Noël et notre place dans le Cosmos

Aujourd’hui, notre pâle-petit-point-bleu passe le solstice d’hiver dans sa course autour de son étoile et les hommes se préparent à fêter Noël, la naissance, comme ils le font depuis 2000 ans au cœur de l’hiver de l’hémisphère Nord de cette petite planète apparemment comme les autres. C’est le moment, comme les étoiles nous y invitent avec plus d’insistance que le reste de l’année par leur longue présence, de penser à l’infini, à la place dans l’Univers que nous-mêmes, êtres vivants fragiles et fugaces mais conscients, occupons, aux interactions de la science avec nos interrogations et aux réponses plus ou moins fondées, physiques ou métaphysiques, que certains proposent et d’autres affirment.

Tout d’abord constatons la parfaite adaptation ou conformité du cycle du christianisme à ce cycle cosmique qui nous domine. Dans ces nuits les plus longues et les plus froides de l’année nous sommes réchauffés et réconfortés par l’intimité du foyer et la vie qui symboliquement y commence ou qui plutôt y recommence, puisque c’est le cas tous les ans, porteuse de l’espérance qui elle-même nous fait vivre et entreprendre. La suite du cycle sera rythmée par Pâques à l’équinoxe de Printemps, le triomphe de la vie sur la mort ; la gloire et l’épanouissement de la Saint-Jean au solstice d’été ; la douce amertume du souvenir de la Toussaint à l’équinoxe d’Automne ; les quatre étapes, espacées d’un quart d’année les unes des autres, étant en parfaite harmonie avec l’évolution de la Nature. Le Christianisme est ainsi l’héritier de toute une chaîne de religions, explications métaphysiques qui ont marqué notre histoire depuis que nous avons compris la grandeur de ces passages, puisque totalement hors de nôtre contrôle, comme en témoignent les monuments les plus anciens comme Stonehenge en Grande Bretagne qui permettaient de célébrer l’un ou plusieurs de ces moments particuliers de communication unilatérale avec le Cosmos.

Aujourd’hui avec les connaissances que nous avons acquises, aussi bien sur l’évolution conduisant de la matière à la vie, que des forces agissant dans l’Univers, on peut se poser la question des « autres », qui comme nous pourraient fêter leur Noël, sur une autre Terre sous d’autres cieux. Cela fait maintenant des dizaines d’années que l’on scrute le ciel, avec beaucoup d’attention et de passion, à la recherche d’un message. Le programme SETI remonte à 1960 avec l’astronome Frank Drake de l’Université Cornell qui chercha à capter des émissions provenant de Tau Ceti ou d’Epsilon Eridani dans les longueurs d’onde du spectre électromagnétique proches du « trou de l’hydrogène ». Comme vous le savez sans doute on n’a toujours rien trouvé, malgré les progrès considérables des moyens d’observation et l’affinement des méthodes de recherche. Ce n’est pas très encourageant mais l’enjeu est tel que les gens qui se sont investis dans cette recherche ne se découragent pas et qu’ils trouvent toujours des supports, y compris bien sûr financiers, pour continuer.

Ce silence veut quand même dire certaines choses et pour le moins que les civilisations extra-terrestres ne sont pas fréquentes. On peut imaginer de nombreuses raisons pour l’expliquer. Premièrement la vie si elle a surgi quelque part ailleurs, n’a pu commencer que relativement récemment, il y a quelques cinq milliards d’années. En effet au début de l’Univers et peut-être jusqu’à la naissance du Soleil, sa métallicité, c’est-à-dire sa richesse en éléments chimiques différents, était peut-être trop faible, les étoiles n’ayant pas eu suffisamment de temps pour les produire par nucléosynthèse à partir de l’hydrogène et de l’hélium primordiaux. Deuxièmement, si les étoiles sont innombrables, elles ne sont pas toutes propices à un développement comparable à ce qui s’est passé sur Terre. Elles peuvent être situées en dehors de la zone habitable galactique, c’est-à-dire trop près du trou-noir central, là où la proximité des autres étoiles les exposent à des phénomènes violents trop fréquents, ou trop loin, à la périphérie de la galaxie, là où « rien ne se passe », où les échanges de matière et de gaz sont trop peu nombreux et où la fréquence des supernovæ est insuffisante pour fournir les éléments nécessaires à la vie. Troisièmement, seules les étoiles de type solaire, diffusant une énergie régulière sur une longue période, pourraient permettre la lente éclosion du phénomène (songeons que nous sommes apparus sur Terre il n’y a qu’une seule seconde par rapport à une journée de 24h00 dans laquelle se serait déroulée toute l’évolution depuis la naissance du Soleil). Dans cette hypothèse, les géantes jaunes aussi bien que les naines rouges ne seraient pas qualifiées, les premières ayant une vie trop courte, les secondes limitant leur zone habitable à une proximité trop grande et donc trop dangereuse et instable. Quatrièmement, les planètes rocheuses sont relativement peu fréquentes dans la zone habitable d’étoiles de type solaire, la tendance étant plus généralement à la formation de Jupiter chauds ayant absorbé toute matière jusqu’à proximité de leur étoile. Cinquièmement, les étoiles simples sont relativement rares et les étoiles doubles gênent la formation de systèmes comprenant toute une gamme de planètes, les plus grosses, gazeuses offrant une protection aux planètes rocheuses plus proches et les nuages d’astéroïdes lointains pouvant être perturbés par la proximité des étoiles sœurs. Sixièmement, les planètes rocheuses disposant de suffisamment d’eau liquide, un peu mais pas trop, sont, elles aussi, probablement rares, la juste quantité d’eau dont bénéficie la Terre étant largement due au « Grand-tack » de Jupiter c’est-à-dire à sa descente vers le Soleil puis à son retour vers l’espace profond, plus loin que son point d’origine, sous l’influence de Saturne, au début de la formation du système solaire. Septièmement, la présence d’un astre compagnon aussi gros, relativement, que la Lune, est exceptionnel. C’est lui qui exerce une force de marée importante sur l’océan, générant une alternance d’humidification puis d’assèchement dans de larges zones de balancement des marées, et maintenant active une puissante tectonique des plaques qui renouvelle les roches et l’atmosphère et probablement notre magnétosphère. Huitièmement, il est toujours impossible de prouver qu’il y a automatisme conduisant la matière organique inerte aux formes les plus primitives de vie comme nos bactéries et nos archées. Neuvièmement, il est toujours impossible de prouver qu’il y a automatisme conduisant des formes les plus primitives de vie aux eucaryotes capables d’utiliser l’oxygène comme énergie, ce qui ensuite a conduit « chez nous » aux métazoaires dont nous sommes issus. Dixièmement, il n’y a aucune raison qu’une histoire biologique différente permette de dégager, grâce à quelques accidents (la fameuse météorite de Chicxulub par exemple), un créneau parmi les autres formes de vie, permettant le développement d’êtres comparables à nos mammifères. Onzièmement, le développement de formes de vie correspondant à celle de nos primates à partir des premiers mammifères n’était pas inscrite dans un quelconque livre du destin. Douzièmement, il en est de même pour l’apparition chez ces primates d’êtres comparables à l’homme. Treizièmement le développement chez cet « homme » de technologies comparables à celles que nous avons développées et qui pourraient nous permettre de communiquer avec d’éventuelles autres espèces situées ailleurs dans l’espace résulte d’un très long cheminement de recherches, d’expérimentations et de hasards. Quatorzièmement la survivance d’une population de niveau technologique élevée sur une période suffisamment longue pour entrer en contact avec d’autres est plus que problématique compte tenu des risques d’autodestruction qui croissent avec le progrès. Quinzièmement, la distance et le temps peuvent rendre impossible toute communication sauf à atteindre un niveau de développement qui pour nous relève encore de la science-fiction.

Je pourrais ajouter quelques « complications », quelques étapes, quelques points où des divergences se sont produites alors que rien ne permet de dire qu’elles étaient inévitables et que de toute façon les conséquences auraient été les mêmes si elles s’étaient produites avant ou après. Tout ceci pour dire qu’il ne peut y avoir quelque automatisme que ce soit, que nous sommes le produit d’une histoire très particulière qui ne peut sans doute pas être répétée et que nous sommes probablement uniques.

Alors Noël dans tout cela ? Si nous sommes seuls dans l’Univers, nos perspectives sont différentes que si nous sommes une espèce consciente et communicante parmi d’autres. Nous sommes des poussières infimes sur notre pâle-petit-point-bleu mais en même temps nous sommes un joyau précieux puisque unique. Cela nous donne un devoir dans le cadre de cette histoire merveilleuse qui a conduit jusqu’à nous, vis-à-vis de tout l’Univers désert et silencieux qui nous entoure et vis-à-vis de toutes les générations de vie qui nous ont précédé sur Terre. Nous devons continuer et transmettre et nous devons considérer la vie humaine pour ce qu’elle est, l’aboutissement actuel d’un phénomène évolutif extraordinaire que nous devons admirer, respecter et dont nous devons prendre soin en continuant à l’accompagner (ce qui ne veut pas dire que nous devons accepter béatement la prolifération désordonnée conduisant à l’asphyxie ; ce qui ne veut pas dire non plus que nous ne devions pas respecter notre environnement et les autres formes de vie).

Ainsi que le rapporte ses biographes, les évangélistes, l’enfant Christ a remis l’humain au centre du jeu cosmique en insistant sur la nécessité du renouveau constant pour la continuité. Lui aussi est venu dans un temps, ni trop tôt ni trop tard, où il était lui-même nécessaire et compréhensible et il me semble toujours actuel, dans une église ou en dehors de toute église. Il nous a montré le chemin pour nous encourager, nous ses frères, tout en nous laissant libres, à vivre ensemble dans la droiture et le respect des autres, dans l’amélioration constante et sans cesse renouvelée de nous-mêmes et de la société. De ce fait ce chemin est celui du progrès autant que nous pouvons le suivre et aujourd’hui, nous le découvrons maintenant du fait de nos connaissances acquises, celui des autres planètes et des étoiles qui nous appellent et auxquelles nous pouvons aujourd’hui répondre. Les rois mages suivaient une lumière qui leur indiquait la direction de la crèche où commençait la vie nouvelle. Nous restons libres de ne pas répondre à la nouvelle invitation des étoiles présentée par l’état présent de notre technologie mais ce serait plus que dommage car cela conduirait à notre dépérissement et sans nul doute à notre mort. Continuons donc, dans le souvenir, l’espérance et l’allégresse. Joyeux Noël !

Illustration de titre : comète de Halley, une des candidates pour l’étoile de l’Epiphanie. Photographie de W. Liller (1986). Crédit Nasa/W. Liller/NSSDC’s photo gallery.