A la recherche des traces d’une première étincelle de Vie

Il y a quelques années, je considérais la Vie comme « un processus de transformation de la matière par des organismes puisant leur énergie et leurs éléments constituants dans leur environnement, pour se reproduire presque à l’identique mais pas tout à fait ce qui leur permet de s’adapter aux conditions extérieures et donc d’évoluer ». Cela recouvre effectivement un très large aspect du phénomène tel que décrit par les biologistes comme Nick Lane, mais il y manque un « petit quelque chose ».

Je pensais bien en incluant le mot « processus » qu’il fallait exprimer une dynamique mais c’était un peu insuffisant et je réalise aujourd’hui, après la lecture de « L’ordre étrange des choses » d’Antonio Damasio, qu’au-delà du lancement du processus, il faut évoquer sa perpétuation inhérente à sa constitution, on pourrait dire son « anima » et qu’il faut donc qualifier le processus d’« homéostasique ».

Cet enrichissement de la définition fait progresser la réflexion mais ne permet cependant toujours pas de comprendre comment s’est produit le saut entre l’inanimé et le vivant ; il complique même plutôt la compréhension du passage que l’on peut toujours voir comme l’aboutissement de la réunion des éléments concourants à la vie mais qui n’explique pas comment s’est fait l’aboutissement, c’est à dire l’animation. Comme souvent en science, cette évolution des données force à se poser la question un peu différemment. Voici donc ce qu’on peut dire aujourd’hui :

Il n’est pas possible d’envisager une volonté aux organismes procaryotiques les plus primitifs à l’origine du processus (bactéries ou archées), dénués de cerveau et même de système nerveux, et cependant il faut bien convenir qu’ils réagissent aux stimuli extérieurs, à la pression, à la température, à l’acidité, à la présence d’éléments pour renouveler leur matière propre et leur énergie et à la présence des organismes concurrents ou semblables. Ces perceptions et réactions aux stimuli extérieurs sont certes physiques ou chimiques, non nerveuses, mais elles « sont », on peut les constater. Nous en avons d’ailleurs nous-mêmes, être évolués dotés d’un système nerveux, conservé le principe pour certaines de nos « émotions ».

Plus extraordinaire, ces organismes primitifs se comportent, sous la pulsion de l’homéostasie, comme s’ils voulaient étendre leur contrôle sur leur environnement temporel futur ainsi que sur leur environnement spatial en se reproduisant avec l’objectif d’obtenir un mieux-être pour eux-mêmes et un avantage collectif sur leurs concurrents. Cette projection spatiale et temporelle « remet à neuf » à chaque génération le processus dans un contexte éventuellement légèrement différent auquel ils peuvent s’adapter selon les principes darwiniens. Elle donne au processus une sorte de « quatrième dimension » mais au-delà de la réunion d’éléments matériels essentiels à la fonction, les questions posées sont de savoir comment les éléments prébiotiques réunis dans une cellule ont pu l’animer et, pour commencer, comment ils ont pu se trouver réunis dans une cellule.

Ces organismes procaryotiques sont apparus sur Terre, tout « armés » il y a quelques 3,8 milliards d’années. Les circonstances environnementales sur Terre devaient être tout à fait particulières pour permettre de passer de l’inanimé au vivant. Tellement particulières qu’il n’y a qu’une seule souche de la Vie, notre « Last Universal Common Ancestor » (« LUCA ») qui ait eu une descendance. Pour comprendre « l’allumage » du processus et l’introduction de l’homéostasie, il nous faudrait donc remonter à cette époque, pour observer les molécules complexes qui assemblées et fonctionnant ensemble donneront la Vie, avant que le déclic se fasse, juste avant l’assemblage. Il nous faudrait remonter à une époque très ancienne, vers 4,2 à 3,8 milliards d’années, lorsque la température en surface de la Terre, constituée il y a 4,56 milliards d’années, était tombée à des niveaux acceptables, que la roche était devenue solide et l’eau liquide, en quelque sorte après que les éléments se soient séparés, et observer l’évolution dans le réacteur biotique planétaire. Il nous faudrait observer les premières cellules se former à partir de phospholipides, les premiers acides nucléiques, les premiers brins d’ARN, les premières protéines, les premières enzymes, les premières molécules d’ATP, cette monnaie énergétique qu’emploient tous les êtres vivants depuis l’aube des temps…

Il faut imaginer un milieu liquide très particulier (à l’intérieur et autour de cheminées géothermales, dans des flaques autour de sources chaudes, dans une zone particulière de balancement des marées découvrant puis recouvrant des sources chaudes ?) non seulement au point de vue température, pH, pression, richesse minérale et richesse organique mais aussi avec une profusion de molécules prébiotiques de plus en plus complexes en suspension et en contact possible. Il faut imaginer dans ce milieu un très long processus au travers de dizaines de millions d’années avec sans doute en même temps une lente évolution du milieu favorable au processus de complexification et d’enrichissement, d’inventions d’assemblages et d’échecs et un jour, dans ce milieu très riche et relativement homogène, la formation d’une cellule, un intérieur avec un extérieur, et à l’intérieur, «un autre jour », des éléments de la première vie ; d’abord quelques éléments, puis de plus en plus de ces éléments et en fin de compte tous les composants nécessaires à la perpétuation et la reproduction animées réunis ensemble par le « désir » de se préserver, de fonctionner ensemble et de continuer à prospérer.

Le temps a passé. Sur Terre, l’érosion a fait son œuvre, le rouleau compresseur de la tectonique des plaques a (presque) tout broyé, tout recomposé, tout transformé, tout métamorphisé dans la pression et la chaleur intenses du manteau de la planète, l’eau a coulé et a hydraté (presque) toute roche qui n’avait pas été reconditionnée par la tectonique des plaques, la Vie, merveilleuse machine à recycler, a réutilisé toutes les matières organiques qu’elle a pu trouver jusque dans les endroits les plus inaccessibles.

Trouverons nous jamais la clé de notre Début sur les quelques petits hectares de la surface terrestre sur lesquels subsistent ces traces très anciennes ?

Mars pourrait peut-être nous offrir cette clé moins difficilement puisque les conditions environnementales étaient très semblables à l’origine sur les deux planètes et que c’est précisément à l’époque où la vie a commencé sur Terre que l’évolution s’y est pratiquement arrêtée. C’est cela notre chance, disposer à une distance atteignable par nos fusées d’une planète assez évoluée mais « arrêtée sur image », sur laquelle ni la tectonique des plaques, ni l’érosion n’ont fonctionné pour détruire l’image. Il faudrait que l’image se soit arrêtée juste avant la vie, juste avant que la vie ait gâché l’image de la naissance de la vie. Est-ce possible ? Le temps n’a-t-il pas fait son œuvre d’une autre manière pour faire disparaître ces délicats vestiges ? Quid de l’effet des radiations solaires et galactiques sur les molécules organiques ? Quid du lent mais infiniment long passage du temps ? Les embryons de vie ont pu subsister enfouis mais au contact d’éléments chimiques qui sur une si longue durée les ont corrompus. Pourrons nous interpréter les restes chimiques d’un premier enrichissement biotique en dépit de ces corruptions ? Nos géologues et taphonomistes seront-ils assez perspicaces et inventifs pour discerner puis interpréter correctement les traces ?

A l’aube des temps historiques, Gilgamesh est parti de son royaume d’Ourouk (en Basse-Mésopotamie) pour aller jusque dans les montagnes de l’Ourartou (actuelle Arménie) rechercher l’herbe de vie. Aujourd’hui dans un contexte transformé par l’histoire et le progrès technologique nous partons vers Mars avec le même espoir, celui de trouver non pas une herbe mais une explication (nous avons évolué !). Gilgamesh a trouvé l’herbe de vie mais le Serpent l’a volée. Il nous suffirait de trouver parmi toutes les roches martiennes très anciennes (des dizaines de millions de km2), un seul morceau de boue fertile fossilisée, de l’analyser et de la comprendre. Mais aura-t-elle supporté le passage du temps ou ce dernier nous volera-t-il l’explication ardemment désirée ?

Image à la Une: Les plaques que l’on voit et notamment la “grille” de petits polygones ( de 1 à 2 cm) en  surface de la roche sur la droite de cette mosaïque de photos de la caméra Mastcam de Curiosity prises dans le cratère Gale (“Squidd Cove” dans “Murray formation”), doivent résulter de craquelures dans de la boue déposée au fond d’un lac et ayant subi ensuite un processus de dessiccation. Elles datent de plus de 3 milliards d’années. C’est peut-être moins ancien que ce dont nous aurions besoin pour nos recherches pré-biotiques mais nous pourrons trouver facilement des roches hydratées de 4,2 à 3,8 milliards d’années en d’autres endroits de la planète. Cette période (le “Phyllosien” de Jean-Pierre Bibring) était la plus humide de Mars et les traces vues de loin datant de cette période sont très nombreuses. Maintenant Mars peut avoir évolué différemment de la Terre et des roches martiennes de 3 milliards d’années pourraient aussi nous apporter des informations prébiotiques. Crédit NASA/JPL-Caltech/MSSS, 17 janvier 2017. 

Lectures:

“L’ordre étrange des choses”, par Antonio Damasio, Professeur de neuro-sciences, de neurologie, de psychologie et de philosophie à l’Uni. de Californie, Los Angeles; chez Odile Jacob, 2018.

“The vital question”, par Nick Lane, Professeur de Biochimie dans le département de “Genetics, Evolution and Environment” de l’University College, Londres; chez Profile Books, 2015.

“Life: past, present and future”, par Kenneth H. Nealson and Pamela G. Conrad, publié par The Royal Society en 1999.

“Mars Planète Bleue”, par Jean-Pierre Bibring, astrophysicien à l’Institut d’Astrophysique Spatiale de Paris, chez Odile Jacob, 2009.

“L’unique Terre habitée?” par André Maeder, astrophysicien à l’Université de Genève, éditions Favre, 2012.

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