Avec NEAR la collaboration ESO / Breakthrough Initiatives concrétise son projet de recherche de planètes habitables autour d’Alpha Centauri

Le 11 juin l’ESO1 a publié un article annonçant la fin d’une première session d’observations de 10 jours du système stellaire Alpha Centauri avec son instrument VISIR2 amélioré par NEAR3 qu’elle a développé avec le financement de Breakthrough Watch (Yuri and Julia Millner) dans l’espoir de découvrir une planète de masse égale à la Terre orbitant une de ses deux étoiles à l’intérieur de sa zone habitable.

1European Southern Observatory; 2VLT imager and spectrometer for mid-infrared; 3Near Earths in the AlphaCen Region.

NEAR est un coronographe (masque utilisé à l’origine pour cacher le disque solaire afin d’en étudier l’environnement) adapté à l’infrarouge thermique, qui équipe le quatrième, « UT4 », des quatre grands télescopes de 8 mètres de diamètre de surface utile de collecte du Very Large Telescope « VLT » (Mont Paranal, désert d’Atacama, Chili). Il bénéficie de l’optique adaptative et de son imageur et spectromètre VISIR de ce dernier, qu’il complète. Pour pouvoir collecter et analyser le rayonnement reçu d’une planète de masse terrestre et située en zone habitable, la difficulté est la différence de luminosité entre la planète et son étoile (entre 10-7 et 10-10)* qui en l’occurrence sont séparées de seulement une seconde d’arc. La lumière de l’étoile occulte largement la lumière d’une telle planète et ce d’autant plus que les deux étoiles d’Alpha Centauri sont de type « G » (dans le diagramme de Hertzsprung-Russell qui les classifie OBAFGKM) comme le Soleil et sont beaucoup plus brillantes qu’une naine rouge et notamment qu’Alpha Proxima, petite étoile du même système, très légèrement plus proche de nous, auprès de laquelle on a déjà identifié indirectement (méthode des vitesses radiales) la planète Proxima-b.

*Ce problème de différence de taille et de luminosité entre l’étoile et sa planète explique qu’il est beaucoup plus facile de découvrir des exoplanètes grosses et proches (genre « Jupiter chaud ») de leur étoile que des planètes rocheuses de taille terrestre et qu’il est beaucoup moins difficile d’en trouver orbitant autour de naines rouges que d’étoiles de type solaire, puisque les effets gravitaire ou occultant de ces planètes géantes sur leur étoile (moins grosse et moins lumineuse) sont beaucoup plus marqués (et ceci quelle que soit la méthode appliquée, vitesse radiale, transit, astrométrie et bien sûr, observation directe).

Les solutions proposées par NEAR sont (1) d’occulter l’essentiel du rayonnement de l’étoile par son coronographe et (2) de sélectionner un segment de longueurs d’ondes du spectre des rayonnements électromagnétiques à l’intérieur duquel la différence de luminosité entre la planète et l’étoile soit aussi réduite que possible. Le système qui profite de l’optique adaptative de l’UT4 (« DSM » pour “Deformable Secondary Miror”), comprend (1) un nouveau coronographe à masque de phase* annulaire (Annular Groove Phase Mask, « AGPM ») optimisé pour le segment le plus sensible de la bande « N » (10 µm à 12,5 µm) du spectre électromagnétique (qui bénéficie d’un taux de transmission élevé à l’intérieur de l’atmosphère terrestre) et (2) un nouveau système de découpage (« chopping »), appliquant une théorie du physicien Robert Dicke, pour filtrer le bruit. La bande N a pour deuxième avantage de contenir une longueur d’onde (9,6 µm) qui est celle de l’ozone (O3), un excellent marqueur de la vie telle que nous la connaissons (mais la vie sur la « Terre » d’Alpha Centauri, si elle existe, n’a pas forcément atteint le niveau où elle rejette de l’oxygène dans l’atmosphère de sa planète). Elle exprime enfin fort bien l’émission d’un « corps-noir » compatible avec la pression et la température d’une planète pouvant avoir de l’eau liquide en surface (ce qui est plus intéressant car une planète habitable n’est pas forcément habitée). NB: (1) La collecte d’un rayonnement infrarouge impose l’environnement d’un cryostat; (2) NEAR n’a coûté que 4 millions de dollars.

*un masque de phase utilise un masque transparent pour décaler la phase du rayonnement stellaire afin de créer une interférence auto destructive sur cette source, plutôt qu’un simple disque opaque pour la bloquer. Les lumières voisines (dont la source est décentrée) ne subissent pas l’interférence. Un masque de phase annulaire (AGPM) qui génère un vortex optique, est considéré comme un masque de phase parfait permettant de voir les sources situées au plus près de l’étoile.

 NB: A noter que la première imagerie directe d’une planète en utilisant la coronographie, n’a eu lieu qu’en 2008. Il s’agit de la planète Fomalhaut-b qui se trouve à 119 « UA » (unités astronomiques) de son étoile et a un diamètre égal à celui de Jupiter. L’étoile Fomalhaut est à 25 années-lumière de notre Soleil.

 NB2 : NEAR servira par ailleurs de test à l’instrument METIS (Mid-Infrared ELT Imager and Spectrograph) qui doit être installé sur l’Extremely Large Telescope, « ELT » de l’ESO (il couvrira une partie plus importante du spectre infrarouge).

Alpha Centauri étant à seulement 4,37 années-lumière de distance du cœur du système solaire est évidemment une cible très intéressante puisque c’est le seul système stellaire où l’on peut éventuellement, aujourd’hui, envisager d’envoyer des sondes (il faudrait tout de même 20 ans de voyage à 20% de la vitesse de la lumière, ce qui « fait » 216 millions de km/h !). Un des objectifs de Breakthrough Initiatives dont fait partie Breakthrough Watch est de relever ce défi pour Proxima Centauri qui se trouve presque aussi loin, à 4,22 années-lumière, avec son projet Breakthrough Starshot. Bien que l’on ait découvert une planète rocheuse, un peu plus massive que la Terre (1,3 fois), Proxima-b, orbitant autour de Proxima Centauri dans sa zone habitable, il est cependant peu probable qu’elle puisse abriter la vie. Les naines rouges comme Proxima Centauri ont une activité fortement variable (du fait qu’elles ont juste la masse nécessaire pour être des étoiles) ce qui induit par intermittence des rayonnements extrêmement destructeurs pour leur environnement proche (rayons ultraviolets durs – « c » – ou rayons X). Par ailleurs la proximité de la planète à son étoile (0,1 UA, la seule possibilité pour qu’elle se trouve dans sa zone habitable) génère par force de marée un blocage de sa rotation de telle sorte qu’elle lui présente toujours la même face (ce qui pourrait n’être pas non plus très favorable à l’émergence de la vie). Il n’en serait pas de même pour les planètes en orbite auprès d’Alpha Centauri A ou B puisque ces deux étoiles sont de même type que le soleil (même si elles sont un tout petit peu moins lumineuses) et que donc leur zone habitable doit se trouver à environ une unité astronomique (comme celle de notre Soleil à l’intérieur de laquelle évolue la Terre).

Un problème cependant : les étoiles d’Alpha Centauri sont dans un système double et elles ne sont éloignées l’une de l’autre que d’une courte distance, qui varie, sur une période de 80 ans, entre un périastre de 11,2 UA (distance Soleil / Saturne) et un apoastre de 35,6 UA (distance Soleil / Pluton). La sphère de Hill/Roche (zone d’influence gravitationnelle) de chacune varie donc entre deux distances dont la plus courte est égale à la moitié de la distance du Soleil à Saturne, soit 715 millions de km c’est-à-dire moins que la distance du périhélie de Jupiter au Soleil (740 millions de km). Qu’advient-il dans ces conditions de leur ceinture de Kuiper et de leurs nuages de Oort ? Ils sont probablement communs. Quid de l’interaction de leur population de comètes et d’astéroïdes avec les planètes ? Quid de la formation des planètes entre les deux étoiles ? Cette proximité permet-elle l’accrétion d’une géante gazeuse au-delà des lignes de glace ? Il ne reste pas beaucoup de place ! Pourrait-il y avoir une instabilité forte des planètes situées à la limite des sphères de Hill, jusqu’à les faire passer d’une sphère de Hill à l’autre (comme l’imaginait le physicien Robert Forward dans Le vol de la libellule) ? Quels effets peut avoir cette configuration sur les planètes rocheuses en deçà des lignes de glace ? En fait la cohabitation de deux étoiles dans un même système stellaire assez « serré » peut créer des systèmes planétaires très différents du nôtre et difficiles à imaginer sans les avoir observés…mais cela rend aussi moins probable l’existence de planètes avec les mêmes caractéristiques que la nôtre orbitant autour de l’une ou l’autre étoile.

La campagne d’observations de NEAR est de 100 heures avec autant de temps continu qu’il sera possible (par séquence de 6 heures par nuit compte tenu de l’élévation d’Alpha Centauri dans le ciel) mais qui seront probablement réparties sur une vingtaine de jours, c’est-à-dire le temps nécessaire pour qu’une planète située à 1 UA de l’une des étoiles d’Alpha Centauri parcourt sur son orbite un élément de diffraction (0,3 secondes d’arc dans le ciel). Breakthrough Initiatives mettra les données à la disposition du public immédiatement à la fin de la période d’observations. Nous devrions ainsi « savoir » ce qu’il en est du système planétaire tournant autour des deux autre vrais « soleils » les plus proches du nôtre.

Breakthrough Initiative est un programme d’exploration scientifique et technologique qui s’efforce d’apporter des réponses aux grandes questions que l’on se pose sur la vie dans l’Univers. Il a été fondé en 2015 par Yuri et Julia Milner. Yuri Milner est un physicien qui après des études en Russie puis aux Etats-Unis a fait fortune dans Internet et est devenu investisseur en nouvelles technologies (Facebook, Twitter, WhatsApp, Snapchat, Airbnb, Spotify, Alibaba, etc…) via sa société DST Global. Parmi les « supporters » de Breakthrough Initiatives on peut compter feu Stephen Hawking et Marc Zuckerberg. Breakthrough Initiatives comprend quatre branches : Breakthrough Listen, une sorte de SETI (pas de réponse à ce jour !) ; Breakthrough Message, un concours pour concevoir un message qui puisse être compréhensible par des extraterrestres ; Breakthrough Watch, un programme astronomique dédié au développement de technologies qui pourraient permettre de découvrir la vie ailleurs dans l’univers (NEAR est une application de ce programme) ; Breakthrough Starshot, un programme astronautique dédié à démontrer la faisabilité de l’exploration du  système d’Alpha Centauri par une flotte de micro-voiles propulsées par laser à 20% de la vitesse de la lumière.

NEAR, conçu par l’ESO avec le concours de Breakthrough Watch, a été construit en collaboration avec l’Université d’Uppsala, l’Université de Liège, le CalTech, Kampf Telescope Optics de Munich et le CEA (Saclay) France. Il a recueilli sa première lumière le 21 mai 2019. Il faut bien voir que le type d’observations qu’il permet n’était pas possible jusqu’à présent et évidemment pas il y a dix ans lors de la découverte de la planète Fomalhaut-b. L’astronomie est une science dont la technologie évolue très vite et les ouvertures que cette évolution permet, vont révolutionner dans les années qui viennent la connaissance du monde qui nous entoure.

Liens:

https://breakthroughinitiatives.org/instruments/4

https://www.eso.org/public/usa/teles-instr/paranal-observatory/vlt/vlt-instr/visir/

http://optics.org/news/10/6/15

https://www.eso.org/sci/publications/messenger/archive/no.169-sep17/messenger-no169-16-20.pdf

https://www.universetoday.com/142482/new-instrument-is-searching-for-planets-around-alpha-centauri/

https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/32951/1/TFEV20.pdf

Image de titre: NEAR installé sur l’UT4, le télescope étant incliné à basse altitude; crédit ESO/ NEAR Collaboration

Image ci-dessous: détail du coronographe NEAR, de type AGPM montrant les cannelures annulaires de sous longueur d’onde (“subwavelength grating”), dispositif anti-réflexion qui réduit l’image fantôme optique de l’étoile cachée:

 

Image ci-dessous: de la Terre à Alpha Centauri; attention les mesures sur l’axe sont logarithmiques.

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