Les risques sanitaires d’un voyage vers Mars, bien que non négligeables, restent cependant acceptables

En dehors du risque purement astronautique, lié à la défaillance possible du lanceur ou du vaisseau, le voyage vers Mars présentera des risques qu’il vaut mieux connaître afin de pouvoir y faire face. Disons que ce voyage ne sera pas « une promenade de santé » mais qu’on pourra quand même y survivre pourvu qu’on en « use avec modération », c’est-à-dire qu’on ne le fasse pas trop souvent. Il n’y aura pas de pilote de ligne Terre/Mars/Terre.

Je fais référence à l’article Comment soigner dans l’espace de S. Thierry, M. Komorowski, A. Golemis et L. André-Boyet publié dans la revue Pour la Science d’avril 2022. Les trois premiers sont médecins, la dernière est instructrice des astronautes auprès de l’ESA.

Les auteurs listent de nombreux types de pathologies favorisées par le séjour dans l’espace :

1) au niveau de l’œil, syndrome neuro-ophtalmique, œdème du nerf optique, cataracte radio-induite ;

2) au niveau du cerveau, hypertension intracrânienne par distribution inadéquate des flux sanguin et céphalorachidien, céphalées rebelles aux traitements antalgiques ;

3) au niveau de l’oreille, perturbation de l’oreille interne, induisant l’altération de la perception et du sens de l’orientation, et le « mal de l’espace » ;

4) au niveau du système circulatoire, diminution de l’élasticité de la paroi des vaisseaux, baisse de la production de globules rouges (anémie), affaiblissement du système immunitaire ;

5) au niveau osseux, étirement de la colonne vertébrale induisant un risque de dorsalgies, déminéralisation et perte de densité osseuse, atteinte de l’architecture de l’os spongieux ;

6) au niveau des reins, augmentation du risque de calculs lié à la déminéralisation ;

7) au niveau des muscles : atrophie des muscles posturaux et perte de masse musculaire ;

8) au niveau nerveux, outre les dorsalgies et les œdèmes du nerf optique, diminution des réflexes ;

9) au niveau génétique, altérations telles que raccourcissement des télomères et autres pouvant résulter des radiations ;

10) en général, accroissement du risque de cancer résultant des radiations.

J’ajouterais une autre pathologie à celles mentionnées par les auteurs. C’est celle qui résulte de la dérive des objets en suspension dans le volume viabilisé, du fait de l’apesanteur. Les plus dangereux ne sont évidemment pas les plus gros mais les particules qui peuvent être inhalées ou qui peuvent impacter le globe oculaire.

A ces pathologies purement spatiales, s’ajoutent toutes celles propres au fonctionnement d’un corps humain dans un environnement terrestre normal, dont, par exemple, les maux de dents ou les AVC mais aussi les infections bactériennes car certaines bactéries prospèrent particulièrement bien en apesanteur (facilitation de la formation de biofilms bactériens) et en milieux clos.

Je n’oublie pas les problèmes mentaux. Ils ne sont pas totalement à négliger bien qu’ils aient été grossièrement exagérés (je ne crois pas à l’angoisse générée par la sortie de la Terre du champ de vision des voyageurs). Il pourrait y avoir le stress d’être engagé dans un voyage sans retour possible avant 30 mois et, de ce fait, de se trouver pendant une longue période avec moins de protection médicale que sur Terre et bien sûr de devoir accepter des contacts moins faciles avec ses proches.

Tout cela n’est évidemment pas très « engageant ». Cependant il faut regarder en face les problèmes et imaginez les solutions pour les résoudre.

Les facteurs qui sont les causes de ces pathologies et de leur aggravation sont bien connus : apesanteur d’abord mais aussi volume viabilisé restreint, clos et confiné ; environnement radiatif intense ; éloignement temporaire mais irrémédiable des autres êtres humains ; indisponibilité d’une bonne partie des produits pharmaceutiques, des équipements médicaux et des « soignants » auxquels la vie sur Terre nous permet l’accès.

Si on traitait ces facteurs, on pourrait résorber les pathologies. Mais le pourra-t-on ?

1) Apesanteur. Le palliatif est connu ; il s’agit de recréer une gravité artificielle par mise en rotation de l’habitat. Plusieurs solutions ont été proposées et présentées dans ce blog. Je n’y reviendrai pas. Disons que l’intérêt de cette solution est bien supérieur à celui que présente l’exercice sportif car celui-ci ne traite absolument pas les problèmes internes de distribution des flux dans le corps ou ceux de l’équilibre.

2) Volume viabilisé restreint, clos et confiné. Ce facteur, déjà traité dans ce blog, induit la nécessité d’un contrôle constant de l’environnement. Sur l’ISS, l’EHS (Environmental Health System), partie de l’ECLSS (Environment Control & Life Support System), permet de contrôler l’environnement microbien par toutes sortes de capteurs (par exemple MiDASS de BioMérieux) et de produits de traitement. Là, comme dans le vaisseau en voyage vers Mars ou, ensuite, sur Mars, Il faut/faudra surveiller non seulement la composition de l’atmosphère, mais aussi la propreté des surfaces (même cachées si elles sont dans des volumes viabilisées et communiquent avec l’habitat !) car elles peuvent servir de support à la prolifération de plaques de champignons.

3) Radiations solaires et radiations cosmiques. Ce facteur a également été déjà traité dans ce blog. Disons qu’on pourra se protéger assez bien des radiations solaires (SeP – Solar energetic Particles – quasi exclusivement constituées de protons) et d’une bonne partie des radiations cosmiques (GCR – Galactic Cosmic Rays) de même nature, principalement avec les réserves d’eau et de nourriture (outre les UV et les ondes courtes de leur voisinage sur le spectre électromagnétique qui seront arrêtées par la coque du vaisseau). Mais on ne pourra pas se protéger des rayonnements particulaires HZE (noyaux d’éléments lourds) des GCR. Ces rayonnements pouvant traverser la paroi métallique du vaisseau sans problème (pas question de blindages de plusieurs dizaines de cm dont la masse serait rédhibitoire) et générant au passage des rayons gamma. La seule « solution » sera de ne pas les subir pendant « trop longtemps ». Un voyage aller et retour sur Mars interrompu par un séjour de 18 mois sur place (protection locale), rend la dose acceptable mais on ne pourra pas le faire plus de 3 ou 4 fois dans une vie (en privilégiant la période d’activité solaire moyenne plutôt que basse).

4) Environnement humain sur le plan psychologique. Ce facteur est à mon avis d’abord à considérer en fonction de la durée et il sera très différent au début des voyages vers Mars ou « plus tard ». Pour y remédier, au début, il y aura d’une première part la cohésion et l’harmonie du groupe. Il est essentiel de faire voyager ensemble des personnes qui s’acceptent mutuellement et qui ont la volonté de coopérer sans s’immiscer ou s’imposer. Par ailleurs, il y aura des liaisons radio et vidéo avec la Terre et en dépit du décalage horaire, des communications nuancées, y compris à teneur affective, seront possibles. Pensez aux mails aujourd’hui ; ils permettent toutes sortes d’échanges. On peut presque vivre socialement par correspondance. Ensuite, lorsqu’une base pérenne aura été créée sur Mars avec une population diverse, une sécurité et un confort satisfaisant, les seuls problèmes resteront l’impossibilité de revenir sur Terre avant 30 mois et la longueur du voyage. Il faudra l’accepter (avant le départ !) en faisant la balance avantages/inconvénients.

5) Rareté des produits pharmaceutiques, des équipements médicaux et des soignants. Pour « remédier » à ce facteur, il faudra tout d’abord embarquer tous les produits pharmaceutiques susceptibles d’être utilisés, y compris les produits antiseptiques et sédatifs. Il faudra aussi embarquer les instruments/appareils médicaux pour examens tels que radios, échographies, défibrillateurs, examens oculaires, matériel pour intubation trachéale, instruments chirurgicaux. La limite sera qu’on ne peut pas tout prévoir et surtout que le volume des soutes de vaisseaux spatiaux ne sont pas illimités. Et non seulement on ne pourra pas « tout » prendre avec soi mais les instruments pourront se détériorer, se casser, se souiller, ne pas être précisément adaptés à l’usage dont on aura besoin. Par ailleurs, certaines molécules médicamenteuses actives sont sensibles aux rayonnements radiatifs. Il faudra les protéger mais comme déjà dit, la protection contre certains rayonnements cosmiques (les HZE de GCR) est impossible. Dans le domaine des instruments, l’impression 3D pourra être un recours très important (SpaceX l’utilise depuis des années pour des pièces à géométrie complexe de ses moteurs). Pour lutter contre l’obsolescence des médicaments, la seule solution sera de miser sur un voyage aussi court que possible (Mars mais pas plus loin !) et ensuite sur le développement d’une industrie pharmaceutique locale (pour les molécules les moins difficiles à produire). Pour ce qui est des soignants, il faut, comme je l’ai mentionné dans le paragraphe « environnement humain », bien distinguer entre « maintenant » et « plus tard ». Pour les premières missions, il sera aussi important d’envoyer des médecins que des ingénieurs car l’homme est la plus précieuse de nos machines. Comme choix de médecins, je donnerais la priorité à deux chirurgiens et à un dentiste, les autres soignants pouvant être guidés à distance depuis la Terre par leur confrère, malgré le décalage temporel.

Bien entendu, une fois sur Mars, les problèmes seront différents de ce qu’ils auront été pendant le voyage puisqu’un minimum de pesanteur sera rétabli et qu’on aura des moyens beaucoup plus efficaces pour se protéger des radiations. Restera toujours le problème de l’espace réduit et confiné mais il sera également moins critique puisqu’on pourra l’agrandir (viabilisation de caverne naturelle ou excavée, construction d’habitats permettant au moins l’isolement des personnes contagieuses et l’assainissement des espaces insalubres). Quant à l’isolement de la Colonie, certains aimeront se trouver loin ; il y a des amoureux des déserts, des îles perdues ou des avant-postes. Avec le temps, des familles se créeront et un sentiment d’appartenance local se développera. Il ne faut pas désespérer des facultés d’adaptation de l’être humain.

Pour le moment, il est certain que les conditions sanitaires d’une mission sur Mars seront moins bonnes que sur Terre, surtout pendant le voyage. Mais cela n’est pas une raison de ne pas entreprendre cette belle aventure. La vie ne consiste pas à attendre la mort dans son fauteuil.

Illustration à la Une : L’astronaute Karen Nyberg (USA), ingénieure de vol de l’expédition 36 de l’ISS (mai à septembre 2013), procède à un examen oculaire sur elle-même (fond de l’œil, avec un fondoscope). Image, crédit NASA.

Lien : Pour la Science, Avril 2022, Comment soigner dans l’espace, par S. Thierry, M. Komorowski, A. Golemis, L. André-Boyer : https://www.pourlascience.fr/sd/medecine/comment-soigner-dans-l-espace-23537.php

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