Après LISA-Pathfinder, LISA pourrait nous apporter une très riche moisson d’ondes gravitationnelles

L’espace-temps forme un tout solidaire ce qui implique que toute perturbation gravitationnelle s’y répercute mais son tissu est tellement stable et gigantesque que seules les plus grosses perturbations, des distorsions provenant de très grosses masses en accélération, générant de fortes ondes gravitationnelles, y peuvent être perçues, sous forme d’oscillations de très petites amplitudes. Depuis qu’on a pris conscience de la probabilité de l’existence de l’espace-temps et de ses propriétés (Albert Einstein puis Felix Pirani et Hermann Bondi), on a cherché à les vérifier en tentant d’observer ces ondes qui en sont une forme d’expression. Sur Terre on a conçu et réalisé les interféromètres LIGO* et Virgo*, dans l’espace on prépare LISA* (projet ESA avec la collaboration de la NASA) à l’horizon des années 30. Le satellite LISA-Pathfinder (ESA) en a testé des aspects essentiels en 2016 ; il est son précurseur.

*LIGO = Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory (aux Etats-Unis, deux installations, en Louisiane et dans l’Etat de Washington) ; *Virgo = un interféromètre de même type, situé en Europe, à Cascina, près de Pise ; *LISA = Laser Interferometer Space Antena. LISA est une entreprise internationale avec une contribution majeure de la France ; pour ce pays, un participant essentiel est le Laboratoire Astroparticule et Cosmologie (CNRS/Université Paris Diderot/CEA/Observatoire de Paris) avec le soutien du CNES. Il y a aussi une contribution suisse prévue, notamment via l’ETHZ, l’Université de Zurich et l’Université de Genève (voir ci-dessous).

Les avantages du milieu spatial par rapport au support planétaire sont (1) l’absence de bruits parasites provenant de ce support ; (2) les très grandes dimensions pouvant être données à la structure du détecteur, ce qui permet de réduire l’importance relative des « bruits » et d’observer des ondes de beaucoup plus grandes longueurs ; (3) une capacité de détection des origines très affinée par rapport à celle des capteurs terrestres*. LISA est donc porteur d’un grand espoir d’autant que l’expérience de LISA-Pathfinder a été très positive.

*sur Terre les ondes gravitationnelles (“OG”) détectées sont de très courte durée et il faut donc plusieurs détecteurs (2 LIGO + 1 Virgo +…) pour effectuer une triangulation permettant d’en déduire la direction d’origine. Dans l’espace, les trois bras de LISA constituent deux détecteurs de Michelson indépendants ce qui donne très vite une première estimation de la direction. Ensuite, les OG étant observées sur une longue durée (semaines, mois), la rotation de LISA autour du Soleil permet d’affiner cette triangulation.

Les ondes gravitationnelles ne sont pas des ondes électromagnétiques mais elles sont suscitées par des événements qui peuvent générer également de telles ondes. Leur spectre couvre une très large étendue de longueurs d’ondes. LISA opérera entre 0,1 millihertz (mHz) et 0,1 Hz, donc sur des longueurs beaucoup plus grandes (et des fréquences beaucoup plus basses) que LIGO ou Virgo (10 Hz à 1kHz) ; c’est la bande de fréquences qui semble la plus riche en ondes gravitationnelles.

Le « détecteur » (difficile de parler d’un télescope pour un instrument ne recueillant pas de signaux sur un miroir) sera constitué de trois « bras » de laser à partir de trois jeux de deux masses inertielles enfermées dans des satellites situés à égale distance, au sommet de chaque angle d’un triangle à peu près équilatéral (il évoluera régulièrement dans le temps, sur une période de 12 mois, à cause de la trajectoire des satellites). Ces bras qui auront pour objet de mesurer les variations de distance entre les masses-témoins en chute libre et suivant une trajectoire purement gravitationnelle à l’intérieur des satellites, seront extrêmement longs, 1,5 million de km, ce qui permettra une sensibilité beaucoup plus forte aux ondes gravitationnelles que les interféromètres terrestres. Cela est nécessaire car les signaux attendus sont extrêmement petits (la taille d’un noyau d’hélium au bout de la longueur d’un des bras de l’instrument). A noter que, puisque les variations de distances dues aux ondes gravitationnelles sont de l’ordre de quelques dizaines à quelques milliers de secondes, l’évolution périodique de la longueur des bras de laser mentionnée plus haut, ne présentera pas une difficulté insurmontable. Le triangle de LISA suivra la Terre sur son orbite à une distance de 50 millions de km, et fera un tour complet autour de son propre centre pendant cette année. Il sera incliné sur l’écliptique selon un angle constant de 60°, déterminant ainsi un cône tronqué autour du Soleil. Les trois satellites seront « liés » entre eux par six rayons laser (deux à partir de chacun des satellites vers chacun des deux autres). Le système LISA est donc très voisin de celui des interféromètres terrestres, il est simplement beaucoup plus étendu. Tout passage d’une onde gravitationnelle suffisamment puissante pour passer au-dessus du seuil de bruit, allongera ou rétrécira la distance entre les satellites. Le « temps de vol » des photons des lasers y est sensible. On aura donc une mesure de la dilatation/contraction de l’espace-temps. Cela est possible car la vitesse de la lumière est constante. Selon l’importance et le lieu de la déformation on aura en plus, la force du signal et la direction de sa provenance ; selon la durée de sa répétition et sa forme, on pourra savoir si la source est un événement unique ou un phénomène continu.

LISA-Pathfinder a été un test de la faisabilité de LISA. Une sorte de modèle réduit avec des performances attendues moindres mais significatives (un ordre de grandeur en performance et trente en fréquences). Il a été lancé en 2015, positionné au point de Lagrange L1 en janvier 2016 et a terminé sa mission en juillet 2017. A son bord, le LTP (Lisa Technology Package) a testé avec satisfaction que les caractéristiques de bruits d’origines non gravitationnelles (vent solaire, pression de radiations) affectant deux cubes en or et platine de 1,96 kg et 46 mm de côté (métaux choisis pour leur susceptibilité magnétique très réduite) en chute libre à l’intérieur du satellite, étaient largement compatibles (suffisamment faibles) avec la possibilité de détecter des ondes gravitationnelles. Le DRS (Disturbance Reduction System) a vérifié l’adéquation des micropropulseurs* devant compenser l’ensemble des forces non gravitationnelle s’exerçant sur le satellite.

*deux systèmes ont été utilisés alternativement, l’un fourni par l’ESA, fonctionnant avec des gaz froids (comme pour Gaia), l’autre par la NASA, fonctionnant avec des colloïdes.

L’ensemble du dispositif est parvenu à obtenir une précision dans la mesure de la distance entre les deux masses tests de 30 millionièmes de milliardièmes de mètres (30 femtomètres) et à limiter l’accélération relative des masses témoins à 2 femtomètres par seconde au carré, soit 20 fois mieux que celles attendues et en deçà de ce qui est requis pour LISA. Cela veut dire que toute onde gravitationnelle générant une accélération relative supérieure à l’amplitude de cette variation maximum, pourra être perçue. Cela souligne en même temps le caractère prodigieux des technologies utilisées pour contrôler (1) les forces externes susceptibles de modifier la trajectoire du satellite (pression de radiations) et (2) les forces internes, magnétiques et gravitationnelles c’est-à-dire celles qui résultent de l’attraction gravitationnelle du satellite lui-même (les forces de gravité que génèrent ses composants se compensent au niveau des cubes). Le passage d’une onde gravitationnelle doit allonger d’une longueur infime la distance entre les masses inertielles enfermées dans les satellites. Dans la configuration LISA il y aura une masse inertielle aux deux bouts de chaque rayon laser, dans LISA-Pathfinder, elles n’étaient séparées que de 38 cm, avec entre elles deux rayons lasers, reflétés par elles. Cela ne permettait pas la détection d’ondes gravitationnelles (distance trop petite) mais ce n’était pas l’objet à ce stade.

Après le succès de LISA-Pathfinder et surtout la première observation directe d’ondes gravitationnelles le 14 septembre 2015 par les deux capteurs de LIGO (fusion de deux trous noirs à plus d’un milliard d’années-lumière de la Terre), la NASA qui avait quitté le projet en 2011 (début administration Obama) l’a rejoint à nouveau en 2016. L’ESA a sélectionné LISA en juin 2017 comme mission lourde (« L3 ») du programme Cosmic Vision, avec un lancement prévu en 2034. La mission qui doit durer 4 ans, est estimée à un milliard d’euros d’aujourd’hui pour l’ESA (et sans doute autant pour les contributions nationales).

Les ondes gravitationnelles sont extrêmement peu perturbées par la matière. Elles « passent partout », si l’on peut dire, et elles peuvent donc nous donner des informations non déformées sur les événements les plus lointains et les plus puissants. LISA le fera dans une partie du spectre différente de celle couverte par les interféromètres LIGO et Virgo au sol. Les sources privilégiées seront les fusions de trous-noirs supermassifs mais aussi les systèmes d’étoiles binaires ultra-compactes (à neutrons), les « EMRI » (systèmes de trous noirs).

On avance ainsi petit à petit dans un nouveau domaine, on pourrait dire une nouvelle dimension de l’exploration spatiale. Plus tard on continuera en utilisant les longueurs d’ondes encore inaccessibles (Pulsar Timing Arrays) pour rejoindre, tout au bout du spectre, l’observation de l’univers primordial effectuée aujourd’hui dans le domaine électromagnétique par le télescope Planck et au-delà même de ce que Planck peut voir, au-delà de la « surface de la dernière diffusion », avant le « temps de la recombinaison », lorsque les ondes électromagnétiques n’étaient pas encore libérées de la matière et que l’univers avait juste 380.000 ans d’existence.

Ces ondes gravitationnelles nous apporteront donc un complément d’informations extraordinaire en permettant de « voir » encore plus loin que (ou avant) les rayons électromagnétiques et aussi « voir » les phénomènes surpuissants de l’Univers sous un autre aspect que celui transmis par les ondes électromagnétiques. On parle d’« astronomie-multi-messager » et cette astronomie a de beaux jours devant elle. Maintenant, il faut construire LISA.

NB : ce texte a été revu (et quelque peu corrigé !) par (1) Eric Plagnol, physicien, chercheur émérite au CNRS, membre de l’équipe LISA/LISA Pathfinder au laboratoire Astroparticule et cosmologie (« APC »), responsable de la mission LISA Pathfinder pour la France jusqu’en 2015; par (2) Isabelle Petitbon, responsable programme Physique fondamentale au CNES.

Image à la Une: Vue d’artiste d’un des trois satellites composant LISA. On voit partir de ce satellite les deux rayons laser qui le relient aux deux autres. Les rayons partent de deux masses en chute libre à l’intérieur du satellite. Crédit AET/Mild Marketing/Exozet.

Image ci-dessous (1): parcours de LISA autour du Soleil, crédit ESA:

Image ci-dessous (2): Vue d’artiste de l’intérieur de LISA-Pathfinder (crédit ESA/ATG medialab) ou plus précisément, du LTP (voir ci-dessus). Vous remarquerez les deux rayons laser de l’interféromètre, chacun se reflétant sur l’une des deux masses (cubes) en chute libre. Ils relient l’une à l’autre par un jeu de 22 miroirs. Ces lasers avaient pour objet de mesurer très précisément les mouvements, la position et l’orientation des masses sans les toucher. De l’extérieur, LISA-Pathfinder ressemble beaucoup à l’un des satellites de LISA tel que représenté dans l’« illustration de titre ». Le « couvercle » des deux est le panneau solaire nécessaire au fonctionnement du satellite.

Liens :

https://lisa.nasa.gov/

http://sci.esa.int/lisa-pathfinder/

https://www.ligo.caltech.edu/page/press-release-gw170817

http://www.virgo-gw.eu/

https://directory.eoportal.org/web/eoportal/satellite-missions/l/lisa-pathfinder

https://lisa-pathfinder.cnes.fr/

contribution suisse :

https://www.sbfi.admin.ch/dam/sbfi/fr/dokumente/factsheet_lisa_pathfinderaufdemweginsweltall.pdf.download.pdf/factsheet_lisa_pathfinderenrouteverslespace.pdf

https://www.erdw.ethz.ch/content/dam/ethz/special-interest/erdw/department/dokumente/news/2015/11/LPF_Faktenblatt_en.pdf

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