Socialisation ! Comment les hommes vivront entre eux sur Mars

Comme vous vous en doutez, j’anticipe que « demain » des hommes vivront sur Mars ; « quelques-uns » d’abord puis « beaucoup » ensuite. Ils seront en interactions pour de multiples raisons et à de multiples niveaux. Il est évidemment intéressant de réfléchir à l’aspect psychologique de ces interactions, ne serait-ce que pour évaluer la faisabilité du projet de vivre sur Mars, mais c’est également difficile car la problématique a de multiples dimensions.

NB : Je ne suis pas psychologue et ne prétends pas me substituer aux spécialistes qui ont étudié le sujet mais je donne quelques pistes fondées sur ma connaissance de l’environnement martien et des conditions matérielles dont on devrait s’accommoder.

La dimension temporelle d’abord qui implique des nombres d’individus différents selon les stades successifs du développement de la colonisation humaine qui à son tour implique des technologies différentes puisqu’on ne vivra pas de la même manière lorsque la colonie ne comptera qu’une poignée de gens « dans la force de l’âge » dans une seule implantation et lorsqu’ils seront des milliers, de toutes générations, dans de multiples implantations ; d’autant qu’avec le temps ces technologies évolueront.

La dimension professionnelle ensuite. Au « début », l’obligation de la plupart des astronautes sera de faire en sorte qu’eux-mêmes et leurs compagnons survivent pendant tout un cycle synodique (26 mois !) et de préparer la base pour la mission suivante avec la perspective de permettre que les activités se diversifient et que leurs successeurs deviennent des résidents de plus longue durée et soient de plus en plus nombreux. Avec le développement de la colonie ils pourront de plus en plus vaquer à d’autres occupations, moins indispensables/vitales. Par ailleurs autant il sera nécessaire que les premières personnes envoyées sur Mars soit extrêmement compétentes dans leurs domaines respectifs, autant ceux qui arriveront après le « lancement » de la Colonie, ceux qui resteront sur place après avoir fourni l’effort ayant justifié leur envoi et les enfants des uns et des autres, pourront continuer leur vie sur Mars sans avoir à justifier de la même exigence. Comment tout cela pourra-t-il être organisé de façon à ce que les contraintes soient acceptables et que la satisfaction que les uns et les autres obtiendront de leur activité ou de leur inactivité, sur le plan individuel et collectif, soit suffisamment stimulante pour justifier les efforts nécessaires de ceux qui seront en capacité de travailler ? A ce stade on peut simplement dire que les organisateurs des premières missions mais aussi du développement ultérieur, devront être particulièrement attentifs et intervenir par l’intermédiaire de psychologues professionnels et/ou par des mesures économiques et/ou fonctionnelles, en cas de besoin.

La dimension affective ensuite. Sur Mars, il y aura des hommes et des femmes, avec leur « caractère » autoritaire ou passif et leur libido plus ou moins vive, leur tolérance ou leur intolérance aux autres à des degrés divers, leur stabilité d’humeur ou leurs sautes d’humeur occasionnelles, et un jour des enfants et des personnes âgées, des actifs et des inactifs. Compte tenu du contexte, comment pourront ils vivre leurs relations ? Cela variera, encore une fois, avec le stade de développement de la Colonie. Ces relations étant très différentes au sein d’une petite équipe de quelques personnes, au sein d’un premier établissement d’un millier d’habitants puis au sein d’une colonie étendue comprenant plus que quelques dizaines de milliers d’habitants répartis dans plusieurs établissements autour de la planète.

La dimension épidémiologique enfin. Les espaces confinés étant favorables à la diffusion rapide de tous les microbes et de tous les virus, imposeront des règles strictes pour prévenir les épidémies. Cela suppose l’acceptation de contraintes prophylactiques indispensables mais contraignantes dans la vie de tous les jours et sur la durée.

Et au travers de toutes ces dimensions, celle des relations avec la Terre lointaine mais cependant très présente dans l’esprit des « Martiens » car tout à la fois « pays d’origine » inaccessible et partenaire indispensable pendant très longtemps. Voyons les problèmes de plus près.

On peut distinguer plusieurs situations : la première mission habitée, les trois ou quatre suivantes, un environnement de quelques 20 personnes, de cent personnes, de 500 personnes, de plus de mille personnes, de plus de 10.000 personnes, de plusieurs dizaines de milliers de personnes. On peut trouver sur Terre des analogues à ces situations : les missions d’exploration de l’Antarctique, pour les premiers vols habités et séjours sur Mars, les missions dans les bases construites ensuite sur ce continent ou sur les Iles Kerguelen, la vie dans des îles isolées comme l’Île de Pâques (3000 habitants avant l’arrivée des Européens) ou dans les Iles Falkland (3000 habitants également) avant la guerre avec l’Argentine (mais depuis, l’isolement est bien moindre), dans une certaine mesure la Nouvelle Zélande ou autres terres lointaines (par rapport à l’Europe, évidemment mais d’une manière générale aussi car les terres les plus proches sont à plusieurs heures d’avion). Bien entendu le degré d’isolement dans une base martienne sera d’un ordre de grandeur plus « sévère » que dans ces cas terrestres.

Dans ces diverses situations, il y aura plusieurs constantes dues à la spécificité de Mars :

Deux constantes dues à l’éloignement: les communications avec la Terre et les transports de et vers la Terre. Mais l’importance de ces constantes ne seront pas les mêmes dans un environnement de 20 personnes et dans celui d’une colonie de plus de 10.000 habitants. Un petit établissement reposera très lourdement sur la Terre, une colonie importante aura développé ses propres ressources, ses premières machines de transformation et de plus en plus ses capteurs d’énergie (ce sera une priorité) ou du moins de tous ses éléments qui peuvent être produits sur Mars en privilégiant le plus lourd. Cela comptera psychologiquement puisque cela servira à consolider la confiance dans ses capacités et à réduire la peur. Il y aura aussi des constantes dues à l’environnement : la dangerosité de ce qu’on pourra appeler « l’extérieur » (c’est-à-dire tout ce qui sera en dehors des volumes viabilisés) et qui aura un sens particulier puisqu’on devra s’équiper pour l’affronter et que sans précaution il sera irrémédiablement mortel ; l’absence totale de végétation et d’eau liquide donc la pauvreté des couleurs, étant entendu qu’il y a quand même des couleurs dans le désert et que sur terre, les populations qui y vivent savent les voir et apprécier les oasis (que seront sur Mars les bulles viabilisées, leurs serres et leurs plantations).

A côté de cela il y aura le facteur « nombre » qui jouera beaucoup mais qui évoluera avec le temps. Dans une colonie de 100.000 habitants personne ne se posera la question de la solitude comprise comme l’impossibilité ou la difficulté de se trouver un partenaire affectif. Ce ne sera pas le cas dans les tout petits groupes. C’est au niveau des premières missions que le choix des « hommes » sera difficile. 30 mois d’éloignement de la Terre, c’est long et c’est incompressible ! Certes la motivation des premiers hommes sur Mars sera forte. Ils seront missionnés en fonction de leur compétence et pour un géologue spécialiste de la planète, aller sur Mars, ce sera un rêve devenu réalité, une satisfaction de presque tous les instants. Mais les autres « instants » ? Il faut bien voir que les membres de l’équipage seront des adultes, probablement entre 35 et 50 ans. Il faut qu’ils soient en parfaites conditions physiques mais aussi qu’ils aient fait leurs preuves sur Terre dans leur spécialité. On doit avoir totalement confiance en eux, du pilote au mécanicien en passant par l’« homme à tout faire » indispensable, le bricoleur de génie capable de transformer presque n’importe quel objet en celui qui manque et qui est essentiel ou de faire repartir un moteur quasiment mort, sans oublier le médecin, l’exobiologiste et…le géologue ! Donc il devra y avoir des hommes et…des femmes. A mon avis, autant de femmes que d’hommes et de préférence des couples qui auront déjà prouvé la profondeur de leur attachement réciproque et leur stabilité. Cela existe, ce sera au psychologue de les trouver. La ressource est large mais il ne faudra pas se tromper (et malheureusement il est inévitable qu’il y ait quelques erreurs !). Inutile de dire que pendant les premières missions il ne sera pas question d’avoir d’enfant(s). Ils ne supporteraient pas les radiations pendant le voyage de retour sur Terre et leur protection sur Mars, dans les conditions des premières missions, ne seront pas très bonne, à moins de pouvoir aménager une (grande) caverne. Mais de toute façon les ressources humaines seront très limitées et les mères n’auraient que très peu de temps pour s’en occuper. La suite sera évidemment très différente puisque le nombre augmentant, on peut concevoir des personnes pour s’occuper des enfants et aussi aménager des conditions de logement adéquates pour leur permettre de vivre aux côtés de leurs parents sans risques sanitaires inacceptables.

Pour le reste, sentiment d’éloignement, d’isolement, peur, ennui et autres, je laisse certains à leurs fantasmes et à leurs craintes. Personnellement je ne m’ennuie jamais, même en ces temps de confinement pour cause de coronavirus et je pense qu’il en sera de même pour les pionniers martiens qui auront une réalité passionnante à étudier et à affronter, et à leur disposition toutes les ressources que pourra leur communiquer la Terre par les ondes. La peur, elle, existera au moment du décollage, à l’atterrissage, au re-décollage et lors d’accidents sur Mars mais ce ne devrait pas être un sentiment général au long de la mission. Reste la nostalgie « du pays ». Tout expatrié la ressent et d’autant plus qu’il ne peut revenir facilement. J’ai moi-même travaillé et vécu dans des pays lointains (Corée, Uruguay) et je ne peux pas dire que je n’ai pas ressenti à certains moments la force des souvenirs et l’absence des amis ou des parents. Mais qu’on ne me dise pas que ces sentiments sont insurmontables. Ce sera aux composants du groupe, évidemment formés psychologiquement avant le départ, de faire en sorte par leur compréhension de l’autre, le respect de son intimité et son accompagnement lorsqu’il en aura besoin, que ces moments de nostalgie soient sublimés et dominés. De toute façon on reviendra de Mars…du moins si on veut en revenir.

Ma conclusion; vous l’avez compris, il sera difficile mais pas impossible psychologiquement d’entreprendre l’aventure. Alors, allons-y !

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Index L’appel de Mars 20 04 03