La vie sur Mars, si elle existe, est forcément primitive et différente de la vie terrestre

Nous avons vu la semaine dernière que la vie sur Terre a été façonnée par son environnement en même temps qu’elle-même l’a réciproquement façonné. A supposer que la vie soit apparue sur Mars en même temps que sur Terre, au tout début de leur histoire puisque les deux planètes se ressemblaient alors beaucoup, quelles ont pu être ses possibilités d’évolution et de divergence ?

Pour répondre à la question, il faut considérer le cadre environnemental martien en le comparant à celui de la Terre. Ce cadre est défini par la masse de la planète et par son histoire géologique (outre sa distance au Soleil). Et l’on voit que les deux divergent assez vite. Sur Mars on distingue trois éons* : le Phylosien (humide, l’âge des feuilles d’argile) du début de l’histoire jusqu’à -4 milliards d’années (Ma), le Theiikhien (volcanique, l’âge du souffre) jusqu’à -3,6 Ma, le Sidérikien (désertique, l’âge du fer) pour toute la suite, jusqu’à nos jours. Sur Terre nous avons l’Hadéen, l’Archéen, le Protérozoïque, le Phanérozoïque. L’Hadéen (correspondant à une planète de surface magmatique, sans croûte formée) est très court sur Mars, en raison de la plus faible masse de cette planète (elle s’est refroidie plus vite) et de l’absence d’impact de l’importance de celui qui a créé la Lune (elle n’est pas retournée tardivement à l’état magmatique comme la Terre l’a été). On ne le distingue pas de ce fait de l’éon suivant, le Phylosien. Le Phylosien est sans doute très semblable au début de notre Archéen (atmosphère très épaisse et sans doute constituée des mêmes gaz, avec eau liquide en surface). Mais il commence beaucoup plus tôt (vers -4,45 Ma), en parallèle de l’Hadéen terrestre et se termine lorsque l’Archéen terrestre commence (-4.2 Ma). L’évolution sur Mars est accélérée. C’est sans doute à la fin de cet éon que le noyau de la planète n’a plus la force de maintenir d’effet dynamo capable de générer un champ magnétique global protecteur. Le Théiikien est contemporain de l’ère Eoarchéenne terrestre (à l’intérieur de l’éon Archéen) de -4.2 à -3.8 Ma. Dès la fin de cette époque (-3.8 Ma), on entre dans l’éon Sidérikien pour Mars et dans la deuxième des quatre ères de l’Archéen terrestre (Paléoarchéen). Sur Mars on reste ensuite dans le Sidérikien jusqu’à aujourd’hui. L’aridité-froide générale de cet éon, explicable par une densité atmosphérique très faible (entrainant sublimation de l’eau) et la distance plus grande de Mars au Soleil que la Terre, étant entrecoupée par des épisodes volcaniques causant des flux aqueux cataclysmiques sous une atmosphère temporairement plus épaisse et plus chaude (effet de serre). Mais cette atmosphère épaisse ne « tient » jamais longtemps car l’attraction gravitationnelle de la planète est trop faible pour la conserver. Avec le temps, l’activité de la planète se calme car elle se refroidit et la croûte s’épaissit, les éruptions volcaniques sont de plus en plus difficiles (ce qui ne veut pas dire qu’elles soient moins violentes et les laves moins abondantes quand elles parviennent à percer la croûte) jusqu’à aujourd’hui où elles ont peut-être cessé.

* Cette segmentation de l’histoire de Mars n’est pas encore reconnue universellement. Elle a été proposée par l’astrophysicien Jean-Pierre Bibring (P.I. du spectroscope Omega embarqué sur l’orbiteur Mars-Express de l’ESA). Elle est fondée sur des constatations géologiques, la morphologie mais aussi la composition des sols et la stratigraphie comme le permet la spectroscopie et l’étude par radar. La plupart des planétologues en sont (malheureusement) restés à la classification ancienne reposant sur l’image visuelle : la cratérisation des sols (nombre et tailles des impacts) et les grands phénomènes qui ont marqué la planète de leur passage : Noachien (abondance des cratères), Hespérien (volcanisme) -4.0 Ma à -3.5 Ma, Amazonien (flux aqueux cataclysmiques) ensuite. Il y a un léger décalage entre les deux classifications. Dans celles de Jean-Pierre Bibring les deux premiers éons, ceux de la « planète vivante », sont plus courts.

Faisons donc l’hypothèse que la vie serait apparue sur Mars, en même temps que sur Terre et peut-être un peu avant (-4,2 Ma ?) puisque l’Hadéen (température très élevée) a été très court sur Mars et que donc il y a eu une croûte et de l’eau liquide peut-être déjà vers -4,4 Ma. Certains paléogéobiologiste comme Steven Benner, pensent même que les conditions étaient plus favorables sur Mars que sur Terre (notamment quelques terres émergées plutôt qu’une planète-océan) et qu’en conséquence c’est sur Mars qu’a commencé la vie commune qui ensuite a été transportée sur Terre par quelque petit astéroïde interplanétaire créé et expulsé par l’impact d’un plus gros astéroïde sur Mars (il y en a eu, on les appelle les « météorites SNC » !). Ce petit astéroïde, habité par des spores de microbes martiens, serait arrivé sur Terre au début de l’Eoarchéen. J’ai toutefois une réserve sur ce point car dès le début nous avons sur Terre les deux formes de vie procaryote (archée et bactérie) et cela supposerait que par une chance extraordinaire le petit astéroïde ait transporté les spécimens des deux. Il faudrait plutôt que ce soient des ancêtres prébiotiques de notre LUCA, Last Universal Common Ancestor, qui aient fait le voyage et que la dernière étape vers la vie n’ait pu être franchie que sur Terre.

Supposons cependant, par hypothèse, que les ancêtres des premiers procaryotes aient pu trouver un terrain propice à leur passage du prébiotique au biotique sur Mars aussi bien que sur Terre où ils auraient pu se nourrir des mêmes ressources locales (autotrophes) et se reproduire, en bénéficiant de conditions énergétiques suffisantes.

Si la vie est apparue et s’est développée sur les deux planètes il n’y aurait eu que peu de différenciations ou divergences entre les modes de fonctionnement et l’évolution des lignées de vie au début puisque les milieux étaient très semblables (avec une nuance cependant en fonction du stade d’évolution atteint sur Mars lors de l’éventuelle migration vers la Terre). Les premières formes de vie passaient sans doute l’essentiel de leur temps dans l’eau, milieu plus riche et plus sécurisé que les terres émergées (quoique très rares sur Terre et moins sur Mars). La seule nuance étant que déjà vers -4 Ma, Mars a connu des périodes de très faible pression atmosphérique (donc déjà un assèchement) qui ont pu conduire à une adaptation darwinienne des microbes martiens éloignant déjà les deux formes de vie.

Si la migration vers la Terre s’est effectuée juste avant l’apparition de notre LUCA nous sommes probablement constitués des mêmes éléments. Mais les constituants, acides aminées ou lipides de leur membrane lipidique, par exemple, pourraient ne pas être les mêmes, si la migration s’est effectuée avant une évolution suffisamment poussée sur Mars.

Après -3,6 Ma, tout change. Autant la Terre continue à offrir un habitat de surface, riche et utilisable pour se nourrir et se reproduire, autant les conditions (disparitions des océans, flux cataclysmiques intermittents) deviennent difficiles sur Mars. Il ne serait pas étonnant que les formes de vie sur cette planète aient divergé fortement dès ce moment, les procaryotes martiens étant contraints pour survivre de devenir beaucoup plus résistants tout en perdant la capacité comme leurs cousins terrestres, d’exploiter l’eau de mer grâce à l’énergie du Soleil pour en capter les électrons ou en n’ayant même pas eu le temps d’y parvenir.

La suite c’est qu’il n’y a probablement pas eu de cyanobactéries-photosynthétiques rejetant dans l’atmosphère de Mars l’oxygène produit par leur métabolisme (et indirectement pas de couche d’ozone protectrice). C’est sans doute aussi pour cela que jusqu’à présent on n’a pas trouvé beaucoup de carbonate de calcium (calcaire) sur Mars puisque sur Terre il provient essentiellement d’animaux à coquille.

Toujours est-il que la perte d’atmosphère a sans doute déclenché une première extinction de masse de l’hypothétique vie martienne. Extinction qui a forcément conduit à une modification importante de l’arbre phylogénétique de cette vie. Qu’a-t-il pu advenir ensuite ? Sans doute une floraison nouvelle à chaque période volcanique*, qui a permis à la vie de « tenir » sous forme de spore, malgré l’aridité et la disparition de l’eau liquide jusqu’à l’épisode volcanique suivant. On peut supposer que ces alternances, très dures, des conditions environnementales ont pu permettre à la vie martienne de muter plusieurs fois et de s’endurcir, c’est-à-dire de devenir extrêmement résistante. Jusqu’à quand ?

*En dehors des périodes volcaniques, il y a bien sûr eu d’autres cataclysmes : des impacts de gros astéroïdes, des changements d’inclinaison de l’axe de rotation de la planète et des changements dans l’excentricité de l’orbite. Les premiers ont pu aussi conduire à des épaississements de l’atmosphère et les seconds à des périodes de glaciation. Mais les effets sur des microbes n’ont pas dû être très différents que les épisodes volcaniques. Quant aux changements d’excentricité de l’orbite, ils ont pu avoir des effets marginaux sur le climat, sans conséquences majeures pour ces mêmes microbes car ces derniers, êtres moins complexes que les métazoaires, animaux ou plantes, sont plus résilients.

Il y a plusieurs points d’interrogation qui résultent de cette histoire : 1) On ne sait toujours pas si la vie a pu apparaître sur Mars. 2) Si elle est apparue, on ne sait évidemment pas si elle a pu se maintenir en sous-sol entre les épisodes aqueux. 3) Si elle a survécu au début de l’histoire de Mars, on ne sait pas si elle a pu survivre pendant la dernière période depuis le dernier épisode aqueux car on ne sait pas à quelle époque il remonte. On sait que les procaryotes (bactéries ou archées) peuvent survivre très longtemps sous forme de spores, plusieurs dizaines de millions d’années. Mais cette résilience a-t-elle été suffisante ? Les intervalles entre les dernières périodes d’habitabilité n’ont-ils pas été trop longs ?

Si toutefois la vie martienne a survécu jusqu’à aujourd’hui, elle ne peut être que de type procaryotique car on ne voit pas quel événement aurait pu lui permettre de domestiquer la combustion de l’oxygène étant donné qu’il n’y avait aucune incitation biologique à le faire. Absence d’oxygène moléculaire signifie pas de métazoaire donc pas de plantes et pas d’animaux. Par ailleurs, cette vie procaryote si elle existe ou si elle subsiste, doit être à une profondeur dans le sol qui la protège contre les radiations, qui lui donne un minimum d’humidité et un minimum de chaleur tout en supposant que les minéraux qui l’entourent lui permette de se nourrir. Au moins deux mètres (radiations) mais probablement beaucoup plus. En tout cas, en raison de son histoire très différente de la nôtre, elle est forcément très différente de la nôtre et elle doit être rare car on n’a pas remarqué de façon évidente dans l’atmosphère, de gaz provenant de rejets métaboliques abondants. Les apparitions supposées de bouffées de méthane ont été erratiques et faibles, à la limite du doute.

Le point d’interrogation subsistera, au moins jusqu’à la campagne d’exploration suivant l’atterrissage de la sonde ExoMars…en 2029 (espérons) !

Illustration de titre : le rover Rosalind Franklin de la mission ExoMars de l’ESA en train d’effectuer un forage. Vue d’artiste, crédit ESA.

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