Nous pouvons répondre au défi posé par le financement du lancement d’une colonie sur Mars

En dépit de ce que beaucoup pensent, le financement d’une première implantation humaine sur Mars est possible. Voyons d’abord les besoins et le contexte.

Il faut envisager un investissement d’environ 50 milliards de dollars sur 20 ans, dont la majeure partie devra être dépensée au cours des 8 années précédant la phase d’installation proprement dite de la Colonie (donc 20 ans = 8 + 12); ces premières dépenses étant destinées à la finalisation et à la construction des transporteurs, à l’importation des premiers capteurs ou générateurs d’énergie, des équipements de chantiers, à la construction de l’astroport, à la construction des premières infrastructures (habitats et salles de travail ou de réunions viabilisées, serres, informatique et systèmes de communication), à l’importation des véhicules de transport planétaire et à la rémunération du personnel qualifié. Par ailleurs le coût d’un séjour avec transport aller et retour (30 mois) est estimé à environ 5* millions de dollars (après les premières missions d’installation). Le rapprochement des deux chiffres (50 milliards et 5 millions) montre clairement que l’amortissement des dépenses d’infrastructure (frais fixes) est exclu pendant une longue période de grâce que nous fixons par hypothèse à 20 ans. Cette durée est choisie parce qu’elle est compatible avec la durée de la vie humaine (il n’est guère possible de demander à qui que ce soit d’attendre plus de 30 ans (environ 8 + 20) un retour sur investissement) et parce qu’au bout de 6 séries de missions (chacune espacée de 26 mois en raison des contraintes de la mécanique céleste) dédiées à la construction d’une première base, on devrait disposer d’installations suffisantes pour commencer** une exploitation commerciale pouvant “traiter” une population d’un millier d’habitants (chiffre indicatif, vraisemblable compte tenu de nos moyens technologiques) dont un peu moins de la moitié, payants. Les revenus que dégagera la vente de résidence et de services à ces hôtes-payants de la Colonie ne pourra servir pendant cette période, qu’à payer les frais variables (le coût généré par leur présence et le fonctionnement de la base). Le problème se pose donc (1) de la possibilité d’absorption de l’amortissement des installations fixes après 30 ans (elle sera fonction en partie de l’importance des frais d’entretien), (2) de l’acceptabilité d’une longue période de grâce par les financiers, (3) des perspectives de capacités de paiement de dividendes par la suite (puisqu’il faut que les investisseurs aient, un jour, un retour sur leur investissement).

*Ceci est un ordre d’idée ; dans la réalité, avec les technologies d’aujourd’hui, la probabilité de ce montant est forte. S’il n’est que de 4 millions nous serions évidemment heureux. A noter que ce n’est « rien » à côté de ce que coûte aujourd’hui un séjour dans l’ISS (plus de 50 millions) mais il faut voir que pour une colonie l’on vise une population nettement plus importante et qui doit se renouveler tous les 26 mois.

**En fait l’exploitation commerciale devrait pouvoir commencer pendant la période initiale de construction de la base mais elle se fera à un rythme évidemment très faible au début du fait de capacités d’accueil très réduites. Par ailleurs, après le démarrage, en vitesse de croisière, la construction continuera et probablement à un rythme élevé (cela dépendra du succès du lancement) mais la capacité d’accueil sera simplement devenue suffisante et les conditions d’accueil bien meilleures qu’au début.    

Le montant de l’investissement s’obtient, comme indiqué, en prenant en compte le coût du vecteur de transport et le transport lui-même, le coût des biens et équipements importés et le coût du fonctionnement de la Colonie avec du personnel ultra-qualifié. On peut noter les éléments constitutifs suivants 1 :

(1) le coût de développement et de qualification du vaisseau* et de son équipement. En supposant un programme de 8 ans au prix de 5 milliards de dollars par an, on pourrait avoir besoin de 40 milliards de dollars mais, en fonction de l’avancement de la réalisation de ce programme avant la décision d’entreprendre le projet de Colonie, le montant devrait être moins important (20 milliards ?) ;

*Plusieurs possibilités : Mars Colonization Transport, « MCT » (soit Big Falcon Rocket et Starship) d’Elon Musk ou Blue Origin de Jeff Bezos et aussi, peut-être, SLS de la NASA. Le MCT est le plus probable.

(2) le coût de production de 16 MCT (ou équivalents) requis pour la période de démarrage (6 interplanétaires, 3 pétroliers pour le ravitaillement en carburant en orbite basse terrestre, 1 en réserve), soit environ 16 milliards de dollars (rappelons qu’un Airbus A380 avait un prix “de catalogue” de 435 millions); NB: nous n’aurions besoin que de 10 MCT si nous pouvions faire revenir les 6 MCT d’un cycle avant que les 6 du cycle suivant puissent partir mais il semble aujourd’hui très difficile (pour ne pas dire impossible) de faire des voyages Terre/Mars ou Mars/Terre en moins de 3 mois;

(3) le coût de la construction des premières structures habitables sur Mars et de l’exploitation des équipements importés, ainsi que le coût de la maintenance, du support vie et de la rémunération des équipes chargées de ces travaux initiaux1 (quelques 20 milliards ?)

(4) la masse totale des équipements et matériels connexes importés de Terre pour le démarrage du projet de Colonie, quelques centaines de tonnes, et le nombre de vols interplanétaires, un même nombre de « centaines ». Pour un coût estimé des charges utiles de 0,9 million USD par tonne et en supposant que 500 tonnes soient nécessaires, nous obtenons un montant de 0,45 milliard USD.

La faisabilité économique du projet à ce stade (construction d’une première base plus début d’exploitation) repose sur trois conditions : 1) que la volonté de développer un MCT (ou équivalent) conduise à des résultats tangibles, suffisamment fiables et séduisants (en particulier en ce qui concerne la réduction des coûts de transport et la sécurité) pour induire un véritable choc-déclencheur au sein de la communauté des personnes, gouvernements et sociétés intéressés par l’expansion de l’humanité dans l’espace ; (2) que le prix nécessaire pour couvrir les coûts variables (les 5 millions par personne mentionnés) soit acceptable pour que les « clients », « hôtes-payants » (les personnes candidates à passer 30 mois hors de la Terre, dont 18 mois sur Mars), se présentent en nombre suffisant à chaque fenêtre de tirs (tous les 26 mois) pour permettre une économie d’échelle maximale ; (3) que la marge soit suffisante pour permettre à la société d’exploitation de couvrir un peu plus que les frais variables de vols et de séjour en période de croisière (à la fin de la période initiale de construction) afin de pouvoir commencer à amortir les frais fixes et assurer la viabilité financière du projet. Si l’on estime la population cliente à environ 450 personnes sur 1000 pendant les périodes synodiques se situant entre 8 ans et 8 mois (4ème rotation) et 13 » ans (6ème rotation) après le début de la construction (mais cette population ne sera peut-être atteinte qu’avec la 9ème rotation ?), on obtient sur la base d’un prix moyen de 7 millions par personne (on peut imaginer toutes sortes de tarifs dont bien sûr des tarifs « couples »), une somme de revenus bruts (chiffre d’affaire) de 3,15 milliards par période synodique. Ceci n’est pas négligeable mais savoir si cela est suffisant dépendra du coût de maintenance de l’ensemble de la Colonie du fait de l’usure résultant de l’usage, et de l’exposition des structures à des conditions environnementales extrêmes. Si, à la fin de cette première période, disons à la fin de la 9ème rotation (20 ans après le début de la première et 28 ans après le début du programme), nous parvenons à dégager une marge nette, après amortissements et frais financiers, positive de quelques pour cents (par exemple 5% soit 157 millions) tous les espoirs sont permis. On surveillera beaucoup la pente de la dérivée seconde de cette marge nette!

J’aborderai les sources de financement la semaine prochaine mais je ferais remarquer dès à présent que la NASA dépense chaque année environ 20 milliards de dollars par an ce qui représente environ 0,5% des dépenses fédérales publiques et que le pourcentage est monté jusqu’à 4,41% en 1966 (programme Apollo).

Il faut bien voir que plus on développera la base au-delà des 1000 personnes (ce chiffre n’étant, encore une fois, qu’un passage), plus on maximisera les économies d’échelle et plus on pourra baisser les prix offerts aux candidats au voyage. On peut même imaginer qu’une deuxième puis une troisième bases se créent après que la première ait atteint sa taille critique, entrant en concurrence sur certains biens et services mais également partageant certains autres (télécommunications, serveurs informatiques, transports planétaires, entretiens de certains équipements, production de certains biens tangibles à usage local)…ce qui pourrait donner lieu à des échanges planétaires entre bases martiennes (donc des économies d’échelle et des pressions à la baisse sur les prix, comme mentionné). Et ainsi, de proche en proche, nous atteindrons une économie martienne autonome, dont les échanges avec les autres pays seront plus ou moins équilibrés avec toujours la particularité martienne de la pénalisation du transport des matières pondérales de et vers la Terre (ce qui favorisera aussi grandement la production locale de biens tangibles).

1lire :

NB : L’objet de cet article de blog n’est pas de discuter les estimations et les requis technologiques mais de réfléchir au financement.

Image à la Une: Base Alpha sur Mars, Selon SpaceX/Elon Musk (crédit SpaceX). Sur la droite un champ de panneaux solaires mais l’énergie est aussi nucléaire. Au loin, le dôme principal de la base brillant de toutes ses lumières. Très peu de monde dehors; il fait froid (moins de 100°C la nuit).

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Index L’appel de Mars 09 02 19