La prolifération microbienne posera sur Mars des problèmes semblables à ceux qu’elle a posés jadis sur l’Ile de Pâques…

…mais il sera moins difficile d’y faire face !

En ces temps où le covid-19 étend son empire sur le monde, il me semble intéressant d’attirer l’attention sur la situation où se trouvait l’Île de Pâques, « Rapa Nui* » pour ses indigènes aujourd’hui, à l’époque pas si lointaine (jusqu’en 1967) où l’île n’avait pas d’aéroport. Elle illustre bien les problèmes de propagation des contaminations et les problèmes auxquels seront confrontées les colonies martiennes dans le domaine microbien.

*« Grande Rapa » par différence avec Rapa Iti (Petite Rapa), cette dernière étant la plus isolée, au Sud-Est, des îles de la Polynésie française, et la moins lointaine, avec Pitcairn (l’île des mutinés du Bounty !), de Rapa Nui. Le nom de Rapa Nui est récent. Il fut donné à l’île de Pâques (découverte par le Hollandais Jakob Roggeveen le jour de Pâques 1722), lors du rapatriement des quelques personnes des deux îles (Rapa Nui et Rapa Iti) ayant survécu à leur esclavage au Pérou (1862-1863).

NB : Je me réfère ici largement à ce qu’écrivait Thor Heyerdahl dans son très beau livre « Aku-Aku le secret de l’Ile de Pâques » (1957), qui a enchanté mon adolescence.

A l’époque où Thor Heyerdhal la parcourait, Rapa Nui, l’ile la plus éloignée de toute autre terre habitée et donc forcément le centre ou le « nombril » du monde pour ses habitants (« Te Pito o te Henua »), n’avait de contact avec le monde extérieur que par le navire de guerre qui venait une fois par an affirmer son appartenance au Chili et lui apporter quelques marchandises et équipements de nécessité ou de confort. Les navires de particuliers qui arrivaient jusque-là, comme le chalutier (adapté aux besoins de la mission !) de Thor Heyerdahl, étaient si rares qu’ils constituaient des événements historiques. Le premier résultat c’est que, sur le plan biologique, il y avait une rupture quasi totale entre le microbiome* insulaire et le microbiome de la biosphère humaine (que l’on pourrait appeler l’« humanosphère-reste-du-monde »). Le deuxième résultat c’était que ces deux microbiomes évoluaient séparément pendant une période relativement longue et que le microbiome humanosphère-reste-du-monde était beaucoup plus riche et vigoureux que le microbiome pascuan, car composé des microbiotes** de très nombreux individus en relations, et qu’il évoluait beaucoup plus vivement. Le troisième résultat c’était que lorsqu’il y avait contact, celui-ci était violent puisqu’il n’y avait aucune transition, aucun lissage dans le temps, presqu’aucune accommodation possible. Le quatrième résultat c’était que la quasi-totalité des habitants de l’île tombait malade (notamment d’une sorte de grippe, le « cocongo ») lors de l’arrivée du bateau qui était vue ainsi comme la meilleure (le contact) et la pire des choses (la maladie).

*environnement microbien de tout végétal ou animal y compris l’être humain – on pourrait dire “sa bulle microbienne”, par extension toute bulle microbienne attachée à un ensemble d’êtres vivants; **totalité des composants microbiens commensal de cet environnement (intérieur et extérieur au végétal et à l’animal).

La situation sera la même pour les habitants de la colonie martienne vis-à-vis des passagers du vaisseau interplanétaire terrien qui arrivera sur Mars tous les 26 mois.

Evidemment les résidents martiens ne seront (pas tout à fait) autant désarmés pour faire face au choc sanitaire que l’étaient les pauvres Pascuans du milieu du XXème siècle. Ils ne disposeront certes d’aucun vaccin puisque par définition il n’y aura pas possibilité de transmission de quelque matière que ce soit , organique ou autre, entre la Terre et Mars. On peut cependant envisager pour atténuer le choc de la reprise de relations physiques, que les contacts entre passagers et résidents soient interdits pendant une quarantaine après l’arrivée sur Mars, soit le temps nécessaire à la vaccination des résidents contre les germes dont le développement sur Terre aurait pu les faire observer comme dangereux ou au minimum incapacitants pendant la période synodique écoulée (comme les deux dernière grippes par exemple). La quarantaine pourrait servir réciproquement à la protection des arrivants contre les germes qui se seraient développés au sein de la petite communauté martienne pendant la rupture des relations physiques. Par ailleurs, pour traiter toutes sortes de pathologies non virales (ou plutôt pour atténuer les effets de celles-ci), les Martiens pourront avoir copié les médicaments mis au point dans les laboratoires terrestres puisqu’ils auront pu recevoir par télécommunication les formules chimiques conçues sur Terre et bien sûr reproductibles sur Mars en utilisant les matières premières martiennes. On peut aussi envisager, pour lutter contre les bactéries, l’utilisation de la phagothérapie en alternative aux antibiotiques. Peut-être cette dernière méthode de soin serait-elle moins difficile à développer sur Mars, surtout dans les premiers temps de la colonisation, car l’industrie pharmaceutique suppose, dans ses productions les plus sophistiquées, la maîtrise de processus délicats (et parce que leur rapport masse/utilité est très faible, donc qu’ils seront transportables depuis la Terre).

A côté du problème posé par ces évolutions divergentes et par ces retrouvailles, il faut aussi envisager qu’il puisse se développer sur Terre une épidémie virale au moins aussi contagieuse que le covid-19, avec de nombreuses expressions asymptomatiques mais, avec une période d’incubation longue, et in fine beaucoup plus létale. Il nous est impossible de maîtriser l’évolution de la biosphère virale. Elle est en nous aussi bien qu’elle nous enrobe et nous cohabitons avec elle depuis nos origines. Nous ne pouvons que lutter contre elle pour nous défendre, avec jusqu’ici un certain succès, pour conserver un statu quo sanitaire. Ce statu quo n’est absolument pas garanti. Il doit être à chaque attaque virale, gagné de haute lutte. Ce sont les réactions de défense de notre système immunitaire contre la force aveugle d’une autre forme de vie acharnée à se nourrir pour se reproduire et qui sans cesse mute pour prévaloir sur ses compétiteurs, mais aussi notre intelligence humaine qui permettent de conserver un équilibre. Un échec de notre médecine (donc une mortalité ou une incapacité fortes) créerait une pagaille indescriptible sur Terre, y compris des émeutes, des révolutions, des guerres et un recul de la civilisation. Dans ce cas, une colonie sur Mars pourrait rester un isolat indemne, comme un monastère au Moyen-Age au milieu des destructions causées par la folie des Barbares, un conservatoire à partir duquel la vie pourrait repartir, sur Terre ou ailleurs dans l’Univers.

Sur place, une fois le choc sanitaire de l’arrivée du vaisseau « encaissé », la plus grande prudence devra perdurer dans la Colonie. En effet, le volume habitable constitué de bulles viabilisées, sera très petit au début et le restera très longtemps. Cela est dû au fait que la terraformation tant prônée par certains, est proprement impossible; cela est dû aussi aux difficultés techniques et au coût élevé de construire, de viabiliser puis d’entretenir de grandes structures isolant de grands volumes. Le nombre d’habitants sera donc lui aussi petit (très probablement limité à quelques milliers d’individus ou au mieux, à quelques dizaines de milliers) mais la densité de l’habitat, très élevée. En conséquence l’effet tampon (« buffer effect ») biologique sera très limité, les désordres biologiques pouvant, s’ils sont laissés libres, se répercuter très rapidement du point de départ à l’ensemble du volume habitable. De ce point de vue la petite colonie martienne sera aussi un bon analogue à Rapa-Nui. Toute maladie microbienne ou viral à forte létalité pouvait et peut encore y faire des ravages. On l’a bien vu lorsque la quasi-totalité de la population a été déportée en esclavage pour exploiter le guano au Pérou. Presque tous les déportés sont morts, très vite, car ils étaient tous en même temps exposés aux mêmes maladies dont la variole sans avoir jamais reçu aucune protection immunitaire, et les survivants ont contaminés à leur retour ceux qui étaient restés sur place. Sur 3000 habitants avant la déportation, seuls 111 survécurent !

Dans la colonie martienne, les moyens de prévenir ou de limiter les épidémies, seront, outre les vaccins, les phages et les médicaments, la multiplicité des bulles viabilisées disposant de porte de sécurité à leurs ouvertures, cette multiplicité étant exigées par ailleurs par des nécessités techniques (contraintes exercées sur les structures par le différentiel de pression atmosphérique entre extérieur et intérieur), et des risques d’explosions de l’une ou de l’autre (impact de petites météorites). Les différentes bulles pourront être périodiquement vidées de leur atmosphère pour être purifiées ; le vide est un bon nettoyant biologique. Mais il faudra aussi, au-delà des règles d’hygiène extrêmement strictes, et contrôlées, pouvoir nettoyer avec des antibactériens et des fongicides les moindres recoins des habitats car l’expérience a prouvé que les « petites bêtes » ont la vie dure ! Des capteurs seront partout présent pour mesurer les pourcentages de gaz atmosphériques et aussi la composition bactérienne de l’atmosphère. Biomérieux a récemment mis au point pour l’ESA et MELiSSA, un analyseur bactérien,  MiDASS (Microbial Detection in Air System for Space), qui permettra de repérer et d’analyser très rapidement les gênes pathogènes…toutes ressources dont ne disposaient pas les anciens Pascuans !

Image de titre : Alignement de moai devant la mer au crépuscule (cliché novo-monde.com)

Image ci-dessous : Rapa-Nui perdue dans l’Océan ! Sur la carte, un tout petit point à peine visible au centre du cercle que j’ai tracé pour le mettre en évidence. L’île est à 3600 km des côtes chiliennes, à 3400 km de Rapa-Iti et à 2000 km de Pitcairn. Les premiers habitants sont sans doute arrivés entre 400 et 1200 après JC.

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Index L’appel de Mars 20 03 06

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