Lucy in the sky with diamonds

Ce 16 Octobre 2021, à 05h34 en Floride (11h34 chez nous), la NASA vient de commencer une Odyssée de 12 ans qui permettra à l’homme d’observer pour la première fois les astéroïdes Troyens de Jupiter.

Il s’agit d’étudier des astres qui sont les témoins de notre disque protoplanétaire, très peu modifiés par l’histoire complexe de notre système solaire du fait de leur localisation privilégiée. Aller voir les Troyens c’est un peu comme aller se promener dans la Ceinture de Kuiper, au-delà de Pluton, à une quarantaine d’unités astronomiques (UA, distance Soleil Terre) ou comme remonter dans le temps à quelques 4,56 milliards d’années…mais à seulement 6,4 UA (965 millions de km).

Les points de libration d’un système planétaire, qu’on appelle aussi « points de Lagrange » du nom du scientifique français (d’origine piémontaise) Joseph-Louis Lagrange, qui en a conçu l’existence en 1772, sont les points où les influences gravitationnelles des planètes et de leur Soleil s’équilibrent (plus généralement celle de deux gros corps sur une troisième masse relativement négligeable). Il y en a cinq, dénommés L1, L2, L3, L4, L5. Seuls les points L4 et L5 sont stables (si on en est écarté, on s’en rapproche). Les autres sont instables (si on en est écarté, on s’en éloigne). L1 et L2 sont situés dans l’axe du second corps au premier (ici le Soleil), l’un avant, l’autre au-delà, de part et d’autre du second corps et beaucoup plus près de ce dernier que du premier puisque la masse du second est beaucoup plus faible. L3 est situé sur l’orbite du second corps, diamétralement opposé au Soleil (« de l’autre côté »). L4 et L5 sont situés sur l’orbite du second corps, de part et d’autre de lui (l’un en avance, l’autre en retard) au sommet d’un triangle équilatéral dont l’un des côtés est formé par l’axe du second corps au Soleil.

Les planètes ont plus ou moins de Troyen(s). Les plus grosses masses en permettent davantage, Jupiter est la plus riche (5.879 en L4 et 3.448 en L5). Neptune vient en second avec 24 en L4 et 4 en L5, La Terre, Vénus et Mars en ont aussi (un seul pour la Terre en L4, « 2010TK », 300 m de diamètre). Seule Mercure semble ne pas en avoir.  L’histoire du système solaire a été très violente et peut-être beaucoup d’astéroïdes des planètes proches du Soleil ont-ils été décrochés de leur « nid » au cours des pluies d’astéroïdes qui ont parcouru l’espace proche dans les premiers temps.

A noter en effet que ces Troyens ne sont pas forcément tous « nés » sur place. Il se peut que certains proviennent de beaucoup plus loin à l’extérieur de l’orbite où ils se trouvent aujourd’hui. Mais si c’était le cas, ils résulteraient d’un accident (une rencontre avec un objet déjà sur place) dont l’occurrence a dû être très faible puisque la gravité générée par la masse d’un astéroïde est faible. La force d’impact aurait ainsi été de toute façon relativement faible (faible accélération des masses).

A noter que, comme la Ligne de glace du système solaire se situe à l’intérieur de la Ceinture d’Astéroïdes, et que les petits corps, glacés ou non, y ont été joyeusement mélangés, on est certain que les Troyens seront plus purs, c’est-à-dire qu’ils contiennent leurs « volatiles » d’origine. Ils ont donc un intérêt différent de ceux des astéroïdes que l’on peut rencontrer dans notre environnement (les géocroiseurs) et qui sont secs (sans glace d’eau).

Le nom de Lucy, celui du squelette de cette jeune australopithèque découvert en Ethiopie en 1974 qui a été donné à la sonde, veut exprimer le fait qu’en explorant cette zone où l’on a l’espoir de trouver des fossiles de notre histoire très ancienne, on va faire en quelque sorte de la paléontologie spatiale.

Le lanceur de la mission, parti de Cap Canaveral ce matin, est une fusée Atlas V (401) de l’ULA (United Launch Alliance) comme c’est le plus souvent le cas pour les missions scientifiques américaines. Elle est évidemment gérée par la NASA.

La trajectoire est étonnante par sa complexité (voir image de titre). Après son lancement, Lucy doit effectuer deux survols rapprochés de la Terre pour l’accélérer pour qu’elle puisse rencontrer ses cibles troyennes aussi vite que possible. Dans le nuage L4, de 2027 à 2028, Lucy survolera Eurybates (3548) et son satellite Polymele (15094), Leucus (11351) et Orus (21900). Après avoir à nouveau plongé vers la Terre, Lucy passera « de l’autre côté » et visitera le nuage L5. Elle rencontrera alors, en 2033, l’astéroïde double Patroclus-Menoetius (617). Mais, cerise sur le gâteau, en 2025, pour commencer ses observations, Lucy survolera sur le chemin du L4 un petit corps de la Ceinture d’astéroïdes, 52246, que l’on a nommé Donald-Johanson, en l’honneur du découvreur du fossile Lucy. Après avoir observé Patrocle-Ménoetius, Lucy restera sur sa trajectoire et continuera à parcourir les deux nuages ​​troyens tous les six ans. La mission active aura duré douze ans (et je serai malheureusement très, très vieux !).

La sonde a été construite chez Lockheed Martin. Les instruments sont nombreux :

L’LORRI, Lucy LOng Range Reconnaissance Imager, est une camera à haute résolution

L’Ralph est composé de deux instruments, MVIC (Multispectral Visible Imaging Camera), un imageur en couleurs visibles et LEISA (Linear Etalon Imaging Spectral Array), un spectromètre infrarouge qui recherchera les composés organiques, les glaces, les minéraux hydratés; d’une manière générale il permettra de connaître la composition des astéroïdes approchés.

L’TES, Lucy Thermal Emission Spectrometer, détectera en infrarouge les émissions thermiques des surfaces.

Lucy est équipée d’une antenne à grand gain de deux mètres de diamètre. L’antenne servira évidemment d’outil de communication avec la Terre mais aussi à mesurer l’effet Doppler généré par le déplacement des astéroïdes et en déduire leur masse.

Enfin, avec T2CAM, sa « terminal tracking camera » Lucy, pourra repérer les astéroïdes et, dans une certaine mesure, naviguer ou plutôt orienter ses appareils dans leur l’environnement.

Elle pèse 770 kg sans son carburant et 1500 kg avec (il y aura pas mal de manœuvres de modifications de trajectoires). L’énergie pour le fonctionnement interne et les transmissions sera solaire (panneaux de 7,3 mètres d’envergure qui doivent pouvoir fournir une puissance de 504 Watts au plus loin du Soleil).

Après la mise en orbite de parking, la prochaine étape et l’injection vers l’espace profond le 7 Novembre. Bon vol Lucy!

Illustration de titre, le périple de Lucy. Credit: Southwest Research Institute

référence:

https://www.nasa.gov/mission_pages/lucy/news/index

illustration ci-dessous: vue d’artiste de Lucy avec ses panneaux solaires déployés (crédit NASA):

PS: Pour ceux qui ne s’en souviendraient pas, je rappellerais que Lucy reçut son nom de Louis Leakey à cause de la chanson des Beatles qui tournait en boucle sur le site de fouille au moment de la découverte.