Mon intérêt pour l’exploration spatiale, un état d’esprit constant

Ces derniers temps, étant privé d’ordinateur donc de possibilité de lecture du fait de mon opération de la cataracte, je réfléchissais à ce qui me différenciait de mes contemporains. Personnellement je me moque totalement de savoir quelle voiture je pourrais acheter ou quelle montre je pourrais mettre à mon poignet, ou encore de savoir qui a gagné le dernier match de football mais je me précipite sur les dernières recherches publiées partout dans le monde, pour en savoir juste un peu plus sur l’Univers que ce que j’en sais déjà. Mon intérêt pour l’exploration spatiale n’est à l’évidence pas partagé par tous, même si le nombre de mes lecteurs montre que je ne suis pas seul. Il est évident que certains se préoccupent davantage d’« ici et maintenant » tandis que d’autres se passionnent davantage pour les grands problèmes de l’humanité.

Il faut être nuancé. Sans doute tous les hommes ont potentiellement les mêmes gammes de pulsions sinon le même potentiel. Mais chez certains la pulsion du « fondamental » est plus forte que chez d’autres. Je ne suis évidemment pas le premier à faire le constat (voir le magnifique poème L’albatros de Baudelaire) et je ne critique pas ceux qui font un autre choix que le mien. Il ne s’agit d’ailleurs sans doute pas d’un choix mais je pense plutôt d’un état d’esprit, d’une prédisposition, peut-être génétique, de l’intellect, qui oriente un être humain dans une trajectoire mentale plutôt que dans une autre.

Je sais bien qu’il n’est pas facile de consacrer toute sa vie à ses rêves et à ses passions. « Il faut bien vivre ». Mais il ne faut pas mettre tout sur le compte de la pression de la nécessité. Passionné depuis ma prime adolescence par la « géographie physique » (qu’on appellerait aujourd’hui « planétologie »), j’ai moi-même été banquier après avoir fait des études de sciences économiques par refus de m’enfermer dans ma passion et pour tenter « autre chose » que ce à quoi j’étais prédisposé. Ceci dit, je ne regrette pas de m’être plongé dans la vie de tous les jours. Je m’y trouvais un peu comme l’albatros mentionné ci-dessus, maladroit au début, mais ayant commencé jeune, j’ai pu, dans une certaine mesure, m’adapter et acquérir ainsi une expérience et un sens du réel qui me servent toujours aujourd’hui.

J’ai, en quelque sorte, « appris à marcher en contrôlant mes ailes », tout en aiguisant mon intellect au contact du réel le plus varié et le plus dur possible. L’analyse de risques sur contreparties, entreprises, projets ou particuliers, qui était ma spécialité, est une spéculation sur l’avenir à partir d’un présent extrêmement complexe, comptable et financier mais aussi technologique et psychologique, d’intentions qui sont difficiles à déchiffrer dans un contexte évolutif dans lequel interviennent une multitude de facteurs (aujourd’hui par exemple, la guerre). Il faut sans cesse estimer et déduire à partir d’un réel qui malgré tous les efforts possibles, reste flou, et concourir à la décision. Il y a des dossiers « solides » ou « carrés » mais les emprunteurs ne font pas souvent part de leurs difficultés. Il leur arrive de les dissimuler, s’ils ne se trompent par excès d’optimisme et, de toute façon, ils ne connaissent pas l’avenir. Heureusement certains « voient juste » ou d’autres ont simplement « de la chance ». Quoi qu’il en soit, il vaut mieux pour le banquier, ne pas se tromper dans la compréhension des différentes technologies employées ou des différentes situations et malgré les stratégies variées d’évitement ou simplement les omissions involontaires des interlocuteurs, car les conséquences peuvent être très lourdes, en pertes (les rémunérations sur risques pris, sont très rarement supérieures à 1% du capital engagé) ou en gains (il faut bien gagner de l’argent pour continuer à rémunérer l’établissement et à prêter).

J’aime à penser qu’Henri le Navigateur, ce prince portugais qui a précédé les Grandes-découvertes devait être dans le même « état d’esprit » que moi quand il contemplait l’Océan immense depuis son rocher de Sagres en cherchant à le comprendre. Dans mon contexte personnel, j’avais au mur de mon bureau une grande carte de la National Geographic Society montrant notre ciel et l’Espace dans une succession vertigineuse d’agrandissements, depuis notre système solaire interne jusqu’à notre groupe local de galaxies. Et cette carte, toujours dans le coin de mon œil, me permettait de « garder les choses en perspectives ».

Finalement c’est lorsqu’il prend sa retraite que l’homme qui a suivi un parcours tel que le mien se retrouve ou se découvre et peut s’épanouir enfin pleinement, construisant sur l’acquis pour aller encore plus loin, comme le pilote d’une fusée qui a brûlé son premier étage et qui allume le second pour se mettre sur la trajectoire qui l’enverra vers sa destination finale (qu’il n’atteindra peut-être jamais, mais enfin il est parti). A ce moment de la vie, le temps qui reste est par définition court et il s’agit de l’utiliser en fonction de ce qu’on est soi-même, profondément. J’ai des amis qui se sont arrêtés parce qu’ils étaient atteints par la milite d’âge, et ne s’en sont jamais remis. Ils étaient banquiers avant tout et ne savaient pas être autre chose. La retraite a été pour eux l’entrée dans l’oisiveté et le néant. D’autres, comme moi, ont tourné la dernière page de cette première vie et sont entrés dans un nouveau livre qu’il s’agissait d’écrire avec toute la richesse mentale accumulée par l’expérience. Encore à ce niveau, certains ont préféré « rester dans la finance », achetant et vendant des actions pour eux-mêmes ou devenant conseiller financier pour d’autres ; d’autres sont partis vers la spiritualité ou bien le grand large pour tenter de comprendre ce monde étrange et merveilleux qu’est le nôtre. J’ai l’immense satisfaction de faire partie de ces derniers mais je ne jette aucune pierre aux autres. Chacun fait selon ses besoins et selon ses moyens. Notre diversité fait la beauté de l’être humain.

Bien entendu, en parallèle, d’autres encore ont cultivé leur passion toute leur vie. Ils ont suivi le cursus universitaire « normal » et sont devenus astrophysiciens, ce que j’aurais voulu faire et que j’aurais fait si je n’avais pas craint de m’enfermer dans mon propre univers. Ils sont sans doute animés du même état d’esprit que moi. Mais finalement je ne regrette pas mon parcours « freelance » hétérogène. Il m’a permis de voir la science, leur science et ma science, dans un contexte enrichi d’une autre dimension et donc de la conscience du caractère humain, du terreau, dans lequel elle se développe. Je pense en fin de compte que « c’est un plus » car dans ce domaine et dans cette perspective, le généraliste a un avantage sur les spécialistes pourvu que le généraliste puisse suffisamment comprendre ce que font les spécialistes.

Illustration de titre :  Programme Aurora (ESA), crédit ESA et Pierre Carril. Je reprends encore une fois cette illustration que j’aime beaucoup car pour moi elle illustre parfaitement cet état d’esprit dont je parle. Elle est porteuse avec une force inouïe, de l’imagination et du « rêve d’ailleurs ». Elle a été commandée à Pierre Carril par l’ESA à l’époque du lancement du programme Aurora (aujourd’hui semble-t-il, hélas, bien oublié !). Pierre Carril dont les dessins sont toujours extrêmement rigoureux et porteurs de sens, est l’un des meilleurs illustrateurs scientifiques se consacrant à l’espace. 

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