables depuis une hauteur de 30 mètres (hauteur du plancher bas du sas du Starship, au-dessus des moteurs et des réservoirs). Nous apprendrons encore à vivre et surtout travailler avec la lumière sans ombre du Soleil (pas d’atmosphère) et surtout malgré les radiations (pas d’atmosphère !). Nous verrons comment constituer rapidement des abris en les creusant dans le sol ou en accumulant le régolithe au-dessus de constructions imprimées en 3D ; et bien sûr comment cultiver dans des serres les produits frais indispensables à une vie saine…quoique, il sera sans doute plus facile de les apporter de la Terre puisqu’on n’y vivra que de courts séjours (30 jours maximum au début) et que la Terre sera facilement accessible.

Car la Lune n’est pas vraiment Mars. Cette dernière ne peut être rejointe depuis la Terre que tous les 26 mois (rapport changeant entre la position de ces planètes autour du Soleil) alors que l’on pourra apporter des vivres tous les mois sur la Lune et aller y chercher les malades et les blessés en cas de besoin. Sur Mars les cultures sous serre seront indispensables, une présence médicale lourde également. Sur Mars on devra vivre avec un vrai décalage temporaire avec la Terre. Sur la Lune ce décalage sera très léger et à peu près constant.

Mars présente donc des inconvénients mais aussi des avantages : jours de 24h39 contre 14 jours (la moitié de 28 !), atmosphère qui limite les impacts de micrométéorites, présence de glace d’eau relativement accessible, possibilité de produire sur place les ergols nécessaires au retour des fusées sur Terre (ce qui réduit considérablement les masses à y apporter), diversité minérale beaucoup plus grande que sur Terre puisqu’il y a eu travail de l’eau, volcanisme beaucoup plus actif et brassage des poussières sur une très longue période ce qui a diffusé la minéralisation un peu partout en surface.

La différence c’est aussi que Mars est une vraie planète, avec une histoire géologique beaucoup plus riche et qu’elle peut nous apprendre beaucoup plus sur le processus d’évolution des matières organiques vers la vie, que la Lune qui est pratiquement morte depuis toujours.

Mars est plus difficile à atteindre et plus exigeante au point de vue de la « solidité » des technologies qui devront être employées pour y vivre mais Mars est beaucoup plus intéressante. En commençant par la Lune on risque de se focaliser sur la Lune et d’y rester « collés ». C’est un peu ce qui se dessinait déjà sous la présidence de Georges W Bush, quand le programme (évidemment inachevé du fait de l’arrivée de Barrack Obama) était « The Moon and Beyond », le « beyond » voulant dire, in petto, « Mars ». Très vite, dès le début de la présidence, on ne parlait plus que de la Lune alors que Michael Griffin l’Administrateur de la NASA alors en poste avait été un des membres fondateurs de la Mars Society US. Le lobby lunaire est puissant et la routine s’installe très vite dans les grosses maisons ! Ce fut la même chose avec l’ISS qui devait être un instrument pour se préparer à vivre dans l’espace et qui devint très vite une fin en soi dont on ne savait trop que faire (combien de vidéo montrant des astronautes jouant avec des boules d’eau, ou regardant la Terre en rêvant par la coupole d’observation !). Je crains donc que le passage par la Lune maintenant programmé, occulte vite et pour longtemps l’objectif Mars, même si la suite d’Artemis, « Moon to Mars » existe déjà dans la tête des « Martiens…quoi qu’on en dise.

Illustration de titre : le SLS surmonté d’Orion de la mission Artemis I sur sa plateforme de lancement. Photo NASA

Illustration ci-dessous: architecture de la mission Artemis III (2025). Crédit NASA.

Liens :

https://actu.orange.fr/monde/a-houston-la-nasa-en-ordre-de-marche-pour-retourner-sur-la-lune-CNT000001RjJUx/photos/une-replique-de-la-capsule-orion-de-la-nasa-servant-a-l-entrainement-des-astronautes-le-3-aout-2022-au-centre-spatial-johnson-de-houston-au-texas-58a2cd488a077dda73e62ce6f8b0e493.html

https://www.ulalaunch.com/interim-cryogenic-propulsion-stage-(icps)

https://www.ulalaunch.com/

https://www.nasa.gov/sites/default/files/atoms/files/artemis_plan-20200921.pdf

https://en.wikipedia.org/wiki/Artemis_3

Pour comprendre la complexité des contraintes qui s’imposent pour la date, mois, jour et heure du lancement vers la Lune (“fenêtre de lancement”), je vous invite à regarder cette passionnante vidéo de la NASA: https://www.youtube.com/watch?v=ic8CqTDzn3A

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :

Index L’appel de Mars 22 08 17

Pour la NASA d’aujourd’hui, le succès n’est pas une option

L’approche par la NASA des vols spatiaux habités met hors de portée l’objectif de l’atterrissage sur la Lune en 2024. Son projet de Lunar Orbital Platform-Gateway est une complication plus qu’inutile, donc une erreur.

Article de Robert Zubrin, ingénieur en astronautique, président-fondateur en 1998 de la première Mars Society, aux Etats-Unis, et président de Pioneer astronautics. Il a été publié dans la National Review le 12 juin 2019. Il est ici traduit et commenté par moi-même.

L’administration Trump a proposé une nouvelle initiative audacieuse, nommée Programme Artemis, qui prévoit d’envoyer des astronautes sur la Lune en 2024 et sur Mars en 2033. Comme l’a précisé Jim Bridenstine, administrateur de la NASA, dans une présentation le 23 mai, ce programme doit comporter quelque 37 lancements d’ici 2028. Ils commenceront en octobre 2020 par le lancement inaugural du SLS (Space Launch System), le nouveau lanceur lourd de l’agence.

Malheureusement le programme tel qu’il est prévu actuellement a très peu de chances de réussir car il semble être conçu d’abord pour servir de mécanisme de distribution de fonds plutôt que pour atteindre des objectifs dans l’espace. On l’a compris très clairement lorsque Bridenstine a déclaré qu’une des conditions de base du programme serait que toutes les missions habitées utilisent le SLS et la capsule d’équipage Orion, qui n’ont encore jamais volé, plutôt que des alternatives beaucoup moins chères qui, elles, ont volé. De plus, avec ses 26 tonnes, l’Orion est si lourd que le SLS ne pourrait pas le transporter sur une orbite lunaire basse avec suffisamment d’ergols pour pouvoir revenir sur Terre. Donc, plutôt que d’utiliser le Dragon de SpaceX (qui avec ses 10 tonnes, offre cependant un espace habitable 50% plus grand que celui de la capsule utilisée par le programme Apollo pour la Lune), une capsule que le SLS ou le Falcon Heavy (déjà opérationnel et beaucoup moins cher) pourraient transporter sans problème (150 millions de dollars contre plus d’un milliard de dollars – pour le SLS – par lancement), la NASA propose de construire une nouvelle station spatiale, nommée Deep Space Gateway (ou plus récemment Lunar Orbital Platform-Gateway), en orbite haute autour de la Lune, en tant que base intermédiaire entre la Terre et la Lune pour Orion. La NASA tente de justifier la Gateway avec des platitudes telles qu’ « elle fournira un centre de commandement», «elle créera de la résilience» ou encore «elle établira une présence stratégique autour de la Lune». Mais cela n’a aucun sens ! En réalité, le fait est qu’une station spatiale en orbite lunaire est un passif et non un actif. On n’en a pas besoin pour assister les vols à destination de la Lune et on n’en a certainement pas besoin, contrairement à ce que prétend la NASA, comme base intermédiaire pour les vols à destination de Mars. Cela coûtera une fortune à construire et une fortune à entretenir et cela imposera de nombreuses contraintes négatives – allant de significatives à sévères – en termes de propulsion et de gestion du temps, à toute mission obligée de s’en servir – comme elles le seront sûrement toutes pour éviter que l’inutilité de Gateway apparaisse évidente au Public.

La NASA a eu raison de choisir le pôle sud de la Lune pour son atterrissage puisque les ressources en glace d’eau qui s’y trouvent pourraient être transformées en carburant/comburant hydrogène/oxygène. Cela pourrait permettre aux véhicules d’excursion lunaire d’explorer la Lune ou de décoller et de revenir directement en orbite terrestre, où ils pourraient être facilement ravitaillés en carburant. Cela rendrait l’ensemble du système de transport pleinement réutilisable donc beaucoup plus performant et économique. Cela libérerait également nos capacités de transport lourd de la partie la plus massive du service logistique lunaire et nous permettrait par ailleurs d’entreprendre plus rapidement des missions vers Mars. Mais placer la base en orbite lunaire plutôt qu’à la surface de la Lune rendrait ces ressources potentielles inutiles, car il faudrait plus d’ergols pour hisser la glace jusqu’à la Gateway, qu’on pourrait en produire à partir de la glace en surface. De plus, comme elle gaspille des milliards de dollars pour des motifs purement politiques, pour la construction de la Gateway et le lancement d’un vol SLS à l’automne 2020 sans aucune charge utile significative, la NASA n’a plus suffisamment d’argent pour financer le développement d’un atterrisseur lunaire – ce qui est réellement nécessaire si on souhaite atterrir sur la Lune. L’agence a donc demandé une augmentation de son financement, ce à quoi la Maison-Blanche a répondu avec un baiser de mort – c’est-à-dire une exigence selon laquelle les fonds doivent provenir d’un budget éducatif (le « Pell Grants ») dont le montant doit être alloué par le pouvoir législatif. Cela garantit le rejet du Congrès puisqu’il est sous contrôle démocrate.

Apparemment, le succès n’étant pas une option, la priorité est d’attribuer le blâme à « quelqu’un ».

L’ingénierie est l’art de rendre l’impossible possible. La bureaucratie est l’art de rendre le possible impossible. En choisissant la bureaucratie plutôt que l’ingénierie, les planificateurs de l’administration américaine ont transformé l’exploration de l’espace par l’homme, de « mission » en « vision ».

La question est fondamentalement la suivante: la NASA aura-t-elle un plan axé sur un objectif ou un plan axé sur l’intérêt de ses fournisseurs? Un plan axé sur des objectifs conduit à dépenser de l’argent pour « faire des choses ». Un plan axé sur des fournisseurs conduit à faire des choses pour dépenser de l’argent. Au cours du demi-siècle suivant la fin du programme lunaire Apollo les programmes d’exploration planétaire robotique ainsi que ceux d’astronomie spatiale de la NASA ont accompli des performances extraordinaires, car ils sont restés axés sur des objectifs. En revanche, le programme NASA de vols habités spatiaux est devenu très vite axé sur l’intérêt de ses fournisseurs et on l’a laissé dériver. Si nous laissons la NASA persister dans ce mode, nous n’atteindrons pas la Lune en 2024 ni Mars en 2033. Mais si nous insistons pour que notre programme spatial dans son ensemble vise des objectifs précis, exploitant pleinement les ressources spatiales pour réduire le nombre de lancements et la révolution spatiale des entreprises pour réduire drastiquement leurs coûts, nous pourrons non seulement atteindre ces objectifs longtemps espérés mais encore les dépasser largement pour véritablement commencer l’histoire de l’humanité en tant qu’espèce multi-planétaire.

Tel est le choix devant nous.

Robert Zubrin

Commentaire de Pierre Brisson :

Robert Zubrin veut corriger le programme d’exploration de l’espace par vols habités de la NASA et il a raison. Il est très décevant de constater que cette magnifique machine qu’est la NASA, dotée d’excellents ingénieurs, d’excellents chercheurs et de (relativement) beaucoup d’argent, persiste à ronronner prudemment en termes de vols habités.

Les raisons sont probablement en grande partie, l’institutionnalisation d’une entreprise qui était aventureuse lors de sa création et qui à force de grossir et de dépendre d’une direction très politique, est devenue une administration comme une autre, c’est-à-dire un organisme qui pense avant tout à sa survie c’est-à-dire qui est devenu « risk-adverse », ce qui est un comble pour une entreprise supposée couvrir l’entièreté du sujet de l’exploration spatiale, c’est-à-dire aussi un organisme inséré dans un tissu économique, social et politique qui la force à soutenir les entreprises locales en les faisant travailler quels que soient les besoins dictés par la finalité qui devrait éclairer la vision de ses dirigeants, l’exploration spatiale, par vols habités aussi bien que robotiques.

Heureusement l’Amérique dans son tréfonds et dans son imaginaire, reste l’Amérique, c’est-à-dire le pays de la Nouvelle Frontière, le pays de l’entreprise, le pays de la liberté et de l’audace. Pour l’exprimer, davantage que son administration qui se fossilise, il y a les entrepreneurs privés, les Elon Musk, les Jeff Bezos et autres, pour lesquels même le ciel n’est pas la limite. Ce sont eux qui en fin de compte vont tout emporter et nous conduire sur la Lune et sur Mars parce qu’ils ont la volonté de le faire et parce qu’ils en ont les moyens financiers.

image à la Une: Orion approchant le Deep Space Gateway, crédit NASA.

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur:

Index L’appel de Mars 19 06 14

Le dernier livre de Robert Zubrin, “The Case for Space, how the revolution in spaceflight opens up a future of unlimited possibilities” a été publié chez Prometheus books le 11 juin.