ESPRESSO nous fait espérer découvrir des planètes de type terrestre autour d’étoiles de type solaire

ESPRESSO1 est un « spectrographe-échelle » qui équipe depuis 2018 les quatre grands télescopes du VLT2 de l’ESO3 installé sur le Mont Paranal dans le désert d’Atacama au Chili. Sa technologie prodigieuse (largement suisse) doit enfin nous permettre de détecter des planètes de type terrestre autour d’étoiles de type solaire.

1Echelle Spectrograph for Rocky Exoplanet and Stable Spectroscopic Observations / 2Very Large Telescope / 3European Southern Observatory

Depuis qu’en 1995 Michel Mayor et Didier Quelloz ont découvert la première exoplanète, nous avons identifié quelques 4000 autres de ces astres mais aucun encore qui soit vraiment analogue à la Terre, c’est-à-dire rocheux, de masse terrestre et orbitant une étoile de type solaire dans sa zone habitable. En effet les exoplanètes découvertes soit orbitent des étoiles qui ne « conviennent » pas (naines rouges ou étoiles massives), soit ce sont des géantes gazeuses ou des super-terres (beaucoup plus massives que la Terre) et, très généralement, elles sont trop proches de leur étoile.

La difficulté de repérer une planète-de-type-terrestre-orbitant-une-étoile-de-type-solaire vient de ce que par rapport à leur étoile, ces planètes sont très petites (par rapport au Soleil, le diamètre de la Terre est 1/109 et sa masse 1/330.000) et aussi que la période de leur orbite est très longue (par définition pour la Terre, une année). Leur effet sur leur étoile est donc extrêmement faible et se répéte à des intervalles trop longs pour un suivi facile (confirmation de l’observation). Au point qu’on n’a pas pu jusqu’à présent appliquer avec succès l’une ou l’autre des méthodes développées pour déceler cet effet : « transit » (obscurcissement), « vitesse radiale » (déplacement de l’étoile) ou « lentille micro-gravitationnelle » (effet de loupe).

ESPRESSO améliore l’observation en offrant une sensibilité très grandement améliorée à nos télescopes.

Comme son acronyme l’indique, ESPRESSO est un « spectrographe-échelle pour l’observation de planètes rocheuses et pour des observations spectroscopiques stables ». Un « spectrographe échelle » utilise un premier réseau de diffraction complété par un « grisme ». Un grisme est un prisme dont une des faces est façonnée de façon à former un réseau de diffraction afin de ne laisser passer qu’une seule longueur d’onde du faisceau de lumière incident (l’axe de dispersion du second élément est placé à 90° du premier). La lumière, captée par un seul point d’entrée et non par une fente, permet d’atteindre des résolutions spectrales très élevées.

ESPRESSO bénéficie aussi d’améliorations dans la stabilité et la précision de la calibration maintenant possible grâce à la l’application de la technologie des « peignes de fréquence laser ».

Le spectrographe a pour objet d’appliquer la méthode dite des vitesses-radiales, c’est-à-dire la fluctuation dans l’espace d’une étoile sous l’effet gravitationnelle d’une de ses planètes. Considérant la masse de l’étoile et l’intensité de son déplacement dans la ligne d’observation de la Terre (décalage vers le rouge pour l’éloignement et vers le bleu pour le rapprochement), on en déduit non seulement le passage (donc la présence) mais aussi la masse de la planète.

ESPRESSO est le successeur d’une série de spectrographes-échelle, qui inclue CORAVEL (1977), Elodie (1994), Coralie (1998) et HARPS (2003). Michel Mayor et la Suisse sont à l’origine de leur développement et c’est avec Elodie que Michel Mayor a découvert « son » exoplanète « 51Pegb » (une très grosse planète orbitant une toute petite étoile). HARPS faisait partie de la « troisième génération » des spectrographes-échelle. ESPRESSO qui ouvre la quatrième, a collecté sa première lumière en janvier 2018 mais les réglages, très délicats, et un petit incident de fibre optique, ont retardé la mise en service réelle à juillet 2019. L’Université de Genève qui s’est faite une spécialité de ces instruments, a été à la tête du consortium qui a réalisé l’instrument (voir ci-dessous les membres du consortium).

ESPRESSO a une Résolution Spectrale*, « R », de 140 000 (mode HR, haute résolution) à 180 000 (mode UHR, ultra haute résolution) lorsqu’il est utilisé avec un seul télescope. NB : La « R » de HARPS, sur un télescope de diamètre «3,6 mètres, n’atteignait que 115.000.

* La « Résolution spectrale » R = λ/δλ, est la propriété la plus importante d’un spectrographe. L’incrément de longueur d’onde δλ est la séparation minimale pour que deux raies spectrales soient considérées comme juste résolues (définition Wikipedia).

ESPRESSO couvre la totalité du domaine visible du spectre (de 378 à 788 nanomètres).

Sa source de lumière est la meilleure actuellement possible dans le monde puisque l’instrument peut recombiner la lumière des quatre télescopes principaux du VLT qui ont chacun un diamètre de 8,2 mètres. Dans ce cas on a une surface de collecte égale à un télescope de 16 mètres et ESPRESSO est le premier spectrographe à travailler avec un télescope aussi grand. Dans le cas d’une collecte de la lumière des quatre télescopes, R descend à 70.000 mais il ne faut pas oublier que plus le diamètre d’un télescope est grand, plus il y a de lumière et moins il y a de diffraction. Donc il y a une compensation à cet affaiblissement.

ESPRESSO pourra permettre de découvrir des planètes de type terrestre orbitant des étoiles G2V (type solaire) dans leur zone habitable parce qu’il peut déceler des variations de vitesse radiale de l’étoile avec une précision inférieure à 10 cm/s (HARPS ne peut descendre en-dessous de 30 cm/s !) et que la Terre induit sur le Soleil une variation de vitesse radiale de 9 cm/s. NB : ces précisions de vitesses radiales correspondent à des vitesses de déplacement physique de l’étoile extraordinairement faibles : 1,08 km/h (VR = 30 m/s), 0,36 km/h (VR = 10 m/s) et 0,32 km/h (VR = 9 m/s).

On pourra ainsi analyser l’effet de planètes rocheuses de type terrestre sur des étoiles de magnitude apparente V = 9, des planètes de type Neptune sur des étoiles de magnitude apparente V = 12 (plus éloignées). Rappelons que les étoiles les plus faibles décelables par Hubble ont une magnitude visible V = 31. « HD143436 » une des jumelles de la Terre, à 141 AL, a un V = 8,03. « 18 Scorpii » a une V = 5,5. C’est une G2V d’une température de 5.433 K et d’une métallicité de 0,03% inférieure à celle du Soleil. Le seul « problème » de 18 Scorpii (si l’on peut dire) est qu’elle est beaucoup plus jeune que le Soleil, seulement 2,9 milliards d’années (contre 4,6 pour le Soleil). D’autres étoiles « intéressantes » sont accessibles :  Epsilon Eridani, V = 3.73 ; Epsilon Indi, V = 4,69.

Il semble malheureusement qu’aujourd’hui avec ESPRESSO on atteigne les limites de l’exploitation possible de ces spectrographes-échelle car on craint de ne peut plus pouvoir distinguer le mouvement propre de l’étoile de celle résultant de l’effet que la planète a sur elle. Ceci dit nous avons un beau champ d’exploration devant nous avec une réelle possibilité de très belles découvertes.

Illustration de titre : le dispositif de collecte de la lumière reçue par les quatre télescopes de 8,4 m du VLT de l’ESO (Paranal, désert d’Atacama), crédit ESO.

Le spectrographe échelle ESPRESSO au centre de collecte de la lumière, crédit ESO :

Illustration ci-dessous, à l’intérieur d’ESPRESSO, le cheminement de la lumière :

Lien entre les deux illustrations ci-dessus, crédit ESO/ESPRESSO consortium, Samule Santana Tschudi vous remarquerez la caméra pour la lumière bleue et celle pour la lumière rouge :

Réseau de diffraction « blazé » d’un grisme (les grismes sont usinés avec des réseaux blazés sur leur face). Illustration Wikipedia common (Patrick87) :

Note :

Le Consortium ESPRESSO : Observatoire Astronomique de l’Université de Genève (chef de projet); Centro de Astrofísica da Universidade do Porto (Portugal); Faculdade de Ciencias da Universidade de Lisboa (Portugal); INAF-Osservatorio Astronomico di Brera (Italie); INAF-Osservatorio Astronomico di Trieste (Italie); Instituto de Astrofísica de Canarias (Espagne); et Physikalisches Institut der Universität Bern (Suisse). ESO a participé au projet ESPRESSO comme partenaire associé.

Liens :

https://fr.wikipedia.org/wiki/ESPRESSO

https://en.wikipedia.org/wiki/ESPRESSO

https://www.eso.org/public/teles-instr/paranal-observatory/vlt/vlt-instr/espresso/

https://www.eso.org/sci/facilities/paranal/instruments/espresso.html

https://www.aanda.org/articles/aa/pdf/2021/01/aa38306-20.pdf

https://blogs.letemps.ch/pierre-brisson/2019/06/22/en-combinant-les-lumieres-des-telescopes-vlti-gravity-nous-promet-des-resultats-spectaculaires/

https://www.eso.org/sci/facilities/paranal/instruments/espresso/science.html

https://www.eso.org/sci/facilities/paranal/instruments/espresso/inst.html

https://www.unige.ch/campus/139/dossier4/

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