Une nouvelle Course-à-la-Lune, entre la Chine et les Etats-Unis, aura-t-elle lieu ?

La Chine révèle peu à peu ses intentions pour voyager dans l’espace profond et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elles sont ambitieuses. La question est de savoir si le pays en a les moyens. De cela dépend la question suivante : Cette ambition pourra-t-elle relancer la très fructueuse émulation qui a existé entre les Etats-Unis et l’URSS et qui a permis les missions habitées lunaires ?

En Mars, le président, puis en mai le « chief designer » de la China Academy of Launch Vehicle (« CALT ») qui est la société publique chinoise de construction des lanceurs, ont donné des détails sur leur plus grosse fusée, la « Long-March* 9 », un lanceur « super-lourd » qui n’en est pour le moment qu’aux balbutiements de sa réalisation mais que les autorités chinoises voudraient faire voler dans les années 2030. Cette fusée serait un monstre de 100 mètres de haut, 9 ou 10 mètres de diamètre, qui aurait une masse au départ de la Terre de 4000 tonnes et qui pourrait bénéficier d’une poussée de 6000 tonnes (moteurs kérosène / oxygène liquide). Elle pourrait placer 140 tonnes en orbite basse terrestre (LEO), comme la légendaire fusée Saturn V de la NASA qui a permis la réalisation du programme lunaire Apollo, 50 tonnes sur orbite de transfert pour la Lune et 44 tonnes sur orbite de transfert pour Mars, donc déposer une vingtaine de tonnes en surface de Mars (en partant évidemment à la bonne date de la Terre). Cette fusée est donc non seulement de la classe des Saturn V, mais aussi de celle des lanceurs que les Américains s’efforcent de mettre aujourd’hui au point pour pouvoir retrouver / récupérer les performances de la Saturn V, c’est-à-dire le SLS lourd de la NASA et, dans une certaine mesure, le BFR de la société Space-X d’Elon Musk (150 tonnes en LEO et, grâce à quatre réapprovisionnements en ergols en LEO, capable de déposer 100 tonnes sur Mars). A noter que par ailleurs la Chine veut suivre la piste de la réutilisabilité ouverte par Space-X. C’est ce qu’elle prépare avec son petit lanceur Long-March 8 (7,6 tonnes en LEO), qui devrait voler vers 2021.

*en Chinois mandarin “Chang Zheng”. “Longue-marche” fait référence à la retraite militaire stratégique des Communistes en 1935, pendant leur guerre civile contre les Nationalistes.

Parler de Long-March 9 c’est évidemment quelque peu anticiper car la Chine en est actuellement seulement à son lanceur Long March 5 (un vol réussi en Novembre 2016 mais encore en phase d’essais en raison d’un second vol raté en juillet 2017) qui devrait pouvoir placer 25 tonnes en LEO. Mais ce tonnage n’est pas ridicule car la fusée américaine la plus puissante aujourd’hui, la « Delta IV Heavy » (de l’United Launch Alliance, « ULA », une JV Lockheed Martin et Boeing) ne peut placer que 28,8 tonnes en LEO (Falcon 9 de Space-X peut placer 22,8 tonnes) et c’est plus que le « gros » lanceur européen, Ariane V, qui elle, ne peut placer que 20 tonnes (mais il est vrai que l’ESA « avance en reculant » dans le domaine de l’exploration de l’espace profond par vols habités). Elon Musk a un peu d’avance car son Falcon Heavy (un lancement réussi, spectaculairement) devrait pouvoir placer 64 tonnes en LEO.

On est donc bel et bien dans une course et dans cette course, quelles sont les avantages des uns et des autres ?

Les Etats-Unis, secteur public (la NASA), ont l’expérience mais aussi subissent la lourdeur des entreprises « établies » (régulations lourdes, procédures de toutes sortes, personnel nombreux, structure complexe, ingérences politiques). Leur SLS n’avance pas (même au niveau « heavy » de 70 tonnes, le « Super-Heavy » de 140 tonnes n’étant, de ce fait, qu’un rêve). Par ailleurs l’expérience a montré que l’engagement politique ne pouvait durer qu’une seule présidence de deux termes (pour ne parler que de l’époque la plus récente, abandon du projet Constellation par le Président Obama, retour à une politique pro-Lune avec le président Trump).

Space-X bénéficie de l’enthousiasme, communicatif, de son patron, Elon Musk, de la créativité du secteur privé (en concurrence et forcé de ce fait d’être « meilleur que les autres ») et d’une excellente organisation (principe de modularité par utilisation répétitive d’éléments standardisés, de concentration verticale et géographique de la recherche, de la production et du montage). Sa faiblesse ressort de ses moyens de financement qui reposent largement (mais heureusement pas seulement) sur ses contrats avec la NASA et avec plus de fragilité (et indirectement via Elon Musk) sur le succès incertain des ventes des voitures Tesla.

Les Chinois ont pour eux la détermination et la continuité politique (ce que n’ont pas les Américains). Ils ont aussi moins de scrupules vis-à-vis des « droits humains » (j’imagine que beaucoup de taïkonautes se sacrifieraient volontiers, spontanément ou sur ordre, en acceptant des conditions de sécurité moindres qu’aux Etats-Unis) ou de la « protection planétaire ». Cependant, ils manquent totalement d’expérience dans les sciences de support vie. Ils doivent en avoir conscience car leur objectif avec Long-March 9 est soit une exploration habitée de notre banlieue (la Lune), soit un retour d’échantillons de Mars. A noter de plus qu’ils n’envisagent même pas de production d’ergols in situ sur Mars (ce qui justifie les moteurs fonctionnant au méthane des américains) et donc que les possibilités de « rapatrier » des charges utiles (payload) significatives (comme celle d’un équipage) sont nulles puisqu’il faudrait pour cela emporter à l’aller les ergols nécessaires au retour.

Alors que peut-il se passer ?

Si Long-March 5 passe ses tests avec succès, la Chine entrera véritablement dans la compétition et une certaine pression sera mise sur les Etats-Unis, secteur public. A ce moment-là deux politiques seraient possibles pour ces derniers: soutenir l’entreprise privée Space-X puisque c’est la formule « qui marche », ou mettre davantage de pression sur ULA pour que la JV termine le SLS (quitte à modifier drastiquement l’architecture du projet en s’inspirant de Space-X). La première solution n’est malheureusement pas la plus certaine car ni Boeing ni Lockheed Martin ne sont des « petits joueurs ». Cependant si le danger chinois se précise, les Américains ont suffisamment de fierté nationale et de capacité technologique pour réagir…et ceci serait pour le plus grand plaisir de ceux qui comme moi se désespèrent de voir l’exploration spatiale par vols habités ronronner dans des préparatifs interminables au niveau de l’orbite basse terrestre.

Image à la Une: Long March 9 en vol, vue d’artiste, crédit CALT.

Image ci-dessous (crédit CALT): Long-March 9 (“Cz-9”) comparée à Long-March 5 (“Cz-5) et aux SLS version lourde (70 tonnes en LEO, à gauche) et super-lourde (130 tonnes en LEO, à droite):

Liens :

https://www.youtube.com/watch?v=Uf3v19A7Htw&feature=push-fr&attr_tag=P5XAWRRK8Rfik-1x-6

https://spacenews.com/china-reveals-details-for-super-heavy-lift-long-march-9-and-reusable-long-march-8-rockets/