Le « Mars Habitat Challenge 2022 », un engagement pro-Mars très ambigu

Dans le cadre d’un « Mars Habitat Challenge », le Hagerbach Test Gallery, qui appartient à l’Amberg Group, doit s’appliquer, en principe, à mettre en valeur des startups capables de développer des solutions qui pourraient permettre de vivre sur Mars. Le but est aussi, de façon générale, pour la Terre comme pour Mars, de promouvoir les éléments nécessaires à un habitat autonome, sur les principes d’une économie circulaire. Les domaines concernés sont très étendus : construction d’espaces de vie, gestion de l’énergie, de l’air ou de l’eau, santé et sécurité, transport, production alimentaire ou communication. Il me semble que dans sa « saison 2022 » ce Mars-Habitat-Challenge a complètement divergé de ses objectifs « martiens » d’origine.

L’Amberg group, entité suisse (Zurich), est, selon ses propres termes : « fournisseur de connaissances, d’ingénierie et de technologie de logistique et d’infrastructures, pour les villes-intelligentes (« smart cities »), les hubs et les réseaux physiques, grâce à des combinaisons innovantes d’utilisation de l’espace aérien et souterrain » (Le fondateur, en 1970, Rudolph Amberg, aujourd’hui 96 ans, est ingénieur des mines).

Le Hagerbach Test Gallery est membre de l’ITA (International Tunneling and Underground Space Association), et en particulier d’ITA-CUS qui est son « Committee for Underground Space ». Il est partenaire de « Mission-Earth-First » dont le président Han Admiraal était présent. Ce dernier est le dirigeant de Enprodes, société de consultants spécialisée dans l’aménagement du sous-sol. Ce groupe et ses partenaires ont donc un biais tout à fait clair sur l’utilisation du sous-sol, sur Terre et éventuellement dans l’espace (les lunes ou planètes sur lesquelles on pourra aller).

L’Amberg Group s’est associé à Venturelab et ce dernier, à l’ESA-BIC (pour « Business Innovation Center »), Suisse, donc à l’ETHZ qui le représente, pour mener à bien ce « Challenge » martien.

Venturelab a été lancée en 2004 en tant qu’initiative nationale suisse de formation entrepreneuriale, par l’Agence suisse pour l’innovation, Innosuisse, pour prolonger l’IFJ, l’Institut pour jeunes entrepreneurs, basé à Saint-Gall, dont elle est un spin-off. Au cours des 17 dernières années, elle a accompagné plus de 1000 startups dans leur croissance mondiale. Ses équipes gèrent une gamme complète de programmes de soutien, avec des organisations de premier plan comme partenaires.

L’ESA-Business Innovation Center (« BIC »), Suisse, est en quelques sortes un spin-off du premier ESA-BIC né au Pays-Bas à partir de l’ESTEC.

Je donne tous ces détails pour montrer « qui s’intéresse à quoi » et aussi la complexité de l’organisation des mastodontes dont seules quelques extrémités sont concernées par l’activité qui ici m’intéresse.

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Dans un premier « round » du Mars Habitat Challenge 2022 (il y en a eu un autre Challenge en 2021), dix startups sélectionnées ont présenté leur projet devant un jury d’experts de l’industrie (AMBERG, IMPLENIA, SIKA, ACO, ELKUCH, ROWA, Mission Earth First). Le second round du challenge 2022, qui s’est déroulé le 5 juillet dans la Hagerbach Test Gallery, a permis de départager par vote public les cinq premiers compétiteurs : SoHHytec, Mixteresting, LYS Technologies, Open ATS, Swoxid. La réunion était tenue avec la caution scientifique de Nanja Strecker, « keynote- speaker » et Managing Director de ESA-BIC Suisse (en fait ETHZ). J’y ai assisté « à distance » et participé au vote. Je vous présente brièvement les cinq sélectionnés :

SoHHytec.

La start-up est un spinoff de l’EPFL (Laboratory for Renewable Energy Science and Engineering). Son équation est soleil+eau = hydrogène + électricité et chaleur. Il s’agit de concentrer l’irradiance solaire pour craquer la molécule d’eau et produire de l’hydrogène, de l’oxygène, de l’électricité et de la chaleur, le tout au même endroit avec le même appareil. La collecte de l’énergie solaire se fait par un miroir parabolique (nommé « Arb » parce qu’il ressemble à un…arbre) dont le foyer concentre « mille fois » l’énergie reçue. L’efficience du système atteint 70%. L’équipement peut fonctionner 20 ans sans intervention majeure. Après l’hydrogène, la startup envisage de craquer également la molécule de CO2, avec le même équipement, introduisant ainsi la possibilité de produire des hydrocarbones (il faut utiliser les bons catalyseurs), de la photosynthèse artificielle en quelque sorte.

Mixteresting

La startup est autrichienne (siège à Leondig près de Linz). Le sous-titre de son nom est « Artifical Intelligence for mixed concrete » ce qui est plus explicite. L’idée est de choisir, par simulations et calculs avec algorithmes auto-adaptables pour apprentissage machine, les meilleures proportions de minéraux en fonction de ce qui est disponible pour obtenir le meilleur ciment possible. L’intérêt est d’ouvrir la gamme de minéraux exploitables (comme par exemple utiliser le sable du désert) et de limiter les essais physiques (à 90% disent-ils) pour obtenir le produit fini.

Lys Technologies

Start-up sise à Copenhague, Lys a pris son nom du mot danois pour la lumière. Son objet est de permettre à chacun de savoir si la quantité de lumière qu’il a reçu pendant sa journée est compatible avec ses besoins physiologiques circadien (intensité, composition du rayonnement). Cela doit permettre de modifier son éclairage et d’ajuster les moments où l’on se livre à telle ou telle activité, à l’intérieur ou à l’extérieur.

La société a produit un appareil discret, de l’apparence d’un bouton, qui se clipse sur les vêtements, le plus près possible des yeux. Le bouton-capteur envoie via Bluetooth à l’application enregistrée sur le téléphone portable de l’utilisateur, les informations sur les caractéristiques de la lumière auquel il est exposé et grâce à des algorithmes, elle lui fournit, compte tenu de celle à laquelle il a déjà été soumis depuis le début de la journée, des conseils personnalisés pour atteindre son objectif en fonction de son cycle circadien propre (prenant en compte l’âge, le sexe et le chronotype).

Open ATS

La startup (Zurich) a conçu un véhicule pour transport terrestre, « Newone », contrôlable par téléphone sur internet avec un logiciel dédié. Des caméras embarquées permettent la navigation partout autour du globe. La structure est simple et forte. Elle est modulaire et une partie abimée du véhicule pourrait être aisément réimprimée et remplacée. Cette structure permet aussi de modifier facilement le véhicule pour l’adapter à des besoins spécifiques. Au-delà de la commande à distance, il est prévu une évolution vers l’automatisation.

Swoxid

Cette startup (siège à Lausanne) qui vise à purifier les eaux sales (grise ou noire), applique les principes du craquage photo-catalytique (qui datent des années 1970) au moyen de panneaux qui deviennent actifs avec la lumière du soleil. Ces panneaux sont constitués d’un aérogel en dioxyde de titane, (TiO2). Ce photocatalyseur semi-conducteur a été choisi pour (1) ses capacités à éliminer les bactéries, virus, vers, tout comme les polluants organiques persistants et bio-accumulatifs de l’eau, comme les produits pharmaceutiques, les pesticides ou les perturbateurs endocriniens ; (2) sa stabilité chimique et sa non-toxicité. L’aérogel est nanoporeux et stable également sur le plan mécanique.

Trois fonctions essentielles sont intégrées dans l’appareil : filtration mécanique, puissance d’oxydation et pasteurisation. Le dispositif a une architecture simple et robuste. Il nécessite un minimum d’entretien. La production d’eau potable, sans pathogène, est de 50 litres par m2 de panneaux et par jour.

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J’ai voté pour Swoxid car je pensais que c’était l’innovation la plus utile pour la vie sur Mars. Mon second choix aurait été SoHHytec. C’est cette dernière société qui a gagné (et qui a reçu le prix de 10.000 CHF). Le deuxième choix des participants a été Open-ATS ; Swoxid n’a recueilli que 5 voix (sur environ 300) !

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L’année dernière, Felix Amberg, président de l’Amberg Group (et fils de Rudolph), avait fait une déclaration préliminaire à peu près selon ces termes (et dont je partage tout à fait l’esprit) : « La vie sur d’autres corps célestes de notre système planétaire doit…être durable et circulaire puisque seules quelques ressources – avec un faible poids et un fonctionnement autosuffisant…peuvent y être transportées. Si l’on élabore de telles solutions, il faut d’abord les tester de manière approfondie sur Terre. Tout doit pouvoir fonctionner sans accroc une fois sur un autre corps céleste car la réparation ou l’entretien ne serait pas si simple. En même temps, les innovations peuvent et doivent être utilisées sur Terre – il n’y a aucune raison de ne pas le faire, au contraire ! Cette stratégie promeut les innovations pour résoudre nos défis sur la planète Terre qui doivent être également, pour d’autres raisons (évidemment environnementales), durables et circulaires ». NB : Il ajoutait, parce que c’est son tropisme, « et souterraines ».

J’ai trouvé qu’effectivement presque toutes les startups sélectionnées présentaient un intérêt certain, dans leur principe, pour préparer la vie de l’homme sur Mars. Disposer d’eau potable sera une nécessité, d’autant plus que l’eau (glace) n’étant pas abondante sur Mars comme l’est l’eau (liquide) sur Terre et que son extraction n’est pas chose facile, on devra la recycler au maximum. Le besoin de production d’hydrogène est une évidence pour ses propriétés chimiques à débouchés multiples. La possibilité de combiner au mieux les minéraux qui rentreront dans la fabrication du ciment est également intéressante puisqu’on devra utiliser des matériaux locaux. La quantité de lumière reçue par les êtres humains sera un vrai problème puisque l’irradiance à la distance où se trouve Mars du Soleil est environ 40% de la nôtre, sans compter que l’hiver est beaucoup plus long que sur Terre. Je suis beaucoup moins convaincu par le véhicule de transport en surface. Ce n’est pas que l’on ne doive pas utiliser l’impression 3D et la commande à distance. Mais le véhicule proposé ressemble fort, en moins bien équipé, aux rovers que l’on envoie sur Mars depuis des années. Bien sûr l’impression 3D peut être utilisée pour les produire mais cela est vrai pour tout ce dont on pourra avoir besoin sur Mars. Ce ne sera pas une technologie propre aux véhicules de surface.

En fait en écoutant ces présentations je ressentais que, dans le fond, « Mars n’y était pas ». En cherchant à encourager une innovation pour Mars qui puisse aussi servir sur Terre (Earth First !), on en était arrivé à oublier Mars (Open-ATS a obtenu la deuxième place et c’est le moins martien des projets !). Me confortant dans cette impression, j’ai remarqué que les présentateurs n’ont pas évoqué l’environnement martien dans lequel leurs technologies seraient supposées servir. D’ailleurs, il n’y avait parmi les organisateurs, aucun expert de l’environnement martien. On ne sait donc pas si l’énergie solaire disponible sur Mars serait suffisante pour activer les filtres Swoxid ou pour faire fonctionner les arbs de SoHHytec. On ne sait pas si on peut se procurer sur Mars les éléments chimiques nécessaires pour l’impression 3D d’Open-ATS. Pas la moindre allusion aux matières premières minérales de Mars qui pourraient entrer dans la composition des ciments de Mixteresting (il y en a sûrement, mais ç’aurait été intéressant d’en faire le tour et de voir leur accessibilité). En fait, dans cette session 2022 on a oublié la partie extra-terrestre du discours de 2021 de Felix Ambert et on s’est éloigné de l’esprit du Mars Habitat Challenge.

Une réflexion faite par la personne parlant pour l’ESA (en fait ETHZ), qui est supposée bien connaître les technologies, utilisées ou à l’étude, pour explorer Mars, m’a d’ailleurs fait bondir sur ma chaise. En remerciant les présentateurs, Nanja Strecker a en effet déclaré que de toute façon, avant d’envisager d’appliquer ces technologies sur Mars, il faudrait réfléchir au moyen d’en revenir, c’est-à-dire de disposer du fuel pour le faire. C’était là, selon elle, l’obstacle rédhibitoire à l’exploration de cette planète par vols habités (qu’elle ne voit au mieux arriver qu’en 2060). Donc cette femme, importante partie-prenante de ce « Challenge » se référant à Mars, n’a jamais entendu parler, en 2022, de l’ISPP (In Situ Propellant Production), préconisée par Robert Zubrin en 1995. Ce principe dont ce dernier avait brillamment démontré en 1995 la possibilité (en appliquant la réaction de Sabatier), fut repris ensuite à la NASA par son administrateur Mike Griffin en 2005. Et depuis il figure dans tous les projets américains de missions habitées sur Mars, dont bien sûr dans celle d’Elon Musk. C’est pour cela que les ingénieurs de SpaceX prévoient de bruler du méthane dans de l’oxygène, méthane que l’on obtiendra à partir du CO2 de l’atmosphère avec un petit apport d’hydrogène (on pourrait l’obtenir par la méthode SoHHyTech). Nanja Strecker a ajouté enfin (pour aggraver son cas ?) que pour le moment ce qui était sérieux, c’était les missions habitées sur la Lune.

Par ailleurs, Han Admiraal dans son intervention en tant que représentant de Earth-Mission-First à ce « Challenge », a fait référence à l’illustration de l’événement qui montrait une base martienne sous un globe en surface de la planète en lui reprochant d’être totalement irréaliste. Donc en fait, à cette réunion dédiée aux habitats martiens, personne n’y croyait.

Cette dérive (du Mars Habitat Challenge) me fait penser à celle de la NASA sous la présidence du second président Bush. L’objectif de la politique de vols habités avait été défini en 2004 comme étant « the Moon, Mars and Beyond ». Il se voulait donc progressif et « équilibré », pour ne mécontenter personne. Mais très vite on oublia le segment « Mars and Beyond » pour ne plus parler que de la Lune parce que c’était plus facile et que le lobby Lune « poussait à la roue ».

Je suis donc ressorti de cet « événement » avec des sentiments mitigés.

Illustration de titre : les Arb de SoHHytech. Le choix des auteurs de l’illustration illustre bien mon propos. L’innovation pourrait servir la production d’hydrogène sur Mars mais les paramètres environnementaux retenus sont exclusivement terrestres.

Liens :

Mars Habitat Challenge 2022 : https://amberggroup.com/news-events-1/mars-habitat-challenge-ii

ESA-BIC : www.esabic.ch

Mission Earth First: https://missionearthfirst.hagerbach.ch/mef/about-us/

Swoxid : https://swoxid.wordpress.com/technique/

Lys Technologies: https://lystechnologies.io/

Open ATS: https://www.open-ats.eu/

SoHHytec: https://www.sohhytec.com/

Mixteresting : https://mixteresting.com/

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Index L’appel de Mars 22 07 16