Les missions par vols habités ne peuvent pas nuire au développement de l’exploration robotique

L’exploration robotique est aujourd’hui la principale modalité de l’exploration spatiale. En fait c’est plutôt la seule depuis les missions Apollo des années 1970. La raison en est la fragilité de l’homme et le risque qu’impliquent pour lui le voyage et le séjour hors de la Terre; risque qu’éthiquement on souhaite évidement réduire au minimum.

Il est vrai que l’on peut faire beaucoup et de plus en plus avec les missions purement robotiques et que du fait du support-vie et des protections nécessaires pour une mission habitée, ces dernières sont beaucoup plus complexes et coûteuses.

Par ailleurs, quelles que soient la capacité des systèmes de support-vie et l’efficacité des protections, une limite est imposée aujourd’hui par le danger des radiations galactiques dures (les GCR de type HZE) dont on ne peut pas vraiment se protéger et que l’on ne peut supporter sans danger au-delà d’un certain nombre de mois (correspondant en gros à un voyage jusqu’à Mars). D’autre part il est inimaginable de confiner l’homme, de surcroît dans des volumes viabilisés très petits, pendant des durées dépassant plusieurs mois (soit pratiquement au delà de la durée du même voyage vers Mars). Ces complications que l’on pourrait qualifier de médicale et psychologique empêchent d’envisager les missions habitées impliquant des voyages très longs donc permettant d’aller très loin.

Pour préciser, il faut voir qu’actuellement le seul mode de propulsion qui peut être utilisé est la propulsion chimique et que cela a deux implications limitatives, le volume de charge utile (transportable) et la vitesse du vaisseau spatial. A partir du moment où le volume que l’on doit arracher à la force de gravité terrestre (en prenant l’exemple du dispositif SuperHeavy – lanceur – plus Starship – vaisseau – de SpaceX), inclut les ergols de propulsion, la limite haute de la charge utile est au maximum de 130 à 150 tonnes en orbite basse terrestre pour quelques 4400 tonnes* au sol, et la vitesse au mieux de quelques km/secondes au-dessus de la vitesse de libération. Par ailleurs l’essentiel des ergols sera brûlé pour le positionnement du vaisseau spatial en orbite terrestre de parking et la quasi-totalité de ce qui reste, pour l’injection vers l’espace profond à partir de cette orbite (il doit en rester un peu pour freiner et manœuvrer pendant l’EDL – « Entry, Descent, Landing » sur l’astre de destination). La seule amélioration apportée par Elon Musk qui permettrait quand même de déposer 100 tonnes au lieu de 20 à la surface de Mars, est le « refueling », remplissage des réservoirs vidés après accession à l’orbite de parking. Ce n’est certes pas négligeable par rapport à nos capacités jusqu’à aujourd’hui puisque cela permet une impulsion plus forte parce que plus puissante et plus longue. Mais de toute façon le problème reste du même ordre parce que le volume des réservoirs et la masse des contenants sont limités.

*les 4400 tonnes comprennent environ 3850 tonnes d’ergols (carburant et comburant) et 340 tonnes pour la masse sèche du lanceur Super-Heavy. Cela laisse très peu (220 tonnes) pour là masse sèche du vaisseau spatial et sa charge utile.

Compte tenu de ces contraintes, les scientifiques préfèrent très souvent (pour ne pas dire “pour la plupart”) que nos ressources (techniques et financières) soient consacrées aux missions robotiques plutôt qu’aux missions habitées parce qu’ils ne voient pas l’utilité de remplacer une charge scientifique par une charge humaine (avec les équipements et les consommables qui vont avec) ou, autrement dit, qu’ils préfèrent maximiser la charge scientifique.

On ne pourrait pas les critiquer pour cette attitude si elle ne concernait que l’exploration de tout ce qui est au-delà de Mars puisque de toute façon l’homme en est exclu, étant donné que le voyage pour aller au-delà de Mars durerait plus de 6 mois et qu’il faudrait selon la configuration du positionnement des planètes sur leur orbite, au moins trois ans pour atteindre la « prochaine étape », Jupiter et ses lunes.

Par contre cette même attitude est illogique et regrettable pour l’exploration de la Lune et de Mars puisque (1) la présence de l’homme y est possible : la Lune est accessible « tous les jours » après un très court voyage (de l’ordre de 3 jours) et Mars peut être atteinte en 6 mois pour un départ tous les 26 mois ; (2) la présence de l’homme au côté des robots est plus que souhaitable car elle donnerait un véritable « plus » à l’efficacité de la recherche.

Par ailleurs, la poursuite de l’aventure humaine, requiert évidemment l’envoi d’hommes en dehors de la Terre puisque le but est qu’ils s’y installent et y prospèrent. Le voyage n’est possible que pour aller sur la Lune ou sur Mars et l’installation n’est possible que sur Mars et dans une moindre mesure sur la Lune. Mais on est là dans un autre domaine que celui de l’exploration spatiale et je traite le sujet dans d’autres articles.

Les deux types d’exploration par moyens astronautiques ne sont donc pas du tout incompatibles mais au contraire tout à fait complémentaires. Ils doivent se développer de concert, ce qui d’ailleurs rendra les moyens astronautiques moins coûteux pour chaque mission du fait de la production et du lancement de davantage de lanceurs (principes de modularité, récupération, réutilisation comme clairement démontré par la stratégie d’Elon Musk). Et c’est le seul moyen de rendre le prix des missions habitées abordables pour les clients qui voudront mener sur Mars des recherches scientifiques ou s’y établir.

On peut donc conclure que les missions habitées sont un complément indispensable et enrichissant aux missions robotiques.

Illustration de titre: Un Starship d’Elon Musk dans le voisinage de Saturne. Pour les raisons exposées ci-dessus, il n’est certainement pas habité mais il peut aller se poser sur Titan et y déposer divers équipements lourds pour l’explorer avec des robots. Le même véhicule sera utilisé pour transporter des hommes sur Mars. Crédit: SpaceX.

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Index L’appel de Mars 20 06 10