Le troisième catalogue de données de la mission Gaia de l’ESA nous donne une cartographie plus précise que jamais de l’espace qui nous entoure

Le 13 juin 2022, Gaia a publié la seconde partie de la troisième livraison (« release ») de son « catalogue » de données, la « DR3 »*. C’est une nouvelle avancée, considérable, dans la connaissance des astres qui nous entourent. Nous disposons maintenant du plus gros catalogue d’objets spatiaux jamais réalisé et, cerise sur le gâteau, de la vitesse-radiale d’un très grand nombre d’entre eux. Cela nous permet d’avoir non seulement une carte du ciel, précise comme jamais, pour deux milliards d’objets, quasars, galaxies, étoiles, nuages de gaz et de poussière, astéroïdes de notre système (156.000 répertoriés), mais aussi la vitesse-radiale de 33 millions d’entre eux. Cette dernière information nous donne la direction, le sens du déplacement (venant vers nous ou s’éloignant de nous) et la vitesse du déplacement, une vraie carte en quatre dimensions (puisque le temps est pris en compte dans la vitesse).

*DR = Data Release.

En dehors de cette carte, la DR3 de Gaia nous donne la plus grande collection de données astrophysiques sur les étoiles de la Voie-lactée jamais réalisée ; le plus grand relevé de spectroscopie à basse résolution (220 millions) ou haute résolution (1 million) jamais réalisé (qui peuvent être utilisés pour déterminer avec précision les luminosités, les températures, les masses et les compositions chimiques des astres observés) ; l’étude la plus précise de nos astéroïdes, combinant leurs compositions avec leurs orbites ; le plus grand recensement jamais effectué d’étoiles-variables (10 millions) ; une étude des étoiles-binaires (813.000), qui surpasse tous les travaux sur ces étoiles réalisés durant les deux derniers siècles ; un relevé photométrique de la Galaxie d’Andromède. NB: pour comparaison, nous ne pouvons voir à l’œil nu dans le ciel qu’environ 3.000 étoiles.

Les données à la base de ces informations ont été collectées entre le 25 juillet 2014 et le 28 mai 2017, donc 34 mois de collectes pour la DR3 (y compris la phase préliminaire EDR3 -“E” pour “Early”), contre 22 mois pour la DR2 et 14 mois pour la DR1, toujours à partie du 25 juillet 2014. Le nombre de ces données est extrêmement élevé (il faut compter en térabits) et il faut beaucoup de temps pour les traiter. Par ailleurs la pandémie de covid a très sensiblement retardé le travail.

Tout a commencé en 1993 quand Lennart Lindegren (Université de Lund, Suède) et Michael Perryman (ESA/University College Dublin) ont voulu donner une suite à l’observatoire spatial Hipparcos en orbite depuis 1989 et qui arrivait cette année-là en fin de mission. Il avait relevé par astrométrie la position de 118.000 étoiles proches avec une précision de 0,001 secondes d’arc (cent fois mieux que précédemment) et de 2,54 millions d’étoiles jusqu’à la magnitude-apparente 11* avec une précision de 20 millisecondes d’arc. Leur projet, la mission GAIA (à l’origine « Global Astrometric Interferometer for Astrophysics » puis simplement « Gaia », après avoir fait “sauter” “interferometer”), était beaucoup plus ambitieux. Il s’agissait de dresser une carte en trois dimensions de notre environnement sur une population d’étoiles appartenant à une gamme de luminosité beaucoup plus étendue, allant jusqu’à la magnitude-apparente 20 donc couvrant une population stellaire de la Galaxie beaucoup plus importante (1% de ses quelques 200 milliards d’étoiles).

*L’échelle des magnitudes va de -26,7 pour le Soleil à 6,5 pour les astres discernables à l’œil nu et 30 pour les astres les plus éloignés. Hipparcos avait identifié 99% des étoiles allant jusqu’à 11.

Gaia comme tout grand projet d’exploration spatiale a connu des vicissitudes. Il a été modifié en cours de conception pour des raisons budgétaire et d’évolution technologique (notamment abandon de l’interférométrie…sans que son beau nom soit changé). Sur recommandation du « SSAC » (Comité du conseil scientifique spatial) de l’ESA, il a finalement été sélectionné en 2000 par le « SPC » (Science Program Committee) composé des représentants des Etats membres (qui financent !) comme « pierre angulaire » n°6 de son programme « Horizon 2000+ ». Il a été ensuite construit par EADS Astrium* (aujourd’hui une composante d’Airbus Defense and Space) pour un budget de 740 millions d’euros, lancé en décembre 2013 et est devenu opérationnel en mai 2014.

*avec Mersen Boostec (France) pour la structure du télescope et E2v (Grande Bretagne) pour la fourniture des CCD (« Charge Coupled Devices », dispositifs à transfert de charges, utilisés pour lire les signaux lumineux, comme dans les appareils photos digitaux).

Le 25 Juillet 2014 est la date de départ de sa mission scientifique de 5 ans mais avec suffisamment de consommables pour fonctionner 9 ans. Elle a été prolongée une première fois d’une année jusqu’en 2020 puis une nouvelle fois jusqu’à fin 2024 puisqu’on estime aujourd’hui qu’on aura toujours suffisamment d’azote liquide pour refroidir le satellite jusqu’en Novembre 2024. Quatre publications de données ont été faites (en 2016, DR1 ; en 2018, DR2 ; en décembre 2020, EDR3, en juin 2022, DR3) ; deux autres doivent avoir lieu. Ces données sont mises à la disposition des chercheurs du monde entier qui peuvent les exploiter gratuitement pour en tirer une meilleure compréhension de notre environnement et de notre Galaxie.

En tant que satellite, Gaia a plusieurs particularités qui lui permettent d’être le moins perturbé possible par son environnement, il le faut pour la précision recherchée des mesures. Il devait d’abord être extrêmement rigide et léger et cela a déterminé le choix de la matière qui constitue sa structure ou ses miroirs (carbure de silicium). Il évolue dans un environnement à l’écart de tout trouble qui pourrait résulter du voisinage de la Terre (lumineux, thermique, radiatif), autour du point de Lagrange « L2 », en opposition au Soleil par rapport à nous, à 1,5 million de km. Son orbite de 380.000 km autour de L2, parcourue en 6 mois, est exposée au Soleil en permanence selon un éclairage constant. Son bouclier thermique de 10 mètres de diamètre constitue son pare-Soleil, l’objectif de ses télescopes est donc en permanence protégé de la lumière solaire et sa température est stable. Mais comme le Soleil doit aussi être source d’énergie, il est partiellement revêtu de panneaux solaires, fournissant une puissance de 2 kW

Gaia a embarqué plusieurs instruments qui lui donnent toutes les capacités nécessaires pour la détermination de la position, de la distance, du mouvement et autres caractéristiques (spectre lumineux) de tous les objets célestes dont il reçoit la lumière.

La lumière est collectée par deux télescopes rectangulaires de 1,45 m sur 0,50 m avec un écart entre leur ligne de visée de 106,5 degrés. La mesure précise des positions relatives d’objets observés simultanément dans deux directions séparées par un angle obtus, permet d’éviter les erreurs qui pourraient résulter de références trop proches. Les mouvements de l’observatoire sont complexes : Il effectue une rotation sur lui-même en 6 heures (1 degré d’angle par minute de temps) ce qui permet qu’une observation effectuée par le premier télescope soit répétée par le second 106 minutes et 30 secondes plus tard. De plus l’axe de rotation de l’observatoire est incliné de 45° par rapport à la direction du Soleil et il décrit un cercle de précession en 63,12 jours autour de cette direction. La combinaison des mouvements du satellite avec la rotation du point L2 autour du Soleil permet de couvrir la totalité de la voûte céleste. Finalement chaque objet a été vu au minimum 60 fois au cours des 5 ans.

Les signaux lumineux reçus par chacun des télescopes forment des images se superposant sur un plan focal commun de 100 cm composé de 106 capteurs CCD de 4500 X 1966 pixels, soit un total de 1 giga-pixels, organisés en 16 colonnes. Trois traitements sont donnés à ces signaux grâce à un jeu de 6 miroirs, un réseau de diffraction, deux prismes et différents types de CCD.

Le traitement par un instrument astrométrique (« Astrometric Field »), comme celui d’Hipparcos mais beaucoup plus performant (capacité de discernement encore 100 fois supérieure), donne la localisation de l’objet. Il s’agit de sa position sur la sphère céleste c’est-à-dire de son « ascension droite » (équivalent de la longitude) et de sa « déclinaison » (équivalent de la latitude). A cela s’ajoute la distance donnée par la parallaxe (angle entre deux visées à partir des points extrêmes de l’orbite d’observation) et le « mouvement propre » (déplacement apparent) des astres les plus proches. La localisation de l’observatoire dans l’espace, sans aucune perturbation, et la puissance des télescopes ainsi que la capacité des capteurs CCD donnera en fin de mission une précision de 24 micro-arcs-seconde (µas) pour des sources de magnitude-apparente 15 (et jusqu’à 7 µas pour les étoiles proches).

Le traitement par les instruments spectrophotométriques couplant un prisme pour la lumière bleue, « BP » (pour « Blue Photometer ») dans les longueurs d’onde allant de 330 à 680 nm et un prisme pour la lumière rouge (RP) allant de 640 à 1050 nm, donne pour chaque objet un spectre qui permet de mesurer l’intensité lumineuse, la température, la gravité, l’âge et la composition chimique.

La dispersion de la lumière par un spectromètre, « RVS » (pour « Radial Velocity Spectrometer »), utilisant l’effet Doppler-Fizeau, permet de mesurer la vitesse radiale (éloignement ou rapprochement en profondeur, dans l’axe de visée) des 150 millions d’objets les plus lumineux et donc, conjuguée avec l’astrométrie, permettra de connaître la dynamique de la galaxie.

Les résultats sont spectaculaires. La DR1 donnait la position de 1,1 milliards d’objets, la DR2 publiée le 25 avril 2018 pour des observations allant du 25 juillet 2014 au 23 mai 2016, donnait la position de 1,7 milliards d’objets. Avec la DR3 utilisant les données collectées jusqu’au 28 mai 2017, nous avons atteints les 2 milliards d’objets. Cela représente des dizaines de milliards de données.

Ces chiffres énormes impliquent une difficulté évidente, celle du traitement de ces données. Quelques 100 téraoctets sont attendus. A noter que les deux premières colonnes de CCD constituent pour chaque télescope un « Sky Mapper » (« SM »), sélecteur qui permet d’effectuer une détection des sources lumineuses avant transmission aux autres cellules CCD. Un consortium de laboratoires, le « DPAC » (« Data Processing and Analysis Consortium »), véritable « quatrième instrument » (comme dit François Mignard, responsable Gaia pour la France), a développé des programmes très complexes pour les traiter avec des moyens informatiques très importants. Avec la publication de la DR1, de la DR2 puis de la DR3 on peut constater qu’il a pu faire face. Le nombre de pays impliqués est considérable : Autriche, Belgique, Croatie, République tchèque, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Italie, Pologne, Portugal, Slovénie, Espagne, Suède, Suisse, Pays-Bas, Royaume-Uni…plus quelques autres qui « participent » : Algérie, Brésil, Chili, Chine, Israël, États-Unis, et l’ESO. Face à l’espace et dans un cadre scientifique, les hommes sont souvent frêres.

Il y aura une DR4 pour la période allant jusqu’en 2020. Le catalogue final (DR5) pour couvrir les dix ans d’observations pourrait être publié en 2028. A chaque nouveau stade les mesures seront plus précises. Pour la suite, un “GaiaNIR” (Gaia Near Infra-Red) est envisagé.

Nous ne sommes pas encore capables de nous déplacer physiquement ou robotiquement dans l’espace au-delà de nos très proches astres voisins mais nos capacités en astronomie nous permettent de presque le faire virtuellement. Saluons la performance !

Illustration de titre : Mouvement des étoiles dans les 400.000 prochaines années.

Les étoiles sont en mouvement constant. Pour l’œil humain, ce mouvement – connu sous le nom de mouvement-propre – est imperceptible, mais Gaïa le mesure avec de plus en plus de précision. Les traits sur cette image montrent comment 40.000 étoiles, toutes situées à moins de 100 parsecs (326 années-lumière) du système solaire, se déplaceront dans le ciel au cours des 400.000 prochaines années. Ces mouvements propres ont été publiés dans le cadre de l’EDR3 en décembre 2020. Ils sont deux fois plus précis que les mouvements propres publiés dans le précédent DR. L’augmentation de la précision est due au fait que Gaia a maintenant mesuré les étoiles plus de fois et sur un intervalle de temps plus long. Cela représente évidemment une amélioration majeure.

Crédit : ESA/Gaia/DPAC; CC BY-SA 3.0 IGO. Acknowledgement: A. Brown, S. Jordan, T. Roegiers, X. Luri, E. Masana, T. Prusti and A. Moitinho.

Illustration ci-dessous : performances scientifiques attendues de Gaia à l’échelle de la Voie-lactée (1 kpc = 1 kiloparsec soit 3.261 années-lumière). En arrière-plan une photo du disque de la galaxie qui fait environ 25 kpc de long, telle que nous le voyons de la Terre, c’est-à-dire par la tranche. Crédit : Frédéric Arenou, Wikipedia commons

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur : Index L’appel de Mars 22 06 10

NB: cet article reprend des éléments de mon article du 14 juin 2018 sur Gaia (après la DR2). Il avait été revu par le Professeur François Mignard, responsable du SNO (Service National d’Observation) au sein de l’OSU (Observatoire des Sciences de l’Univers) du CNRS pour la participation française au DPAC (“quatrième instrument”, mentionné plus haut).