Sur Mars, une possibilité importante de mobilité sera d’utiliser la voie des airs

Dans l’hypothèse où on utiliserait la voie aérienne pour se déplacer sur Mars, il faut toujours avoir à l’esprit que si la densité de l’atmosphère est beaucoup plus faible que sur Terre (610 pascals en moyenne), la masse moléculaire de l’air martien (CO2) est beaucoup plus élevée (44 g/mol) que celle du mélange gazeux de l’air terrestre (28,9 g/mol) et que par ailleurs les masses transportées pèseront toutes choses égales par ailleurs beaucoup moins que sur Terre (gravité 0,38g). Cela facilite un peu les choses. Les solutions sont multiples.

La première est celle du « piéton de l’espace », c’est-à-dire le « Flyboard Air » de Jacky Zapata. Ce véhicule n’est utilisable que sur de courtes distances (en 2019, lors de sa traversée de la Manche, J. Zapata a parcouru une vingtaine de km sans arrêt) car il faut embarquer ses réservoirs d’énergie (méthane / oxygène ?) avec soi. Ce flyboard ne peut donc être qu’un équipement auxiliaire mais il peut permettre d’aller se poser au sommet d’un rocher, au fond d’une crevasse, de traverser un obstacle (banc de sable ?) pour aller observer une roche intéressante au-delà ou effectuer une courte mission.

La deuxième ce sont les fusées. C’est la solution naturelle pour couvrir de longues distances. Puisqu’on disposera sur Mars des vaisseaux qui permettront de revenir sur Terre (en principe les Starships), on peut tout à fait concevoir de leur faire effectuer des vols orbitaux pour se poser de l’autre côté de Mars. Il faudrait simplement embarquer avec soi les ergols nécessaires au retour à la base (on ne les trouvera pas sur place s’il n’y a pas de réservoirs pleins à disposition sur le lieu de destination) et n’affecter à ces vols qu’une fraction des vaisseaux disponibles puisqu’il faudra toujours penser au retour sur Terre et qu’on ne peut se permettre un accident sur Mars qui les rendrait inutilisables. Dès que possible on aménagera certainement des plateformes pour se poser à des endroits stratégiques à divers endroits de la planète, avec une réserve d’équipements nécessaires pour faire le plein d’ergols, effectuer des réparations ou évoluer dans la proximité. Pour prendre un exemple aérien terrestre, on pourrait dire « hubs » et y envisager à terme l’implantation d’un petit poste habité au moins temporairement.

Une alternative ou un complément aux fusées serait d’utiliser un véhicule comme le LEM (Lunar Excursion Module) du temps des missions lunaires Apollo. Rappelez-vous ce petit « module » qui a permis aux astronautes d’atterrir puis de rejoindre leur Saturn V restée en orbite lunaire. Ce serait évidemment un mode de déplacement plus léger, moins coûteux en ergols. Les missions courtes, de contrôle ou d’observations ne nécessitant pas de déplacement d’engins lourds, pourrait se faire avec eux.

La troisième solution ce sont les avions. Ce ne serait pas impossible de les faire voler sur Mars puisqu’il y a de l’atmosphère donc une portance aérodynamique potentielle. Mais comme l’atmosphère est très ténue, cela revient (en altitude moyenne terrestre) à les faire voler à une altitude terrestre d’environ 35 km. Pour obtenir la portance suffisante, « toutes choses étant égales par ailleurs » (masse et configuration de l’avion), il faudrait que la vitesse soit 5,5 fois plus élevée que sur Terre. Comme l’écrivait mon ami Alain Souchier sur le site de l’Association Planète Mars en 2010 « Un engin hyper léger (ou plus exactement à très faible charge alaire), capable de voler sur Terre à 50 km/h, se poserait sur Mars à 275 km/h, c’est à dire à la même vitesse qu’un avion de ligne chez nous ».  Comme il n’y a pas sur Mars de piste d’atterrissage et que de toute façon cette grande vitesse serait très dangereuse pour un avion de faible masse au sol (déstabilisation facile), il est exclu de faire décoller ou atterrir des avions « classiques » sur Mars. Par contre on peut imaginer un décollage et un atterrissage vertical, certes au prix d’un contrôle délicat de l’angle d’incidence des ailes. On aurait aussi intérêt à changer le « toutes choses égales par ailleurs » mentionné ci-dessus pour améliorer les performances. Ainsi il faudrait utiliser des ailes plus grandes (sans augmenter trop la masse !) et profilées en fonction d’une circulation d’air différente de celle existant à basse altitude terrestre (nombre de Reynolds très faible).

La NASA avait fait une étude très poussée sur le sujet dans les années 2000 qui avait donné lieu à des tests en haute atmosphère terrestre, d’un avion martien « ARES ». Le projet a été abandonné malgré des résultats satisfaisants (voir l’étude ci-dessous). Mais le sujet continue à être travaillé par la NASA comme le montre le concept présenté par le Langley Research Center en 2017 (voir lien vidéo ci-dessous). De tels projets pourraient être poursuivis en raison du succès de l’hélicoptère Ingenuity. Comme vous le verrez dans la vidéo le drone combine décollage et atterrissage vertical avec propulsion aérodynamique. Pour le moment il n’est bien sûr question que de drones mais on pourrait envisager des versions « habitées » par une ou deux personnes, avec plusieurs hélices et d’autres aménagements nécessaires (compte tenu notamment de la variation du nombre de Reynolds, déjà mentionné, avec la taille de l’engin).

Il reste que le problème de l’avion « classique » (à propulsion chimique) est son autonomie limitée puisqu’il faut embarquer l’énergie nécessaire à la portance aussi bien qu’au déplacement dans l’air. On peut se tourner vers d’autres solutions.

Un avion solaire ne pourrait voler que le jour et peut-être pas en hiver en raison de la faible irradiance mais il pourrait quand même être utilisé le jour dans de bonnes conditions (altitude, temps clair et période de l’année adéquate). Le projet SolarStratos actuellement développé en Suisse, à Payerne, pour monter jusque dans la stratosphère (mon ami Roland Loos, diplômé de l’EPFL et membre de la Mars Society Suisse en est le CEO, Rafaël Domjan le pilote) nous prépare à cette possibilité. Une différence importante est que l’avion martien devrait être adapté au décollage vertical (Roland Loos a fait une présentation sur le sujet lors de la Convention des Mars Society européennes que j’avais organisé en 2018 à La Chaux-de-Fonds).

Une alternative à l’énergie solaire (autre utilisation d’énergie disponible in situ) serait l’avion « gashopper ». Il s’agit d’un concept présenté par Robert Zubrin à la NASA en 2005. Je vais développer son principe car je crains qu’aucun de mes lecteurs ne le connaisse. Il repose sur la propulsion de CO2. En premier lieu le gashopper absorberait avec une pompe du gaz carbonique de l’atmosphère martienne pour le stocker sous forme liquide à une pression d’environ 10 bars. Lorsque suffisamment de CO2 serait stocké pour effectuer un vol, on chaufferait un lit de granulés (pellets) à ~ 1000 K (720°C). En même temps le CO2 accumulé serait réchauffé à ~ 300 K (27°C) jusqu’à obtenir une pression interne au réservoir de ~ 65 bars. Une vanne serait alors ouverte, permettant au CO2, encore liquide, de traverser le lit de granulés chauds. Le CO2 se gazéifierait. Il serait acheminé vers un ensemble de propulseurs sous l’avion, permettant un décollage vertical. Après avoir atteint l’altitude désirée, le gaz serait dirigé vers un propulseur principal orienté vers l’arrière pour générer une vitesse de vol vers l’avant. Le même système serait également utilisé pour le contrôle d’attitude et la propulsion principale lors de l’atterrissage (vertical). L’avantage du gashopper serait de pouvoir être autonome en surface puisqu’il y a du CO2 partout sur Mars. Le stockage du gaz, sa compression et le chauffage du lit de granulés serait effectués avec l’énergie électrique obtenue par des panneaux solaires qui recouvriraient les ailes et le dessus du fuselage de l’avion. Cette énergie serait stockée dans des batteries embarquées.

Apparenté à l’avion (par ses hélices), il y aurait peut-être possibilité d’un hélicoptère puisque la NASA avec Ingenuity a démontré l’application du principe. Compte tenu de la masse minimum a transporter (deux personnes avec leur équipement de support vie), il faudrait concevoir un volocopter (comme le Volocity conçu par une start-up allemande) c’est à dire un hélicoptère disposant d’une couronne d’hélices de petites tailles. Le Volocity en a 18 et il en faudrait certainement plus! Ceci n’est qu’une idée, aucune étude n’ayant, à ma connaissance, été faite sur le sujet. En allant plus loin, pourrait-on envisager un allégement même minime de la masse du volocopter par un ballon d’hydrogène de taille “raisonnable” au dessus de la couronne d’hélices? On resterait dans la catégorie des plus lourds que l’air mais on aurait besoin d’un peu moins d’énergie pour générer une portance. Par ailleurs, l’hydrogène donnerait aux passagers une certaine protection contre les radiations solaires. Je ne fais que poser la question pour ceux qui voudraient y réfléchir…et faire les calculs de faisabilité. On touche avec cet “engin” à la dernière solution, que je présente ci-dessous.

La quatrième solution serait celle des plus légers que l’air, ballon et surtout dirigeable qui, à la différence de l’avion, n’aurait besoin d’énergie que pour son déplacement à l’horizontale. Comme le sujet est actuellement à l’étude chez l’EPFL par des étudiants de Master (j’y participe), je ne m’y étendrai pas à ce stade. Disons seulement que le problème fondamental est que la faible différence entre la densité du gaz intérieur au volume portant (hydrogène) et celle de l’atmosphère extérieure (gaz carbonique) oblige à utiliser des volumes portants énormes et de forme sphérique (moins de masse d’enveloppe) pour soulever des masses relativement faibles (20 mètres de rayon et une masse totale de 940 kg pour une masse utile, inclue dans ce chiffre, d’une quinzaine de kg). Il faut donc envisager cette option uniquement pour une exploration robotique (ce qui serait déjà très utile). Mais un ballon sans moteur (donc pas un « dirigeable ») qui disposerait de ce fait d’une possibilité d’emport de charge utile plus importante, pourrait emporter un ou deux hommes en altitude au-dessus de la Base, au bout d’un câble (qui constituerait un lest en se déroulant). J’imagine que dans un environnement aussi hostile que celui de Mars, on ne le laisserait pas errer au grès des vents. L’étude d’un tel ballon a été faite il y a quelques années par un groupe d’étudiants de Polytechnique Paris sous le contrôle de Richard Heidmann, fondateur de l’APM (Association Planète Mars, membre français de la famille des Mars Society).

Comme on le voit les déplacements sur Mars seront beaucoup plus difficiles que sur Terre, mais beaucoup plus faciles que n’importe où ailleurs dans le système solaire, y compris la Lune.

Illustration de titre : Un avion solaire sur Mars. Etude de la NASA de 2003 : « Overview of innovative aircraft power and propulsion systems and their application for Planetary exploration » (Antony Colozza et al, Research Gate): https://www.researchgate.net/figure/Artists-concept-of-the-proposed-Ames-MAGE-aircraft_fig5_24298994

Autres liens:

Etude ARES par Robert Braun, GeorgiaTech ;  Henry Wright NASA Langley Research Center; David Spencer, NASA JPL: https://ntrs.nasa.gov/api/citations/20080015501/downloads/20080015501.pdf

Avion GasHopper par Robert Zubrin :  https://sbir.nasa.gov/SBIR/abstracts/06/sbir/phase1/SBIR-06-1-S1.01-9456.html

Voler sur Mars, par Alain Souchier, Pst Association Planète Mars, 2010 : https://planete-mars.com/voler-sur-mars/2/

Mars Flyer Concept, NASA Langley Research Center, 2017 : https://www.youtube.com/watch?v=9xjHCHR5_50&t=273s

Designing an Airplane that can fly on Mars, SciWorthy, 04/01/2021: https://sciworthy.com/designing-an-airplane-that-can-fly-on-mars/

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Index L’appel de Mars 22 01 15