NEO Surveyor, instrument essentiel pour la Protection Planétaire, cadeau de nos amis Américains

En juin 2021 la NASA a confirmé la poursuite de l’étude et de la réalisation de la mission NEO Surveyor qui doit permettre, à partir d’un télescope spatial dédié, le recensement de tous les astéroïdes de plus de 140 mètres de diamètre susceptibles d’impacter la Terre. Ce sera, avec la mission DART, l’action de protection planétaire la plus effective jamais réalisée. La fusée portant le télescope doit quitter le sol terrestre en 2026.

NB : Le nom développé de la mission est « Near-Earth-Object Surveyor space telescope » et elle est maintenant dans sa phase « design préliminaire » après avoir fait l’objet d’une « mission review ».

Le rayon de l’investigation de ces NEO est un tore de 30 millions de km de petit rayon (rayon du disque dont la rotation engendre le tore) à partir de l’orbite de la Terre autour du Soleil (déterminant le grand rayon du tore soit 1 UA ou 150 M de km). Ceci correspond bien à ce qu’on peut appeler notre environnement au sens large, puisque les planètes qui nous sont voisines sont au plus près, à 41 M de km (Vénus) et à 54,6 M de km (Mars). A noter que dans le cas où l’on s’intéresserait à une recherche similaire dans l’environnement martien, l’aphélie de l’orbite martienne atteint 1,67 UA et la limite inférieure de la Ceinture d’Astéroïdes évolue à 1,7 UA, la région centrale de la Ceinture d’Astéroïdes se situant entre 2,06 et 3,27 UA. En km, 1,7 UA-1,666 UA = 5 millions de km seulement et 2,06 UA-1,666 UA = 59 M de km. La proximité de Mars de la Ceinture d’Astéroïdes impliquerait donc une recherche de NMO (Near Mars Objects) extrêmement sérieuse dans la perspective de missions habitées.

La taille de 140 mètres a été retenue comme taille minimum des astéroïdes qu’il fallait identifier car c’est la taille minimum de ceux qui, à coup sûr, pourraient arriver jusqu’au sol terrestre en y créant un cratère. Un tel astéroïde frappe la Terre tous les 20.000 ans, en moyenne*, en libérant 300 mégatonnes d’énergie (bombe d’Hiroshima 13 kilotonnes), en moyenne. Le repère suivant, 50 mètres minimum, est celui des astéroïdes qui pénètrent dans notre atmosphère tous les 2000 ans, en moyenne, en libérant 10 mégatonnes d’énergie, en moyenne. Le repère suivant est celui des astéroïdes de 25 mètres de diamètre, du type de celui qui a explosé au-dessus de la Toungouska le 13 juin 1908 provoquant un souffle au sol balayant 2000 km2 de forêt sous-jacente, quelques morts et de nombreux blessés (dans une zone très peu peuplée). Ces derniers astéroïdes font intrusion dans notre monde tous les 200 ans, en moyenne, libérant 1 mégatonne d’énergie, toujours en moyenne. Les premiers sont à détourner à tout prix et nous avons tout intérêt à détourner les deuxièmes et même encore les troisièmes. A noter que les astéroïdes NEO d’une taille supérieure à 1 km ont tous été identifiés en 2010 (il y en a, en principe, 857).

*La précision « en moyenne », répétée, est évidemment très importante.

L’objectif, fixé par la NASA en 2005, était d’identifier, avant 2020, 90% des astéroïdes de 140 mètres et 50% de ceux de 50 mètres. Un « Science Definition Team » de la même NASA publié en 2017 et évaluant les astéroïdes de 140 mètres à quelques 25.000, estimait que cela permettrait que 99% de ces astéroïdes puissent être détectés avant impact (remarquez la prudence du « 1% », évidemment compréhensible). En 2017 on n’en avait identifié que 7.800 (aujourd’hui 10.293), avec essentiellement (mais pas uniquement, voir WISE) des télescopes au sol, et on avait réalisé alors qu’on ne parviendrait pas à atteindre l’objectif simplement avec ces mêmes installations. Il fallait réagir et la réaction est en cours.

En juin 2018 un « National Near-Earth Object Preparedness Strategy and Action Plan » fut présenté par un « Interagency working group for detecting and mitigating the impact of earth-bound Near Earth Objects » presidé par le National Science & Technology Council. En décembre de la même année, le Congrès vota un « Authorization Act » pour financer le télescope spatial dédié demandé. L’action était lancée sur le plan politique.

En décembre 2020, le projet est bien entendu repris dans le document officiel du gouvernement « The National Space Policy of the United States of America » qui résume les grands principes de la politique spatiale des Etats-Unis puis en janvier 2021, dans un « Report on Near-Earth Impact Threat Emergency Protocol ».

Je cite ces différentes étapes et documents pour montrer le long processus qui mène et qui ensuite accompagne le début d’une réalisation et pour montrer que même ce qui semble facile, logique et nécessaire est entouré d’énormément de dépenses d’énergie sur le plan politique et administratif. A noter que le projet sera réalisé sous le contrôle du PDCO (Planetary Defense Coordination Office) directement par la NASA, en-dehors des divers programmes d’exploration spatiale (il était prévu au début de la réflexion sur le sujet que ce soit un projet « Discovery », sous le nom de NEOCam). Cela a permis de le sortir de la compétition avec d’autres projets scientifiques contre lesquels il ne parvenait pas à émerger et de supprimer les contraintes, notamment de coût, auxquelles ces projets doivent se soumettre…ce qui montre bien l’urgence de la réalisation pour les autorités américaines. En fin de compte il ne devrait pas coûter plus de 600 millions de dollars ce qui est un montant raisonnable (500 millions est le seuil actuel pour les missions de type Discovery, qui sont de « petites » missions, je rappelle que le JWST a dépassé les 10 milliards).

J’en arrive presque au projet précis qui est sorti de tout cela, la mission NEO Surveyor, mais auparavant il faut préciser deux choses :

(1) L’avantage d’un télescope spatial est de poursuivre l’observation jour et nuit et aussi de n’être pas troublé par les multiples interférences résultant de l’observation du ciel à partir du sol terrestre dans le domaine infrarouge proche qui est évidemment celui retenu pour les astres froids (en complément du visuel à partir de la Terre) comme le sont les astéroïdes.

(2) Le télescope à infrarouge WISE (Wide Field Infrared Survey Explorer) devenu NEOWISE, de la NASA, avait commencé la recherche des NEO dans le cadre de son projet généraliste d’utilisation de l’infrarouge pour identifier les astres froids (y compris pour repérer les naines brunes ou les exoplanètes). Mais NEOWISE était et reste moins puissant que NEO Surveyor et moins bien placé dans l’espace (orbite circulaire synchrone-Soleil à 525 km autour de la Terre). Par ailleurs, sa mission en infrarouge « vrai » a été très courte (une année entre 2009 et 2010) en raison de l’épuisement rapide de ses réserves limitées de liquide réfrigérant (H2). Il continue aujourd’hui, et jusqu’en 2023, ses observations généralistes en mode dégradé, sur des longueurs d’onde à la limite du visible (3,4 à 4,6 microns).

La mission NEO Surveyor disposera d’un télescope doté d’un miroir primaire de 50 cm de diamètre qui captera les ondes infrarouges entre 4 et 10 microns (IR moyen et début de l’IR profond). Le télescope sera positionné en orbite autour du point de Lagrange Terre/Soleil « L1 » (c’est-à-dire entre la Terre et le Soleil, à 1,5 millions de km de la Terre). Compte tenu de cette position et de l’importance de voir les astéroïdes dont la trajectoire pourrait provenir de derrière le Soleil, il « regardera » autour de notre astre du jour sous la protection d’un coronographe. L’ellipse large autour du point L1 lui permettra aussi d’observer en direction opposée, au-delà de la Terre. Et bien sûr c’est toute la sphère céleste, sur tout le parcours de la Terre autour du Soleil, qui sera « passée au peigne fin » puisqu’il nous accompagnera en position identique par rapport au Soleil pendant toute cette course. D’une masse de 1,3 tonnes il pourra facilement être embarqué à bord d’un Atlas V ou d’un Falcon 9.

Aux dernières nouvelles on annonce qu’il pourra distinguer les astéroïdes d’une taille descendant à 30 mètres (la taille de l’astéroïde de la Toungouska) et qu’il devrait atteindre son objectif d’identification des astéroïdes de plus de 140 mètres à 90% dans les 10 ans. Sa mission durera 12 ans.

La mission DART est bien sûr le complément à cette mission d’identification car si on détecte un danger, il faudra bien faire « quelque chose ». Par ailleurs, pour ne pas voir tout en noir, on peut imaginer que la mission permette d’identifier (par spectrographie) quelques astéroïdes riches en minerais rares exploitables et qui seraient accessibles depuis la Terre par une expédition de minage.

On peut imaginer à partir de là qu’on fera un jour de même pour la protection de Mars, même si comme on l’a vu la semaine dernière, le besoin de précision (taille des astéroïdes) pour les hommes sur cette planète sera beaucoup plus élevé en raison de la proximité de la Ceinture d’Astéroïdes et de la ténuité de l’atmosphère. Bien entendu la recherche menée pour la protection planétaire de la Terre pourra bénéficier à celle de Mars et réciproquement car, j’insiste, ces télescopes ne se contenteront pas de repérer les astéroïdes, ils en détermineront la trajectoire (compte tenu de leur proximité, le déplacement des NEO est nettement perceptible, à partir du moment où on les a repérés bien sûr).

Illustration de titre : vue d’artiste du télescope NEO Surveyor. Credits: NASA/JPL-Caltech.

Illustration ci-dessous : trajectoire de mise en orbite pour NEO Surveyor, puis orbites successives. La Terre est le point bleu à droite, L1 est le point émeraude à gauche. Le Soleil est dans l’alignement des deux points, vers la gauche. Vous remarquerez la très belle orbite de Lissajous (trajectoire orbitale quasi-périodique que tout objet céleste parcourt sans propulsion autour d’un point de Lagrange). Rappelons quand même que L1 est un point d’équilibre instable et qu’il convient de temps en temps de procéder à une correction. Capture d’écran, crédit : Wikipedia Commons (Horizon system, JPL, NASA).

Liens:

https://www.nasa.gov/feature/nasa-approves-asteroid-hunting-space-telescope-to-continue-development

https://spacenews.com/nasa-to-develop-mission-to-search-for-near-earth-asteroids/

https://www.nasa.gov/feature/new-report-assesses-status-of-detecting-near-earth-asteroids

https://www.nasa.gov/sites/default/files/atoms/files/pdco-neoreport030825.pdf

https://www.astronomy.com/bonus/asteroidday

https://www.nasa.gov/sites/default/files/atoms/files/ostp-neo-strategy-action-plan-jun18.pdf

https://en.wikipedia.org/wiki/Wide-field_Infrared_Survey_Explorer

https://neowise.ipac.caltech.edu/

https://www.clubic.com/mag/sciences/conquete-spatiale/actualite-374812-neo-surveyor-la-nasa-accelere-son-projet-pour-surveiller-les-asteroides.html

https://cneos.jpl.nasa.gov/

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Index L’appel de Mars 22 11 03