On dit souvent que les Sumériens ont inventé le calendrier. Je dirais plutôt qu’ils ont été les premiers à écrire à propos du calendrier que nous utilisons tous aujourd’hui et qu’ils nous en ont transmis des éléments secondaires, importants certes mais non essentiels.
NB: cet article a été écrit à l’occasion de la conférence que je donne demain samedi 28 octobre (17h00, salle de spectacle du collège de Môtiers) dans le cadre de la célébration du changement d’heure. Une telle célébration est organisée tous les six mois par la ville horlogère de Fleurier (commune du Val-de-Travers).
Sur Mars on sera soumis comme sur Terre à des contraintes locales, déterminantes pour le choix des repères temporels mais, en plus, on ne pourra s’abstraire d’autres contraintes résultant de notre histoire.
Sur Terre, il est évident que l’année solaire, le jour et la nuit, le midi et les mois lunaires sont des concepts universels car ils résultent d’observations qu’on ne peut pas ne pas faire.
Le jour a été, dès l’apparition de la vie en surface de la Terre, une évidence biologique pour tout être vivant. Le demi-jour (irradiance solaire croissante puis décroissante) s’impose presque aussi fortement puisque chaque être vivant ressent le réchauffement puis le refroidissement de son environnement au cours de la journée et lie bien évidemment cette évolution au parcours du soleil dans le ciel.
Le mois, venant de l’observation du cycle des changements apparents de la Lune est sans doute autant que le jour, l’un des plus anciens repères de temps. La notion de mois existe dans toutes les cultures de la Terre quelles que soient leurs origines. Ainsi, le terme mois = Lune se retrouve dans toutes les langues indo-européennes et remonte donc à l’origine commune de ces langues ; les Mayas comme les Japonais, les peuples du Moyen-orient ou les Européens ont tous eu un mois lunaire.
L’année solaire était un concept presqu’autant universel mais son évidence a manqué à quelques populations bénéficiant d’un climat tropical, sec ou humide, trop égal. Dans les régions tempérées l’évidence s’imposa très tôt (Stonehenge) et s’accompagna de la perception des saisons avec reconnaissance des solstices et des équinoxes rythmant les années en quatre parties, un peu en décalage avec les cycles lunaires. Le problème majeur qui agita le monde des observateurs du ciel pendant des millénaires fut celui de la réconciliation de la durée de l’année lunaire (28 jours x 12) avec celle de l’année solaire (360 jours + 5). On a fini par généraliser l’année solaire mais pour certaines cultures archaïques qui ont conservé le mois lunaire comme référentiel, le problème n’est toujours pas résolu.
Pour les subdivisions du mois, de la nuit et du jour ou du demi-jour on n’est soumis à aucune contrainte, ce qui a permis quelques fantaisies (comme le calendrier des anciens Romains ou celui des révolutionnaires français). Le choix de 7 jours pour une semaine est arbitraire à l’intérieur de la contrainte (ou de la facilité) de choisir un multiple contenu exactement dans la durée d’un mois lunaire (on aurait pu choisir une unité de 14 jours ou pas de subdivision autre que le jour). Les choix d’un douzième pour l’heure par rapport au demi-jour de même que le choix de 60 unités comme subdivision de l’heure ont bien été faits par les Sumériens car ils avaient un système de numérisation duodécimal ou sexagésimale (ce qui revient au même). Comme ces bases sont aussi physiques (on compte sur les phalanges de ses doigts et on constate le nombre de cycles lunaires sur une année) on peut imaginer que les mêmes subdivisions aient pu exister ailleurs et aussi avant (même si les autres cultures, n’ayant pas imaginé l’écriture avant les Sumériens, n’ont pu manifester leur identité de vue en même temps).
Sur Mars, les repères fondamentaux sont différents. La planète effectue une révolution autour du Soleil en 669 « sols » (soit 688 « jours ») et il n’y a pas de Lune ! On pourrait donc imaginer des repères différents. Naturellement ceux qui s’imposeront dans la vie locale sont le « sol » (jour de 24h39), le midi, l’année solaire et les quatre saisons marquées par les équinoxes et les solstices. Cette base étant posée, plusieurs faits devront être pris en compte : (1) les Martiens seront des êtres humains venus de la Terre ; (2) ils « fonctionneront » avec des équipements sophistiqués fabriqués sur Terre ; (3) leurs premiers partenaires resteront pendant très longtemps les Terriens. Leurs référentiels devront donc être doubles, locaux d’une part, pour toutes les activités à mener en surface de la planète hôte et universels d’autre part, pour toutes relations avec la Terre (ou autres lieux dans l’espace) et tout suivi historique (personnel ou civilisationnel). Autrement dit, tout Martien utilisera un décompte terrestre de son âge biologique (il n’y aurait aucun intérêt et aucun sens à adopter un décompte martien) ; tout événement à mémoriser, même purement martien, le sera selon le référentiel des années terrestres décomptées depuis la naissance théorique de Jésus-Christ ; toute machine dont le fonctionnement ne sera pas contraint par la durée du jour martien, utilisera comme base de calcul du temps la seconde terrestre*. Cette dernière est la seule unité de mesure vraiment universelle maintenant qu’elle a été déconnectée de la vitesse de rotation de la Terre.
*9’192’631’770 périodes de radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins F3 et F4 de l’état fondamental 6S1/2 de l’atome de césium 133, à 0°Kelvin.
Par contre toute opération se situant dans un cadre temporel martien (sol, année, saison) devra être vue et suivie dans le cadre d’un référentiel martien. La journée martienne sera divisée en 24 heures martiennes (1,0275% de l’heure terrestre) et pour faciliter les repérages, les quatre saisons seront divisées chacune en trois mois (on pourrait choisir plus mais cela ne présenterait aucun intérêt et on voudra rester « simple » en recherchant l’analogie avec le système terrestre). Cela sera d’autant plus nécessaire que l’année martienne n’est pas exactement le double d’une année terrestre et que la durée des saisons est inégale compte tenu d’une orbite planétaire très elliptiques ce qui implique une vitesse nettement différente au périhélie et à l’aphélie (de 26 à 21 km/s). A l’intérieur de chaque saison (d’un solstice à une équinoxe et d’une équinoxe à un solstice), chaque mois balaiera donc le même secteur du ciel (1/3 de 90°) mais dans un laps de jours nettement inférieur au périhélie qu’à l’aphélie (mois de 44 à 66 jours).
Cette double contrainte imposera des systèmes de mesure du temps du type « dual » comme celui conçu par Vaucher-Manufacture-Fleurier, soit deux cadrans reliés entre eux selon les rapports entre les deux référentiels. Bien entendu il y aura aussi des fuseaux horaires sur Mars (en fait ils existent déjà* et sont utilisées par les missions robotiques ou les observateurs terrestres), 12 à l’Est et 12 à l’Ouest du Méridien puisqu’on choisira une heure martienne égale à 1/24ème du jour martien, et on devra changer d’heure en passant de l’un à l’autre. *NB : le Méridien a été fixé par rapport à un cratère sans aucun intérêt (« Airy-0 », en bordure oriental du plateau « Meridiani-Planum »). Il est totalement arbitraire mais a le mérite d’être accepté par « tout le monde ».
Enfin, il est possible que d’autres événements périodiques remarquables soient retenus et utilisés comme repères additionnels. Je pense au pic d’activité solaire tous les onze ans qui sera redouté comme une mauvaise période en raison de la plus grande probabilité des éruptions solaires (cela impliquera qu’on prévoie moins de missions lointaines ou de constructions à l’extérieur); aux dates d’arrivée des vaisseaux terrestres tous les 26 mois (ils seront porteurs de nouveaux visages et de nouveaux produits, tant attendus, ils emporteront aussi connaissances et amis) ; aux quinze sols annuels pendant lesquels la Terre et Mars seront en conjonction et donc les communications directes impossibles (qui pourront être considérés comme des vacances).
La structuration du temps martien est déjà une appropriation par l’homme. Petit à petit on prépare notre arrivée sur Mars et cette réflexion déjà indispensable pour nos machines, y contribue.
Image à la Une: horloge “dual-time” réalisée par Vaucher-Manufacture-Fleurier, avec ma participation (conseil). Les deux mécanismes sont reliés par un rapport 1,0275 correspondant au rapport entre journée de 24h00 et “sol” de 24h39. Dimensions: 80 cm x 40 cm.