Conséquences de la variabilité du temps sur l’exploration spatiale à des vitesses relativistes

C’est une chose bien étrange que le temps, l’un des grands mystères de notre Univers ! On sait depuis Einstein et Lorentz qu’il est indissociable de la vitesse et de la masse (ou de l’énergie) et qu’il forme un ensemble également indissociable avec l’espace (« espace-temps de Minkowski »). Contrairement à ce que pensait Newton, il n’y a pas plus de temps absolu que d’espace absolu, indépendants l’un de l’autre. On est « plongé dedans » et il est en même temps insaisissable et non maîtrisable. L’exploration spatiale doit jouer avec les contraintes formidables qu’il nous impose, mais qui en même temps nous ouvrent des perspectives extrêmement surprenantes.

Il faut tout d’abord bien comprendre que le temps (défini de manière la plus générale par Kant comme une catégorie de l’entendement a priori, tout comme l’espace) n’est pas une grandeur physique indépendante des autres grandeurs de la Nature. Chaque chose ou chaque masse (chaque « observateur »), a son temps propre, son « référentiel » comme on dit (ou, mieux, son « référentiel galiléen »), qui est fonction du rapport que l’on a avec une limite absolue qui est la vitesse de la lumière dans le vide (qui est une constante quel que soit le référentiel). Il n’y a pas de simultanéité ni de durées absolues. Le temps en effet s’étire ou se contracte, comme le fait aussi, inversement, l’espace, en raison de la gravité exercée par une masse dont on s’approche ou dont on s’éloigne et de la vitesse dont on est animé. On peut cependant regrouper les référentiels en bulles de temps relativement homogène, quand les différences entre eux sont négligeables. C’est ainsi que le temps sur Terre peut être mesuré (à très peu de chose près) au même rythme par des horloges différentes puisque nous sommes embarqués sur une même planète au sein d’un même système et dans un même environnement stellaire et galactique et que nous sommes animés de vitesses, même si elles sont différentes, bien éloignées des vitesses relativistes (qui commencent, arbitrairement mais significativement, à 10% de la vitesse de la lumière).

Plus le référentiel s’approche de la vitesse de la lumière ou d’une masse capable par la force d’attraction gravitationnelle qu’elle génère d’accélérer vers la vitesse de la lumière quelque autre masse qu’elle-même, plus le temps s’allonge et s’étire par rapport au référentiel d’origine, mais le temps propre à l’intérieur du référentiel en accélération continue à s’écouler sur la même durée. On peut ainsi s’approcher de l’horizon des événements d’un trou noir (mais pas trop près !) ou bien s’approcher de la vitesse de la lumière d’autant plus que « notre » masse initiale (« masse-au-repos ») est faible et que nous disposons d’une énergie suffisante. En fait on n’atteindra jamais la vitesse de la lumière tant qu’on aura une masse-au-repos non nulle ; mais, en s’approchant de cette vitesse, le temps deviendra de plus en plus lent et il s’immobiliserait si l’on pouvait atteindre la vitesse ultime. Par contre, les photons, particules sans masse (mais sortes de « grains » d’énergie), qui, par définition, voyagent à la vitesse de la lumière, n’ont pas de temps, ils ne vieillissent pas, ils sont dans un présent perpétuel, ils partent ici et ils arrivent là au même moment, pour eux, bien sûr. (voir note * de Christophe de Reyff en fin d’article)

Ceci dit « les photons meurent aussi ». Ce ne sont que des êtres électromagnétiques et ils peuvent être détruits, par exemple, lorsqu’ils sont absorbés par la matière qui augmente alors son énergie de celle du photon incident. On le sait bien puisqu’avec une main on peut protéger ses yeux de la lumière du Soleil (et recevoir en échange une “goutte” de chaleur). Les photons qui franchissent ou évitent tous les obstacles que peut interposer la matière, suivent un autre sort lié, comme tout phénomène, à la distance et au temps. Nous sommes dans un Univers en expansion et, pour un observateur situé dans un référentiel différent de la source de l’émission, la longueur d’onde va paraître s’étirer au fur et à mesure que la vitesse d’éloignement (phénomène réciproque) augmente. C’est le phénomène bien décrit par Doppler puis par Fizeau. C’est ainsi qu’à notre époque, 13,8 milliards d’années après le Big-bang, le rayonnement des premiers rayons lumineux qui ont pu s’échapper du plasma primordial quand sa densité a chuté du fait de l’expansion, a vu sa longueur d’onde s’allonger considérablement puisque la vitesse de notre éloignement est maintenant proche de leur propre vitesse. Leur décalage vers le rouge, le fameux « effet Doppler-Fizeau » est tel (z » 1100 !) qu’ils ne sont plus lumineux, à peine chaud (le fond diffus cosmologique est de quelques tout petits 2,726 K, avec quelques irrégularités, « anisotropies ») et qu’un jour, suivant une courbe peut-être asymptotique, ils seront quasiment froids. Mais seront-ils « tout à fait froid » est LA question. Certains de nos plus grands physiciens, comme Roger Penrose qui vient de recevoir le Prix Nobel de physique, s’interrogent sur cette époque aussi bien que sur celle du Big-bang et sur l’éventuel lien entre les deux (selon sa théorie dite « Conformal Cyclic Cosmology »).

Quoi qu’il en soit, pour revenir au cœur de mon sujet, l’effet d’allongement du temps, en raison de la vitesse et de temps propres à chaque référentiel, peut théoriquement avoir des conséquences en dehors du sens commun concernant les voyages. Je reprends ce qu’en disait Christophe de Reyff en commentaire à l’un de mes précédents articles :

Prenons le cas bien connu, mais souvent mal compris, du voyageur de Langevin appliqué à un voyage vers la galaxie d’Andromède, notre grande voisine située à 2 millions d’années-lumière d’ici (plus précisément 2,54, mais gardons ce chiffre). Imaginons simplement (chose, bien sûr, encore impossible à seulement concevoir pour une banale raison énergétique) une fusée qui quitte la Terre et accélère à « 1 g » (= 9,8 m/s²) continûment, donc de façon tout à fait confortable pour ses passagers qui se croiraient toujours posés sur Terre. L’énergie nécessaire pour garder dans la durée cette accélération constante est colossale, mais la puissance continue nécessaire reste faible pour assurer cette poussée constante de « 1 g » (en comparaison, au décollage d’une fusée, on a facilement des accélérations de plusieurs « g », nécessitant une grande puissance durant quelques minutes). En une année de vol ainsi toujours accéléré à « 1 g », la fusée pourrait atteindre quasiment la vitesse de la lumière (à la limite naturellement strictement inaccessible) et Andromède ne se trouverait plus qu’à 1 million d’années-lumière devant elle. La moitié du chemin serait parcourue ! La fusée se retournerait alors et décélèrerait également à « 1 g ». En une autre année, elle serait arrivée à Andromède. Ce voyage de deux ans, pour les voyageurs, serait le simple résultat de la relativité : dilatation du temps et contraction de la distance.

Si, au moment de son départ de la Terre, on envoyait vers Andromède un message radio annonçant la venue de voyageurs de la Terre, ce message arriverait, pour la Terre, 2 millions d’années plus tard à Andromède où les préparatifs seraient faits pour accueillir les voyageurs qui arriveraient 2 ans après, soit à 2 millions et 2 années, sur la Terre. Bref, les gens d’Andromède prévenus auraient attendu 2 ans les voyageurs, les voyageurs auraient voyagé 2 ans et les Terriens restés sur Terre auraient durant ce temps vieilli de 2 millions et 2 ans. Si une caméra installée dans la fusée transmettait en continu vers la Terre l’image d’une horloge dans la fusée, les Terriens verraient que cette horloge ralentirait pour ne montrer que deux ans dans la fusée durant les deux millions d’années écoulées sur Terre.

En fait ce voyage à la vitesse de la lumière est très difficile à imaginer puisqu’effectivement la source d’énergie devrait être extraordinairement abondante (puisqu’utilisée pendant une durée très longue) et aussi parce qu’en approchant de la vitesse de la lumière les obstacles vont se multiplier dans l’espace. La moindre poussière mais aussi les moindres molécules de gaz, celles des nuages d’hydrogène, par exemple, vont poser problème. On peut observer que, vis-à-vis des UHECR (Ultra High Energy Cosmic Rays), infimes particules de matière animées d’une vitesse extraordinairement élevée, les nuages d’hydrogènes se comportent comme des plasmas (effet de compression). Ces « rays », en fait des protons ou des noyaux d’éléments « métalliques » lourds, sont déviés ou ralentis par eux, c’est d’ailleurs les diverses radiations qui les traversent qui permettent de les détecter et de les étudier puisqu’elles sont déformées par ce passage.

Alors les voyages interstellaires ou intergalactiques ne seront pas faciles (c’est le moins que l’on puisse dire !) tant que les passagers et leurs véhicules auront une masse. Je suis ainsi amené à considérer le fantasme d’une mission avec vaisseaux et passagers transposés en pures radiations lumineuses ou électromagnétiques. On est là évidemment dans la science-fiction la plus déconnectée de notre époque (pour ne pas dire la plus éthérée !). Restons-y cependant un instant pour imaginer ces voyages. S’ils pouvaient avoir lieu, jusqu’à la Galaxie d’Andromède, par exemple, comme supposé par Christophe de Reyff, il faudrait se représenter des êtres à jamais errants, totalement coupés de leur planète d’origine, comme les aventuriers de Star-Treck, puisque leur bulle de temps d’origine (leur référentiel inertiel), donc leur environnement humain d’origine, leur serait pour toujours devenue inaccessible du fait de leur vitesse sur la durée. La flèche du temps ne va que dans un seul sens et après être parvenus au cours d’une seule de leurs années, vécue « tranquillement » dans leur bulle animée d’une vitesse quasi « luminique », pendant un million d’années du temps de la Terre, ils ne pourraient plus jamais retrouver ceux qui étaient à l’origine leurs contemporains. Sera-ce le destin de certains de nos descendants ?

Cela implique également que les voyages vers les autres systèmes stellaires seront extrêmement difficiles, car on ne peut envisager avec des modes de propulsions « normaux » (c’est-à-dire compris aujourd’hui) d’aller beaucoup plus vite que le seuil des vitesses relativistes, peut-être 10% ou 20% de la vitesse de lumière. À une vitesse de 20% de la vitesse de la lumière, nous n’atteindrions Proxima Centauri, notre plus proche voisine, située à 4,244 années lumières, qu’après un voyage de 20 ans. C’est beaucoup !

Lecture :

http://villemin.gerard.free.fr/Science/PartMass.htm

L’ordre du Temps par Carlo Rovelli, publié en 2018 chez Flammarion

(*) Note complémentaire de Chrystophe de Reyff:

Prenons un autre exemple frappant, celui des horloges placées dans des conditions cinétiques et gravitationnelles différentes. Pratiquement, considérons deux horloges atomiques identiques et très précises, sensibles à ces effets de la vitesse et de la gravité, l’une située au pôle et l’autre située à l’équateur, qui, en bonne approximation, sembleront toujours concorder ; ce qui est pourtant une vraie coïncidence sur Terre ! En effet, prenant celle, située au pôle comme référence, l’autre, située à l’équateur, subit à la fois une gravité moindre (du fait de l’aplatissement de la Terre, elle est plus loin de son centre de 21,4 km) et, en plus, une vitesse d’entraînement due à la rotation de la Terre (1’674,4 km/h ou 465,1 m/s à l’équateur) qui cause encore une force centrifuge (que ne subit pas celle située au pôle). La moindre gravité accélère l’horloge (+0,2 microseconde par jour, car le temps se contracte) et sa vitesse ralentit l’horloge (−0,1 microseconde par jour, car le temps se dilate). Ces deux effets opposés, qui, par pur hasard, se compensent quasiment sur Terre (à moins de 0,1 microsecondes près de décalage par jour !), sont très sensibles dans les satellites qui se meuvent, eux, à plusieurs km/s sur leur orbite. En conséquence, il existe une orbite particulière, fixée par la théorie de la relativité, située précisément à 3’167,4 km d’altitude, à un demi-rayon terrestre d’altitude (soit à 3/2 rayons terrestre, à 9’545,5 km du centre de la Terre), où il y a aussi exacte compensation entre les deux effets (plus et moins 20,072 microsecondes de décalage par jour pour chacun des effets relativistes).

En-dessous de cette orbite (aux grandes vitesses orbitales, à plus de 6,5 km/s, mais décroissant avec l’altitude), l’effet de la vitesse domine et le temps se dilate (l’horloge ralentit par rapport à celle restée sur Terre, mais de moins en moins avec l’altitude). Cela a même aussi été mesuré depuis longtemps dans deux avions portant des horloges atomiques précises, synchronisées au départ, tournant autour de la Terre en sens inverse avec des vitesses opposées et différentes. Au-dessus de cette altitude de 3’167,4 km, la vitesse orbitale continue de décroître et la gravité également avec l’altitude ; mais ce dernier phénomène de décroissance gravitationnelle l’emporte et le temps se contracte (l’horloge accélère). Les satellites GPS, qui sont positionnés bien plus haut, vers 20’200 km d’altitude (soit à un peu plus de 3 rayons terrestres et donc à une distance d’un peu plus de 4 rayons terrestres du centre de la Terre) pour tourner autour de la Terre exactement deux fois par jour (soit un tour en un demi-jour sidéral, en 11 h 58 min 2 s), voyagent pourtant encore à 3,9 km/s, mais leurs horloges montrent finalement une avance de 38,575 microsecondes par jour (−7,213 microsecondes dues à la vitesse et +45,788 microsecondes dues au champ gravitationnel moindre que sur Terre). Cet important décalage journalier entre l’horloge d’un satellite GPS et la Terre doit être compensé continûment, grâce à une programmation pilotable, pour le bon fonctionnement du système GPS.

En conclusion, le premier phénomène, découlant de la vitesse, est expliqué par la relativité restreinte et le second, découlant de la gravitation, par la relativité générale. Mais il ne faut négliger aucun de ces deux effets opposés dans le calcul du décalage des horloges atomiques très précises soumises à la fois à des vitesses différentes et à des gravités différentes.

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