L’invariance d’échelle du vide, un retour à la réalité ?

Depuis des dizaines d’années, la matière noire et l’énergie sombre hantent l’esprit des cosmologues du monde entier. Elles constitueraient l’essentiel de l’Univers et pourtant on n’a jamais pu les observer en direct, quelle que soit l’échelle à laquelle on se place. On n’en voit que les effets supposés. Pourquoi ? Nous sommes peut-être sur une fausse piste. Peut-être faut-il à nouveau revenir au réel, c’est-à-dire à ce que l’on voit ou, pour généraliser, ne considérer comme réel que ce dont on reçoit une onde ou un rayonnement. En quelque sorte peut-être faut-il laisser tomber ce qu’on pourrait considérer comme des épicycles modernes. La théorie de l’invariance d’échelle du vide, exposée par André Maeder a, en ce sens, le mérite de proposer de remettre élégamment l’église au milieu du village.

La matière noire et l’énergie sombre sont les explications données par le consensus (« modèle standard » de la cosmologie, dit « ΛCDM »*) pour des constatations embarrassantes : le mouvement des étoiles autour du cœur des galaxies est trop rapide, comme si une énorme masse cachée les enveloppait ; la vitesse de concentration des galaxies dans leurs amas est telle que la gravité parait être sensible à une énorme masse cachée au cœur de ces amas ; l’accélération de l’expansion de l’Univers qui se manifeste depuis quelques 6 ou 7 milliards d’années, parait être causée par une force étrange qui prolonge l’impetus donné par le Big-bang à l’origine de l’expansion de l’Univers il y a 13,8 milliards d’années et qui aurait dû petit à petit s’épuiser.

*Lambda Cold Dark Matter où Lambda (« Λ ») est la constante cosmologique, associée à l’énergie sombre.

Cependant ces explications, une masse et une énergie non observables directement mais seulement identifiables par leurs effets, ne sont pas satisfaisantes car, malgré les années et l’acharnement à les identifier directement, force est de constater que l’on n’y parvient toujours pas. Cette masse et cette énergie manquantes s’avèrent beaucoup plus élusives que l’antimatière et c’est bien gênant puisqu’elles constitueraient 95,1% de l’Univers ; toute notre matière perceptible, dite « baryonique », n’en constituant que 4,9%. Ne faudrait-il pas changer nos paradigmes ?

Un astrophysicien, André Maeder, professeur émérite à l’Université de Genève, a remis en question l’approche suivie depuis les années 1933 (Fritz Zwicky) et 1998 (Riess et al.), en expliquant ces phénomènes observés, sans introduire cette masse et cette énergie jamais détectées en direct. Sa théorie repose sur ce qu’il appelle l’« invariance d’échelle du vide ». Elle est très séduisante car si elle remet bien sûr en cause le modèle standard, ΛCDM, qui a introduit ces fantômes, elle ne suppose pas pour autant de remettre en cause les équations fondamentales des grands modèles de la cosmologie, seulement de les ajuster/préciser.

La démonstration faite par André Maeder est très compliquée à comprendre par les non spécialistes car elle suppose de solides connaissances en mathématiques. Je vais essayer d’en donner quelques éléments, suffisamment pour en faire ressortir les principes logiques.

Tout d’abord il faut savoir que l’« invariance d’échelle » est un concept de mathématiques et de physique selon lequel le comportement d’un système considéré est indépendant de l’échelle à laquelle on l’observe. On la trouve par exemple dans un ensemble fractal, à l’intérieur duquel, à tous les niveaux de « focus » on voit la même figure. C’est aussi le cas des équations de Maxwell en électrodynamique qui, en l’absence de charges et de courants, montrent la même propriété d’invariance d’échelle.

Mais il est aussi admis que cette invariance a des limites aux extrêmes, par exemple si on se situe au niveau des molécules élémentaires ou à celle du système entier qu’elles constituent. André Maeder insiste d’ailleurs bien pour dire qu’aux petites échelles (à commencer par l’échelle quantique) les lois de la Physique sont, dans l’Univers, dépendantes de l’échelle considérée mais, et c’est là où sa position diverge de celle du consensus, il nous montre que ce n’est plus nécessairement vrai à grande échelle. Plus précisément, ce qu’il veut démontrer c’est qu’à partir du moment où les lois de la relativité générale sont nécessaires pour expliquer ce que l’on voit, le vide spatial a les mêmes propriétés quelle que soit l’échelle à laquelle on observe. Derrière nous, le « cas extrême », vérifié, où la dépendance est constatée, c’est, pendant quelques petits milliards d’années après le Big-Bang, la période pendant laquelle la densité de la matière dans l’Univers était importante, soit Ωm > 0,01 (Ω = 1 lors du Big-Bang), Ω étant le facteur de densité, Ωm celui de la masse. A notre époque ce sont aussi toutes les régions de l’espace qui ne sont pas vides, comme le cœur des galaxies (mais pas leur périphérie).

En se fondant sur le principe de l’invariance dans ces conditions, André Maeder établit une relation entre la constante cosmologique ΛE et le facteur d’échelle λ du cadre invariant d’échelle. Il ne fait que préciser ΛE avec ce facteur λ ; tout le reste demeure inchangé et cela rejoint l’esprit dans lequel Albert Einstein lui-même avait introduit la constante dans ses équations, puisqu’on rapporte qu’il l’avait fait pour préserver l’invariance d’échelle de l’espace vide. Il est assez surprenant de constater que dans le modèle cosmologique standard, suite du travail d’Einstein, les propriétés du vide sont certes prises en compte mais d’une manière qui interdit cette invariance d’échelle.

Autrement dit, le cadre invariant d’échelle introduit par André Maeder offre une possibilité de concilier l’existence de ΛE avec l’invariance d’échelle de l’espace vide et André Maeder corrige ainsi une dérive allant contre le principe originel.

On voit l’effet de λ dans le graphe ci-dessous. La densité de masse, Ωm a un effet très fort mais pendant très peu de temps et cet effet est largement dominé par λ par la suite. Le fait est que pour Ωm = 0,3 l’effet n’est pas encore complètement éliminé. Mais après Ωm = 0,01, λ va vers l’infini extrêmement vite.

La leçon du Professeur Maeder a apparemment du mal à passer car la quasi-totalité des cosmologues continuent à « chasser » la matière noire et l’énergie sombre. Comme souvent on s’enfonce sur une mauvaise piste et on refuse de voir qu’on s’est fourvoyé car cela représente beaucoup de travail perdu, des années de recherche gâchées. Mais tôt ou tard la réalité reprend ses droits. On l’a bien vu avec Képler et sa loi des cycles (Astronomia Nova publié en 1609). Attendons et espérons que nos scientifiques modernes soient plus rapides pour se remettre en question que les nombreux successeurs d’Hipparque et de Ptolémée.

Illustration de titre : espace profond, photo Hubble. L’étoile est proche, les galaxies disques ou formes ovales sont évidemment lointaines. Les plus rouges sont les plus lointaines (effet Doppler-Fizeau résultant de l’expansion de l’Univers).

Lectures :

An alternative to the ΛCDM model: the case of scale invariance , publié dans The Astrophysical Journal, 834:194 (16pp), le 10 janvier 2017. doi:103847/1538-4357/834/2/194: https://iopscience.iop.org/article/10.3847/1538-4357/834/2/194

Un professeur genevois remet en question la matière noire (ATS, principale agence de presse suisse, Le Temps, 22/11/2017) : https://www.letemps.ch/sciences/un-professeur-genevois-remet-question-matiere-noire

Une énergie sombre omniprésente domine-t-elle notre Univers?

Depuis Alexandre Friedman en 1922/24 on a réalisé que l’Univers non seulement n’était pas statique comme le croyait Albert Einstein mais qu’il est en expansion et, depuis 1988 avec le « Supernova Cosmology Project » dirigé par Saul Perlmutter et l’équipe « High-Z supernovae search » dirigée par Adam Riess, que non seulement il est en expansion mais que cette expansion apparemment s’accélère.

La cause de l’interrogation

L’expansion de l’Univers est maintenant une réalité qu’aucun astrophysicien ne conteste. On la constate par le décalage vers le rouge (effet Doppler-Fizeau) observé dans le spectre des galaxies de l’Univers observable et qui est d’autant plus important que les galaxies sont lointaines. Le problème est qu’après cette première constatation que l’on a formalisée en lui affectant une grandeur que l’on a crû être une « constante », la « constante de Hubble » (« H »), on s’est aperçu qu’elle n’était que la valeur actuelle (environ 70km/s/Mpc), « H0 », d’un simple paramètre, la possibilité de variation de ce paramètre résultant de la contradiction entre d’une part une force de contraction tenant à la masse de l’Univers subissant l’effet de la gravité, exprimé par le « paramètre de densité » (que l’on symbolise par «  » (Oméga), et d’autre part une force répulsive dont on ne peut encore que constater l’effet. La totalité de la matière, noire ou visible, et la force de gravité qu’elle implique, ne suffit donc pas à ralentir l’expansion (bien au contraire) ! Cette force répulsive que faute de mieux on appelle « énergie sombre » car on ne peut en identifier la nature, semble dominer l’Univers depuis 6 à 7 milliards d’années (sur 13,8 milliards). C’est à cette époque qu’elle commence à se traduire par une accélération générale de l’expansion, mais elle était sans aucun doute à l’œuvre dès l’Origine, c’est à dire le Big-bang, ou même, selon certains, peut-être avant ; il est en effet difficilement concevable qu’elle ait pu être créée ex-nihilo ensuite.

La force répulsive est déjà potentiellement présente dans l’équation de champ modifiée d’Albert Einstein (Gαβ = 8πTαβ + Λgαβ), par son coefficient « Λ » (lambda), qu’il avait lui-même appelé la « constante cosmologique » (mais il n’est plus certain aujourd’hui qu’elle soit constante !). Il faut dès à présent noter qu’il avait ajouté ce coefficient (cette « verrue » dira-t-il plus tard) à sa formule de base pour un objet différent de la prise en compte de la possibilité de variation de l’expansion. Il voulait simplement exprimer que pour lui l’Univers était statique (et sa constante cosmologique corrigeait exactement l’effet de la gravité). Les observations ultérieures et notamment celles du télescope spatial Planck ont montré que Λ pouvait avoir une valeur de 1,1056 × 10−52 m−2…avec une marge d’erreur. La valeur est très faible mais très légèrement positive et il faut bien voir que l’échelle est la plus grande qu’on puisse imaginer et donc que l’accélération est réelle, qu’elle représente du fait de l’immensité à laquelle elle s’applique, l’élément le plus important de la « densité de l’énergie totale de l’Univers » (72,8%) et par conséquent qu’elle implique dans le futur lointain la dispersion de la Matière. A noter que le coefficient Λ affectant comme le coefficient le paramètre de Hubble, est repris dans le modèle cosmologique « ΛCDM » (Lambda Cold Dark Matter) considéré aujourd’hui comme le « modèle standard du Big-bang » (qui met à jour le raisonnement d’Einstein). Mais on ne sait toujours pas ce qui peut bien provoquer cette accélération !

Les réponses possibles

Les cosmologistes ont fait beaucoup d’efforts pour trouver une explication à l’accélération. En gros on peut dire que la quasi-totalité (« A ») de leurs propositions recourent à des forces, des champs ou des particules que permettent sur le papier la science physique mais qu’on n’arrive pas à prouver / détecter et qu’une seule proposition (« B »), celle d’André Maeder, utilise la physique telle qu’elle est. Parmi les premières, certaines (1 et 2 ci-dessous) gardent la théorie de la Relativité Générale en y introduisant des « degrés de liberté » (variables aléatoires qui ne peuvent être déterminées ou fixées par une équation), d’autres (3 et 4 ci-dessous) la modifient. Voyons les dans l’ordre de leur éloignement progressif du modèle standard :

1) introduction de nouveaux champs physiques ou de nouvelles particules qui n’interagissent ni avec la matière baryonique, ni avec la matière noire, ni avec les photons. Les modèles de cette catégorie comprennent notamment la « quintessence » (Jim Peebles), une cinquième forme d’énergie active à chaque point de l’espace (à côté de la matière baryonique, de la matière noire, des neutrinos et des photons).

2) introduction de nouveaux champs très faibles qui peuvent être couplés avec les seuls photons et qui expliquent l’atténuation de la lumière par la distance (par une oscillation photons/« axions »…les axions étant des particules théoriques, de type boson, n’ayant pas de charge électrique et une très faible masse).

3) introduction de nouveaux champs, fortement couplés à ceux du modèle standard de la Relativité Générale. Ce couplage fort implique de modifier les équations de la Relativité Générale et/ou de changer les valeurs de certaines constantes fondamentales pour décrire les effets de la gravitation.

4) introduction de modifications drastiques à la théorie de la Relativité Générale avec plusieurs types de « gravitons » (bosons de masse nulle, particules théoriques porteuses de la force de gravité). Les modèles incluent les modèles « branaires » avec dimensions supplémentaires ou la « multigravité ».

Toutes ces hypothèses supposent beaucoup d’inconnues et ne sont pas (encore) testables puisqu’on n’a découvert / observé aucune des particules ou champs dont l’existence supposée est indispensable à leur vérification.

Dans ces conditions la proposition (« B ») d’André Maeder (Université de Genève) exposée en 2017 dite « invariance d’échelle du vide » qui suppose qu’aux grandes échelles cosmologiques, niveau où la théorie de Relativité Générale peut être appliquée, le vide et ses propriétés ne changent pas par suite d’une dilatation ou d’une contraction, présente l’avantage de la simplicité et d’une sorte de « retour aux sources » (les premiers travaux d’Albert Einstein). Selon ce modèle, l’accélération de l’expansion de l’Univers serait possible sans que l’énergie sombre ou la matière noire soient nécessaires et avec une « constante cosmologique » Λ liée uniquement aux propriétés d’invariance du vide spatial, via un facteur d’échelle « λ » de ce vide . Cette hypothèse fait en effet apparaître logiquement, on pourrait dire « naturellement » (c’est le terme employé par André Maeder), un terme très petit et variable d’accélération et ce « terme » est particulièrement significatif aux faibles densités. Or l’accélération est en effet, dans les observations, un terme très petit et c’est dans ces environnements de faibles densités (périphérie des galaxies spirales par exemple) qu’elle semble la plus évidente. Les premiers tests du modèle corroborent les observations : application de ses principes au calcul des distances par rapport aux décalages vers le rouge, à l’estimation de la magnitude par rapport aux redshifts, à l’estimation du coefficient de densité par rapport aux observations par le télescope Planck des fluctuations du CMB (Fonds diffus cosmologique), à l’estimation de la valeur actuelle du paramètre de Hubble (coefficient H0), et autres.

Dans tous les cas il y aurait bien expansion et du moins actuellement, accélération de l’expansion. Ce sont des faits d’observation. Mais il n’y aurait pas obligatoirement d’énergie sombre et s’il y a énergie sombre, ce qui est de moins en moins probable, on ne sait toujours pas ce qu’elle serait. L’accélération de l’expansion de l’Univers reste un problème majeur pour la compréhension de notre Univers puisque d’elle ou de son contraire résultera (dans plusieurs dizaines de milliards d’années, tout de même !) la Destruction (Big Crunch ou Big Rip) ou l’Eternité (par le chemin de crêtes…mais on ne sera jamais certain de pouvoir y rester !). C’est un sujet difficile que je n’aborde, sans l’approfondir, que pour mettre en évidence son incontournable présence !

Illustration de titre: illustration schématique de l’expansion de l’Univers et de son accélération (évasement). Design Alex Mittelmann

Lien (Le Temps, 22 Nov. 2017) :

https://www.letemps.ch/sciences/un-professeur-genevois-remet-question-matiere-noire

lien UniGe:

https://www.unige.ch/communication/communiques/2017/cdp211117/

lien vers l’étude d’André Maeder:

file:///F:/energie%20sombre/Maeder_2017_ApJ_834_194.pdf

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Index L’appel de Mars 19 11 05