L’appel de Mars

Certains jouissent simplement du merveilleux globe bleu où ils vivent immergés. D’autres, au-delà du doigt regardent la Lune, éloignée mais sur laquelle on pourra bientôt retourner. Personnellement et comme je l’espère, beaucoup d’autres que moi, je me sens puissamment attiré par l’autre objet que l’on voit sur la photo, la toute petite bille ocre et terne, d’autant plus intrigante qu’elle est discrète, Mars, encore plus loin que la Lune, « beaucoup plus loin que loin » comme aurait dit Coluche.

Cette photo et le commentaire que je lui donne, expriment assez bien pour moi les différents états d’esprit qui permettent de classer nos contemporains. J’en vois trois catégories. Ceux de la première se soucient peu du monde extérieur à leur bulle, ils se cantonnent dans notre biosphère de tout temps considérée immense mais que l’on ressent de plus en plus rétrécir au fur que nous circulons et que nous communiquons mieux ; les étoiles ne sont pour eux que de belles lumières scintillant sur la voûte céleste, un décor intangible pour la poésie et pour l’amour (cette dernière appréciation étant, je le reconnais, également partagée par beaucoup d’hommes et de femmes des autres catégories). Ceux de la deuxième gardent les pieds sur Terre et veulent y rester mais ils ont conscience de l’espace environnant et ils veulent mieux le connaître pour éventuellement élargir leur domaine d’action et en tirer profit toujours sur cette même Terre. Ceux de la troisième sont prêts à vraiment partir, à larguer les amarres, ou même pour certains à rompre les ponts, par attrait de l’inconnu ou par amour de l’aventure. Quand ils voient Mars, ils s’y projettent corps et âme, pour le moment par la seule pensée mais aussi par leur réflexion et leurs calculs devenant dans certains cas leur travail. Ce ne sont pas les plus nombreux mais ce sont les plus curieux et les plus rêveurs. Ce sont aussi les plus exigeants, ceux qui ne se contentent pas de la Lune ou qui même, pour les plus extrémistes, la dédaignent, parce qu’elle est trop proche, trop petite et trop grise, mais qui comprennent que Mars puisqu’elle n’est pas aujourd’hui aussi morte et qu’« elle a de beaux restes », a pu être autrefois vivante et qu’elle pourrait peut-être le redevenir, au moins suffisamment, avec eux, pourvu qu’ils utilisent les forces technologiques nécessaires qu’eux-mêmes aujourd’hui peuvent mobiliser.

Cela ne veut pas dire qu’ils refusent de passer par la Lune pour atteindre Mars. Au contraire, la déesse Artemis avec son fin croissant de lumière en diadème dans les cheveux ou bien qu’elle brandit comme un arc lorsqu’elle chasse, est la bienvenue pour concrétiser leur projet car c’est elle qui va leur/nous ouvrir la porte, pourvu que nous ne la négligions pas et sachions la séduire en lui rendant régulièrement visite avec nos missions aujourd’hui programmées, en la suivant sur le terrain, nature-sauvage/espace-profond, où elle nous ouvre le chemin, et en lui démontrant que nous apprécions tous ses charmes. Plus qu’un autre intercesseur, il semble aujourd’hui que c’est elle qui puisse le mieux faciliter l’envoi de notre vaisseau, que l’on peut voir comme la pointe acérée d’une flèche tendue sur le fil de notre savoir par sa main délicate et puissante accompagnant et guidant la nôtre, dans le cadre étroit et précis de ce même arc lumineux par-delà lequel nous apercevons notre but, la précieuse petite bille ocre et terne.

La Lune apparaît donc de plus en plus comme la porte par laquelle nous devons passer pour pouvoir un jour aller vers et sur Mars et, si nous franchissons cette première porte, Mars sera la seconde, notre véritable introduction à l’Univers immense. Si nous franchissons cette seconde porte, nous aurons alors acquis notre vraie liberté, celle de nous mouvoir dans l’espace illimité, de choisir non seulement notre lieu de vie mais notre environnement planétaire et un jour, peut-être, l’étoile devenue notre nouveau Soleil. Une fois cette liberté acquise, nul doute que nous serons capables, comme des héros antiques, comme l’architecte Dédale et son fils Icare s’ils étaient transposés dans le temps d’aujourd’hui, de créer au-delà de simples vaisseaux, nos propres astres, les sphères ou les cylindres que Gerard O’Neill a imaginés construire à partir des matériaux de la Lune, pour voguer sur les courants ouverts par les diverses forces de gravité jouant concurremment dans cet espace illimité, en exploitant bien sûr l’énergie inépuisable du Soleil.

Ce sont toutes ces possibilités sinon ces promesses que je vois en regardant la photo de Mars apparaissant derrière la Lune que je partage avec vous aujourd’hui. C’est une image qui donne courage et espérance, un moteur en quelque sorte, aussi puissant que les moteurs tangibles du SLS ou du Starship car c’est le moteur de la Motivation, celui qui suscite et qui entraine à « faire », qui motive pour créer les vrais moteurs de métal et leurs ergols de plus en plus puissants et de moins en moins massifs et de plus en plus maniables, et qui motive aussi pour surmonter les difficultés techniques ou financières. Si de telles photos ne pouvaient avoir de tels effets, toute la population terrestre appartiendrait à la première catégorie que j’évoquais au début, celle qui se contente de vivre au sein de notre merveilleuse bulle bleue.

J’introduirais toutefois un bémol: il faut un pont entre ceux qui voient cette image dans leur tête et l’ensemble de la population qui peut faire. La petite constellation des poètes sera certes pour le monde toujours un ferment. Leur esprit est en effet le seul atelier où l’image peut naître car ils sont incontournables pour simplement envisager la création, comme Rimbaud qui voyait la mer immense dans une simple flaque après la pluie et qui partit se perdre jusqu’en Abyssinie ou comme ceux qui se voient eux-mêmes dans le paysage austère mais splendide de Mars et demain dans la lumière des étoiles simplement au travers de l’image quelconque d’une petite bille ocre et terne. Mais ce n’est pas suffisant. Ce pont indispensable que je viens d’évoquer, ce sont des êtres hybrides, des Janus bifrons, qui sont sensibles au chant des poètes et qui avec eux regardent le ciel mais qui avec leur autre face regardent en même temps la matière. Ce sont soit des artisans-scientifiques comme le génial réalisateur de la machine d’Anticythère ou des constructeurs-artistes comme les architectes qui édifièrent les cathédrales ou des entrepreneurs-inspirés comme aujourd’hui, Elon Musk et ses ingénieurs passionnés ou, pour commencer à regarder sérieusement comment franchir la Seconde Porte, Iouri Milner, le promoteur de Breakthrough Starshot et ses équipes de chercheurs non moins enthousiastes. Pour concrétiser un rêve il faut non seulement avoir la tête dans les nuages mais il faut encore avoir les pieds sur Terre et sans doute du temps et de l’argent.

Joyeux Noël à tous et soutien aux « hommes de bonne volonté » pour ramener la Paix dans la Justice sur cette Terre commune et pour le moment unique. Surtout, n’oubliez pas la petite bille ocre et terne. Contrairement à ce que beaucoup pensent et disent, c’est un vrai Nouveau-monde et un jour, nous en parcourrons les vallées desséchées avant d’y faire à nouveau couler l’eau et chanter les couleurs de la vie.

Illustration : Photo prise par la NASA le 09 décembre 2022 depuis le sol de la Terre mais qui aurait pu être prise à la même date par une des caméras embarquées sur le vaisseau Orion de la mission Artemis. Crédit/copyright Tom Glenn (https://twitter.com/thomasdglenn) et NASA (APOD). Mars se trouvait alors à 82 millions de km. Je remercie Christine Vogt pour avoir attiré mon attention sur elle.

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